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Sacralisation du 5 mai : entre pressions et mépris, un chemin semé d'embûches


Pierre-Manuel Pescetti le Mardi 3 Mai 2022 à 19:14

La sacralisation de la date du 5 mai ne faisait pas partie des premières demandes du Collectif du 5 mai créé au lendemain de la catastrophe de Furiani. Trente ans plus tard, elle est inscrite dans le marbre de la Loi de la République grâce à l'infatigable combat des familles des victimes et du député de la Haute-Corse Michel Castellani. Un combat pour le respect.



Depuis 2011, la sacralisation du 5 mai est demandé en Corse comme dans plusieurs stades français.
Depuis 2011, la sacralisation du 5 mai est demandé en Corse comme dans plusieurs stades français.



« On ne rejouera plus au football un 5 mai ». Le lendemain de la catastrophe de Furiani du 5 mai 1992, le président de la République François Mitterrand, alors au chevet des victimes, en fait la promesse. Elle sera tenue pendant plusieurs années sans être pour autant inscrite dans le marbre des règles du football français ou de la Loi de la République.

Dans le même temps le Collectif du 5 mai 1992 est créé pour représenter les familles et les proches des victimes. « La sacralisation du 5 mai n’était pas encore à l’ordre du jour. Il défendait trois axes : un véritable procès, la création d’un centre de rééducation important en Corse et un nouveau stade construit ailleurs car Armand Cesari était trop difficile d’accès pour les secours. Aucun de ces trois points n’a été satisfait en 30 ans », regrette Josepha Guidicelli.

Orpheline d’un père tombé ce funeste soir, l’actuelle présidente du Collectif du 5 mai 1992 reste discrète pendant une vingtaine d’années. Elle vit le deuil comme les autres familles touchées par l’impensable. « Les années passaient sans match puis ça a repris », se souvient-elle.

2011, début du combat pour la sacralisation

Comme chaque année depuis le drame, les proches et les familles des victimes se retrouvent devant la stèle érigée à Furiani en leur mémoire et dans une des églises bastiaises pour un office religieux. Le temps passe et fait son œuvre. « Je me rends compte que nous ne sommes qu’entre nous. Pas un mot des commentateurs pendant les matchs qui se déroulent le 5 mai. J’ai peur que tout ça tombe dans l’oubli », regrette alors Josepha Guidicelli. La jeune femme tente alors de prévenir les instances nationales du sport. Aucune réponse.

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En février 2011, la date de la finale de la Coupe de France 2012 tombe. Ce sera un 5 mai. Impensable pour le collectif qui remue ciel et terre pour rencontrer les responsables politiques et sportifs nationaux. « La ministre des Sports de l’époque, Chantal Jouanno nous informe avoir pris contact avec la Fédération Française de Football. La date est déplacée », raconte Josepha Guidicelli.

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Le créneau est libre. Cette fois, c’est la Ligue Professionnelle de Football (LFP) présidée par Frédéric Thiriez qui s’en empare pour fixer la 36e journée de championnat. C’en est trop pour le Collectif du 5 mai 1992. En novembre il lance une pétition pour qu’aucun match de football ne soit joué en France un 5 mai. Elle récolte plus de 40 000 signatures dont celle du futur président de la République François Hollande. Le collectif obtient gain de cause. La 36e journée de championnat est reportée. 2011 marquera un tournant, celui du début du combat pour la sacralisation du 5 mai.

Un chemin de croix

En novembre 2012, le sujet fait son entrée à l’Assemblée Nationale. Le député et maire de Biguglia Sauveur Gandolfi-Scheit dépose un projet de loi à l’Assemblée Nationale visant à sacraliser le 5 mai. Non retenue. Seule l’impossibilité de jouer une finale de coupe un 5 mai est accordée.

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Pendant des années, les rencontres entre le collectif, les responsables politiques et sportifs s’enchaînent. Sans avancée notoire si ce n’est la promesse de présence de certains ministres et en 2015, grâce au secrétaire d'État chargé des Sports Thierry Braillard, la reconnaissance officielle du drame de Furiani comme catastrophe nationale. En conséquence, les rencontres nationales sont gelées lorsque le 5 mai est un samedi. Pas le reste de la semaine.

Semé d’embûches

Mais en 2019, alors qu’un nouveau match de championnat est programmé le 5 mai, scandalisant le collectif et beaucoup de supporters français, le député de la première circonscription de Haute-Corse Michel Castellani en fait son cheval de bataille. « Cela faisait partie des objectifs que je m’étais fixé en arrivant à l’Assemblée Nationale », explique-t-il. En décembre 2019, il y dépose une nouvelle proposition de loi interdisant tous les matchs professionnels de football un 5 mai, championnat et Coupe de France compris.

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« Il y a eu un énorme travail de sensibilisation auprès des différents groupes de l’Assemblée Nationale. Je devais tous les convaincre de l’importance de ce drame en Corse. Cela a été un travail de longue haleine », se souvient Michel Castellani. D’autant que le chemin est semé d’embûches laissées par les instances du football. « Elles ne sont pas restées inertes. J’ai reçu plusieurs visites à l’Assemblée Nationale et le niveau de pressions était élevé pour faire retirer la proposition de loi », regrette le député. Lui aussi était présent au stade ce soir-là. Il fallait tenir jusqu’au bout. Il avait « donné sa parole ».

Malgré le mutisme et la pression exercée par les instances du football français, la loi est votée à l’unanimité, moins une voix. D’abord à l’Assemblée Nationale en février 2020, puis au Sénat en octobre 2021. Loi dont les limites sont celles de la juridiction nationale puisque ce 5 mai 2022, un match professionnel se jouera bien en France, à Marseille, où l’OM recevra le Feyenoord Rotterdam pour les demi-finales retour de la Ligue Europa Conference. Rien, dans la loi, n’interdisant les matchs de compétition internationales.

La délivrance

Michel Castellani a alors « le sentiment du devoir accompli ». Josepha Guidicelli se souvient de ce jeudi 14 octobre 2021 pendant lequel la loi est définitivement adoptée : « j’ai été délestée d’un poids énorme. Je suis enfin apaisée et cela m’aide à avancer ». Le combat qu’elle a initié il y a plus de 10 ans avec sa sœur Lauda et d’autres victimes se conclut enfin. « Nous aurions continué si la loi n’était pas passée », confie-t-elle.

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Si l’argument de l’oubli était souvent avancé par les détracteurs de la sacralisation, pour Josepha Guidicelli c’est tout le contraire. « Si aucun match n’était prévu le 5 mai nous n’aurions rien fait ? Nous allons maintenant pouvoir nous focaliser sur des actions de sensibilisation  ». À la place, le collectif a aujourd’hui les mains libres pour que plus jamais on oublie ce qu’il s’est passé le 5 mai 1992 à Furiani. Ni la catastrophe, ni ses victimes.

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