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Statut de coofficialité : Les deux jours les plus longs de la mandature !


Nicole Mari le Samedi 18 Mai 2013 à 23:17

Avec 36 voix pour, 11 non-participations et 4 absents, le statut de coofficialité de la langue corse a été adopté, vendredi soir, à 21 heures, à l’Assemblée de Corse lors d’un vote uninominal à main levée. Il aura fallu deux jours de discussions serrées, un clash nationaliste et une reprise en main par l’Exécutif pour réussir à dégager une majorité autour d’un texte remanié, mais finalement assez proche de l’original en dépit de la pléthore d’amendements qui menaçaient de le dénaturer. Retour sur les deux jours les plus longs de la mandature.



Les élus saluent le vote du statut de coofficialité de la langue corse.
Les élus saluent le vote du statut de coofficialité de la langue corse.
Ce fut long, intense, âpre et difficile. On a même cru, un temps, que la discussion tournerait court. Mais, la volonté conjuguée de l’Exécutif et des Nationalistes a finalement levé, un par un, les obstacles qui s’accumulaient au fil des heures sur un projet déjà à minima, mais dont certains points suscitent craintes et frilosité au sein même des groupes de la majorité qui lui sont favorables. Pour le Front de gauche, pas question d’entériner une quelconque discrimination. Pour les deux groupes nationalistes, pas question d’accepter un texte en-deça de celui proposé, déjà fruit de lourdes concessions pour obtenir un compromis.
 
Des débuts prometteurs
Jeudi 10h30. La session de l’Assemblée de Corse s’ouvre, comme d’habitude, par une brève allocution du Président Dominique Bucchini. Les questions orales ayant été déjà traitées lors de la session suspendue d’avril, le statut de coofficialité de la langue corse est, immédiatement, présenté par son rapporteur et conseiller exécutif en charge de la langue, Pierre Ghionga.
Le débat débute avec de nombreux intervenants (cf article par ailleurs), entrecoupé d’une longue pause déjeuner pendant laquelle les groupes politiques se réunissent, comme à l’ordinaire, pour finaliser leurs amendements.
17 h30. Les interventions, dont la longueur a été somme tout raisonnable au regard de la question abordée, sont suspendues pour permettre l’examen des amendements en Commission. Pendant ce temps, les élus, ne siégeant pas dans ladite Commission, continuent de délibérer sur les autres dossiers prévus à l’ordre du jour.
Jusque-là, tout va bien.
 
Un long travail en commission
La pléthore d’amendements, 110 au total, laisse présager que leur examen à huis-clos en commission prendra un temps certain. Néanmoins, le Président Dominique Bucchini, optimiste, prévoit un retour en session en fin de soirée pour un vote dans la nuit.
Jeudi 22 heures. Apprenant que la moitié à peine des amendements a été examinée, le Président Bucchini décide de renvoyer au lendemain matin le retour en session et le vote prévus. Pendant ce temps, la Commission continue son travail. On apprend que la vingtaine d’amendements de la gauche républicaine et les 36 de la droite, notamment ceux qui refusent la coofficialité, sont, quasiment tous, rejetés ou tombent systématiquement.
 
Le clash nationaliste
Restent, donc, à examiner les amendements des groupes favorables au statut. Et, c’est là que le bât blesse à la surprise générale. Le point de friction se cristallise sur les amendements du Front de gauche concernant l’épineuse question de la discrimination. Les amendements dénaturant, selon eux, le principe même de coofficialité, les deux groupes nationalistes s’y opposent fermement. Chacun restant crispé sur ses positions, la discussion vire à l’aigre et s’enlise.
Craignant un statut sans contenu, Jean-Guy Talamoni décide d’en rester là et quitte la réunion avec sa colistière de Corsica Libera, Josepha Giacometti. Les représentants du groupe Femu a Corsica leur emboîtent le pas, sous la houlette de Jean-Christophe Angelini. Il est plus d’une heure du matin.
 
Des présidents dans l’impasse
Vendredi 10 heures. La nuit portant conseil, les présidents des groupes politiques se réunissent pour tenter de dégager un chemin. En vain. Le Front de gauche s’entête. La majorité de gauche, déjà fissurée entre pro- et anti-statut, se désagrège entre pro- et anti-discrimination. Pierre Ghionga se démène pour sauver son projet, aidés par les présidents des groupes socialiste et Corse Social Démocrate. Les Nationalistes unis résistent d’une même voix. Pour eux, l’enjeu est d’importance, mais pas question d’accepter un texte vidé de son contenu ! La tension s’envenime.
Midi passe. L’impasse persiste. La réunion tourne court. Jean-Guy Talamoni et Jean Christophe Angelini, sûrs de leur bon droit, abandonnent la majorité à ses contradictions en prenant soin de réaffirmer qu’ils ont concédé assez de compromis et qu’ils ne cèderont plus rien. Ils savent qu’ils tiennent le vote et que l’Exécutif n’acceptera pas de perdre la face.
 
Une reprise en main
Pause déjeuner. 15 heures. Le jeu étant bloqué, Paul Giacobbi et Dominique Bucchini décident de reprendre la main. Ils réunissent leur majorité pro-statut et s’enferment à huis-clos pour de longues heures de discussions serrées. Pendant ce temps, les autres élus continuent de patienter dans ou hors les murs de l’Assemblée.
Le statut est sur le fil du rasoir, mais nul ne veut croire que la partie est finie. Finalement, l’Exécutif réussit à imposer à ses troupes un accord acceptable.
17 heures. La Commission, chargée des amendements, reprend ses travaux. La rumeur court que les discussions avancent de nouveau dans le sens d’un compromis et que le retour en session sera rapide.
 
Enfin, le vote !
18h30. La nouvelle tombe. L’Exécutif a trouvé les voies d’un accord et une majorité de 36 votes favorables. Tous les élus regagnent l’hémicycle. Le soulagement est palpable. Les sourires des Nationalistes sont de bon augure.
Prudent, Dominique Bucchini décide d’examiner, d’abord, les six dossiers Culture laissés en suspens avant de reprendre le projet de statut.
19h30. Le vote des 110 amendements, dont la plupart ont été retirés ou sont tombés, se fait rapidement et sans heurt. Puis, la droite, en effectif réduit, et la Gauche républicaine expliquent, malaisément, qu’elles ont décidé de ne pas participer au vote, de peur qu’un vote négatif ne soit interprété par l’opinion comme un vote contre la langue corse. Les anti-statut se sentent soudain bien seuls.
 
L’émotion finale
Le vote final s’effectue, comme l’a demandé Femu a Corsica, de manière uninominale à voix haute. C’est un « Ié » jubilatoire que répondent les élus nationalistes, un par un.
Il est 21 heures quand Dominique Bucchini proclame le statut de coofficialité de la langue corse, adopté. Un ange passe. Puis, l’hémicycle se lève et applaudit, aussitôt suivi par le public venu nombreux en tribune. Les élus laissent éclater leur joie, s’embrassent et se congratulent. L’émotion est visible sur les visages. Même les anti-statut font contre mauvaise fortune, bon coeur.
Les deux jours les plus longs de la mandature s’achèvent autour d’un sandwich et d’un verre de vin où chacun savoure la victoire en avouant « avoir eu chaud ».
N. M.

Le public, dans les tribunes, à l'annonce du vote du statut de coofficialité de la langue corse.
Le public, dans les tribunes, à l'annonce du vote du statut de coofficialité de la langue corse.