Corse Net Infos - Pure player corse

Rentrée judiciaire : les inquiétudes des avocats du barreau de Bastia


Laurent Hérin le Mardi 19 Janvier 2021 à 09:09

A l’occasion de ce début année, les avocats bastiais ont décidé de communiquer par la voix de Maître Jean-Paul Eon, bâtonnier de l'ordre des avocats au barreau de Bastia. L’heure est au bilan pour cette profession malmenée par la crise sanitaire et inquiète d’éventuelles dérives sécuritaires dans leur fonctionnement.



Me Jean-Paul Eon, avocat au barreau de Bastia
Me Jean-Paul Eon, avocat au barreau de Bastia
« C’est une année particulière que nous venons de vivre » déclare d’emblée le bâtonnier de Bastia. N’ayant pas participé à l'audience solennelle de rentrée du tribunal judiciaire de Bastia le 15 janvier dernier (lire ici), les avocats ont, à leur tour, souhaité s’exprimer. « On aurait aimé être présent et parler d’une même voix pour faire un bilan commun. Ça aurait donné une image intéressante et complète de la justice. » Cela a d’ailleurs été fait à Ajaccio ou dans d’autres grandes villes. « Nous n’avons pas participé, nous tenions donc à faire un point aujourd’hui sur notre profession et sur l’état de la justice en France » précise Maître Jean-Paul Eon.
 
« Nous avons un rôle de vigie »
L’avocat se dit inquiet : « L’urgence sanitaire a tendance à occulter beaucoup de choses. Nous devons rester vigilants . » Il poursuit : « Au plan local, notre grève (lire ici) de janvier dernier a eu un impact. Elle s’est faite dans la douleur mais elle était indispensable. Nous tenons d’ailleurs à remercier les magistrats qui nous ont soutenu. On peut parler de respect, d’estime et de solidarité de la profession concernant notre combat. »
Puis la crise sanitaire a déclenché l’interruption de l’activité judiciaire, particulièrement lors du premier confinement. Des dispositions exceptionnelles – comme les dépôts de dossier sans plaider ou les reports de plusieurs mois – ont eu un impact sur le plan pénal. « Des détentions provisoires sont par exemple passées de 4 à 8 mois sans consultations préalables. C’est un confort pour la justice mais nous le trouvons excessif. Le retard pris dans le traitement des dossiers a été particulièrement anxiogène pour les justiciables… » précise le bâtonnier. Les conséquences sont également économiques : « des particuliers, en attente de règlements et d’indemnisation, sont paralysés dans leur activité. C’est aussi notre profession [libérale] qui a été pratiquement à l’arrêt pendant plusieurs mois. Conséquence, nous avons dû faire face à une accélération brutale de l’activité à la reprise de l’exercice, pour rattraper le temps perdu. »
 
« Notre métier, c’est la défense des gens au quotidien »
L’avocat est inquiet : « On peut accepter quelques maladresses en temps d’urgence mais il y a des choses plus graves. En matière de fichage par exemple, un décret du 2 décembre 2020, élargi la possibilité de ficher les individus sur leurs opinions politiques, syndicales, de culte ou encore sur leurs données de santé, totalement à l’encontre du secret médical. Ça pose un problème de fond. Ça aurait surtout mérité un débat public ou du moins parlementaire alors que cela s’est fait dans la discrétion la plus totale. On peut ici parler d’un glissement sécuritaire excessif. Ce n’est pas digne d’une démocratie. »
L’autre sujet d’inquiétude concerne le secret professionnel. Ce dernier repose sur la confidentialité des échanges entre l’avocat et son client (décret du 31 décembre 1971). Pourtant, le 25 novembre dernier, à l’occasion d’une affaire, la cour de cassation a accepté de dévoiler partiellement ces échanges. « Ça nous inquiète profondément, souligne le bâtonnier. La loi est contournée via un décret sans concertation préalable. Si les échanges entre l’avocat et son client sont rendus public, c’est grave. Nous allons hésiter à parler ou envoyer des mails. Tout comme les judiciables hésiteront à se livrer. »
 
Restaurer la confiance
Le manque de moyens est également un motif d’inquiétude pour Maître Eon : « On note un affaiblissement de l’autorité judiciaire. Les moyens financiers ne cessent de baisser. On nous demande d’aller plus vite, avec comme résultat un risque d’erreurs plus élevées. Par exemple, l’an dernier, le tribunal fonctionnait avec un seul greffier au lieu de trois. On en arrive à des situations ubuesques dans lesquelles des clients sont jugés à distance, sans comparaître et sans avocats ! »
 
Le cas des DPS
Enfin, le bâtonnier évoque un dernier point qui rajoute au malaise ambiant. «  Je suis bâtonnier, je ne fais pas de politique mais je trouve quand même que cette manière d’agir de l’État ne nous envoie pas de bons signaux. Nous avons l’impression que le garde des Sceaux [Éric Dupond-Moretti, NDLR] est malmené. Il est taclé par le Gouvernement lui-même qui lui enlève des prérogatives. A l’image du statut des DPS (détenus particulièrement signalés). Dans ce cas particulier, auquel nous pensons forcément tous ici, le Premier Ministre a statué à sa place. Un ministère de la Justice en ordre de marche ? On se pose la question quand on voit qu’il est lâché par l’État et qu’il ne peut agir normalement. On connaît ses convictions, on le nomme et on le lâche… »
On sent Maître Jean-Paul Eon particulièrement remonté sur ce point : « C’est désarmant pour le bâtonnier de province que je suis qui aimerait attendre que le Ministère de la justice nous donne plus de moyens. Nous sommes aux côtés des magistrats et des fonctionnaires. Il y a pratiquement une guerre au sommet de l’État, de quoi nous inquiéter légitimement. »
 
Le bilan est mitigé et à l’aune de cette nouvelle année, l’inquiétude est de mise. Le barreau dénonce des problèmes récurrents : manque de moyens, décrets réduisant les libertés et entrave des prérogatives du garde des Sceaux. Un état des lieux que Maître Jean-Paul Eon tenait à faire ce 18 janvier, en son nom et celui de sa profession.