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L’Assemblée de Corse condamne d'une même voix le climat délétère et anxiogène qui règne en Corse


Nicole Mari le Jeudi 22 Mai 2025 à 22:11

Le premier débat de la session de l’Assemblée de Corse a été, jeudi après-midi, consacré à l’actualité sociale et politique de ces derniers jours, notamment l’altercation violente contre le président de l’Exécutif à Ghisunaccia, l’incendie du hangar de Charles Sisti, la nuit suivante, les arrestations des militants de Nazione, et plus globalement les incendies à répétition et les logiques de violence et de tension qui se généralisent. La condamnation a été unanime sur tous les bancs de l’hémicycle. Gilles Simeoni a appelé au dialogue et à l’apaisement et invité tous les Nationalistes à dépasser leurs querelles intestines. Un appel qui semble avoir été entendu.



L'hémicycle de l'Assemblée de Corse. Photo Paule Santoni.
L'hémicycle de l'Assemblée de Corse. Photo Paule Santoni.
Le malaise était patent dans l’hémicycle, le ton était prudent et grave, les mots pesés. C’est que le sujet, abordé dès l’ouverture de la session de l’Assemblée de Corse et décidé le matin même en conférence des présidents, aucun élu présent n’aurait voulu avoir à l’aborder. Des débats sur la situation politique en Corse, il y en a déjà eu, parfois dans des circonstances plus aigües, mais les incidents de ces derniers jours, les incendies et violences à répétition, les pressions en tous genres qui se multiplient et surtout l’enchainement vicieux des faits, l’emballement de la rumeur, plongent la Corse dans un climat, que la présidente Nanette Maupertuis, n’a pas hésité à qualifier de « délétère » et que tous présentent comme « anxiogène », « dangereux » et « inquiétant ». Les prises de parole se sont focalisées sur trois évènements : l’altercation qui a eu lieu, vendredi dernier, lors d’une réunion qui devait se tenir à Ghisunacciu avec les agriculteurs sur la gestion de l’eau et où Charles Sisti s’en ait pris assez violemment au président de l’Exécutif, Gilles Simeoni. L’agression, qui a profondément choqué le monde politique, mais aussi la société civile, a été unanimement et fermement condamnée par tous les groupes. L’incendie, la nuit suivante, du hangar de l’agriculteur, à qui tous ont apporté leur soutien et qui a déchainé une vague de rumeurs et d’amalgames, a également été dénoncée. Pour leur part, les Nationalistes ont aussi fustigé la dizaine d’arrestations, mardi matin, de militants de Nazione dans le cadre d’une enquête menée par le Parquet national anti-terroriste sur une série d’attentats commis en 2023, estimant qu’elle n’a pas sa place dans le temps d’un processus d’autonomie mené avec l’Etat et censé aboutir à une solution politique globale.
 

Gilles Simeoni. Photo Paule Santoni.
Gilles Simeoni. Photo Paule Santoni.
Des logiques de tensions
« Un épisode déplaisant ». C’est par ce terme diplomatique que le président de l’Exécutif revient, brièvement sur l’altercation, dont il a été victime à Ghisunaccia. « Il n’est pas nécessaire, ni souhaitable de s’exprimer de cette façon, ni au plan humain, ni au plan politique, ni au plan du respect des institutions. Nous Nationalistes, dans la diversité de nos convictions, nous devons cultiver la démocratie, cela n’exclut pas la critique véhémente dès lors qu’elle s’exprime dans des termes acceptables. Pour moi, l’incident est clos. J’aurais l’occasion de m’expliquer avec les différents protagonistes dans un autre cadre ». Affirmant sa solidarité avec l’agriculteur du Fium’Orbu après l’incendie criminel qui a détruit son hangar, il commente la simultanéité des faits : « Je ne sais pas qui a guidé les auteurs de cet acte. Je suis obligé de constater qu’il est intervenu dans les heures qui ont suivi et d’en conclure qu’il y a des gens dans l’ombre qui se sont servis de ce qui s’est passé pour se livrer à une destruction criminelle et, sans aucun doute, cherché à dissimuler leurs intentions réelles et à exacerber les logiques de tensions et de conflit. Ces logiques, il faut les apaiser et les éteindre. Notre responsabilité collective est de chercher à désamorcer ce genre de situation. Nous devons fixer le cap qui ne peut pas être autre chose que celui du dialogue et de la démocratie ». Plus globalement, il estime que cette tension ne peut être déconnectée du processus d’autonomie : « Le moment est important, et quand il y a des moments importants, des formes de tensions s’exacerbent, aussi des logiques de conflits, y compris avec des intentions et des desseins mal identifiés ». S’adressant aux Nationalistes, Gilles Simeoni les invite à enterrer la hache de guerre : « Il y a la nécessité incontestablement de se parler. A nous de donner à notre peuple des raisons de croire et d’espérer à travers des actions concrètes et de construire une société où le respect doit être le maitre-mot ».

Paul-Félix Benedetti. Photo Paule Santoni.
Paul-Félix Benedetti. Photo Paule Santoni.
La voie du dialogue
Un avis partagé par le président de Core in Fronte, Paul-Félix Benedetti, qui évoque « une société anxiogène, une société violente où les rapports de force se sont imposés comme mode de dialogue. Ce qui se passe en Corse, c’est le traceur d’une île qui est hors notion d’Etat de droit ». Il plaide pour le retour à « un équilibre qui passe par des règles de base, comme le respect les uns des autres, le respect des diversités, le refus des pressions, des comportements caméléons et des comportements d’autruche », taclant au passage ceux dont l’attitude consiste à « faire semblant de ne pas voir ceux qui ont des comportements crapuleux et néfastes et qui se maquillent derrière une logique respectable. Se faire l’aveugle, le sourd et surtout le muet qui ne dit rien ». Il s’inquiète « des logiques factieuses qui se sont déjà exprimées par des scrutins électoraux qui vont nous emmener vers des abimes dans dont nous aurons du mal à nous relever ». Pour lui, il faut choisir la bonne voie, celle du dialogue, de la concertation et de la raison. Il en appelle à Gilles Simeoni : « Président, vous avez une autorité très forte, vous avez un devoir d’être un rassembleur. Vous avez eu une attitude très digne au Fium’Orbu. A ces invectives, j’aurais probablement réagi différemment. Je crois qu’il faut aller au dialogue, tendre la main. Je suis prêt à vous accompagner. D’autres sont prêts, je pense, parce qu’on ne peut pas laisser des épiphénomènes de surenchère. Lorsque suite à un incident, des personnes malveillantes cherchent à profiter pour créer le trouble, attiser les haines, les rancœurs et les violences, c’est les prémices d’un retour à des choses très graves que nous avons malheureusement connues par le passé. Vous êtes l’autorité politique la plus haute de Corse, donc il vous appartient de chercher les facilitateurs pour que ça se fasse ».

Josepha Giacometti-Piredda. Photo Paule Santoni.
Josepha Giacometti-Piredda. Photo Paule Santoni.
Revenir au projet national
Sur l’incident du Fium’Orbu, Josepha Giacommetti-Piredda, élue de Nazione, admet que « L’image ne peut satisfaire personne, ni pour l’institution, ni sur le plan humain ». Tout en justifiant les raisons : « C’est le fruit de la colère et de l’exaspération qui doit nous interpeller tous. C’est la genèse de mois d’attente, de non choix. Au-delà, c’est un monde agricole en crise qui s’est exprimé, qui n’arrive plus à vivre dignement du prix de son travail, en crise profonde face à la dépossession de la terre, face à la peur de l’avenir ». Pour elle aussi, la réponse doit être collective, « celle de la solidarité, de la détermination pour tous ceux qui souhaitent porter un autre modèle, pour donner confiance, pour donner envie de continuer, d’entreprendre ». Elle répond favorablement à Gilles Simeoni en y mettant des conditions : « Il y a une dynamique qui, malheureusement, a été cassée. Il y a des failles, des divisions, des difficultés que, je crois, nous pouvons et nous devrons dépasser. Elles ont créé un affaiblissement qui fait que tous les opportunismes malsains peuvent tenter de s’infiltrer. Il nous faut donner de l’espérance à notre peuple et à notre jeunesse. Il faut replacer le curseur au bon niveau. Il faut revenir à un projet national qui se remet en perspective d’action et de résistance. En ce sens, nous y participerons ».
 

Jean-Christophe Angelini. Paule Santoni.
Jean-Christophe Angelini. Paule Santoni.
Un mal profond
Le respect et le dialogue sont aussi nécessaires pour Jean-Christophe Angelini, président d’Avanzemu. « On doit le respect à l’institution et à ceux qui les incarnent. Quelques soient les désaccords et les mécontentements, on n’accepte pas que le président de l’Exécutif, la présidente de l’Assemblée ou n’importe lequel d’entre nous puisse être invectivé ou pris à partie comme ce fut le cas. Je fais mien, pour une fois, les propos du président. Nous appelons de nos vœux pour que le dialogue soit renoué. La gestion de crise nous convient. Il y a nécessité d’évoluer sur des bases de respect, sans invective, sans surenchère, sans céder à d’éventuelles provocations ». Lui aussi blâme les rumeurs qui se sont déchainées après l’incendie du hangar : « On rentre dans le sport national d’un pays qui confond rumeur et réalité, spéculation et vérité, et a un peu perdu la boule au fil des fakes news et des poussettes. Ce qui s’est passé le soir est une poussette ». Il se demande comment « dans un pays où on brûle, où on tue » peut arriver le temps des solutions et avoue un certain pessimisme. « Je ne vais pas vous dire qu’on va construire un avenir de paix et un chemin meilleur, parce que je n’y crois plus. Le problème est d’arriver à créer les conditions pour que ce pays change enfin. Dire qu’on va faire reculer le mal et faire revenir les bonnes pratiques, c’est faux ! Le mal est plus profond ». Il s’adresse aux Nationalistes : « Nous manquons singulièrement, depuis juillet 2021, de lieux et de moments où exprimer, purger nos désaccords. Nous sommes passés de « Tutti inseme » à « Tutti in guerra ». Est-ce que je prends ma part ? Bien sûr ! La question est : qui de nous ne la prend pas et pense que c’est l’autre camp qui est responsable ? Quand la majorité explose, çà affaiblit ceux qui en sont exclus et tout autant ceux qui en font partie. C’est très exactement ce que nous sommes en train de vivre ». Il faut, donc, déclare-t-il, créer avec tous les Corses, « les ferments d’un collectif. On peut essayer de se parler, même si au final on ne tombera pas d’accord sur tout ».

Jean-Martin Mondoloni. Photo Paule Santoni.
Jean-Martin Mondoloni. Photo Paule Santoni.
Le respect de l’institution
Si, à droite, Jean Martin Mondoloni, président d’U Soffiu Novu exprime une « solidarité sans ambiguïté à un homme qui voit son outil de travail détruit par les flammes », il fustige « les images insoutenables » de l’altercation du matin : « Rien ne peut justifier que l’on puisse s’en prendre à un homme, à une fonction et à une institution. Cette histoire est un épiphénomène qui doit nous alerter. On doit épargner l’institution et sanctuariser les fonctions. Le président de l’Exécutif, c’est notre représentant partout où il se trouve. L’institution, et c’est en cela que ça a choqué beaucoup de monde, doit être préservée d’une certaine forme de mélenchonisation de la vie publique ». Pour lui, ce n’est pas Gilles Simeoni qui a été interpellé, mais l’institution à cause de l’usure de pouvoir : « Il est normal qu’il y ait une frustration sociétale parce que la société est en attente d’un projet de société et ce défaut nous prive d’un espoir. Vous avez été élus en 2015 sur des conditions inédites, vous avez été plébiscités. Plus grande a été l’illusion, plus grande est la désillusion ! ». Lui aussi s’interroge sur la concomitance des deux faits et salue « l’attitude exemplaire du président de l’Exécutif, tant sur les faits que sur la pondération de ses propos ». Il martèle aussi la nécessité d’apporter une réponse « aux plus désespérés, à ceux qui sont en passe de basculer dans une forme de violence » et parle même « d’un devoir d’optimiste envers les plus jeunes. Il faut parler à une partie de l’opinion : il y a des gens qui construisent, qui entreprennent tous les matins et qui ont besoin de l’appui de notre institution ». Quant aux autres, évoquant les chiffres « effarants » des incendies criminels, « Le feu est devenu une arme conventionnelle qui est particulièrement préoccupante ». il conclut en citant Pablo Neruda : « Il faut leur dire qu’ils peuvent couper toutes les fleurs du monde, personne n’arrêtera le printemps ! ».
 
N.M.