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Josep-Maria Terricabras : « Les Catalans savent qu’ils n’ont pas d’autre choix que l’indépendance ! »


Nicole Mari le Lundi 27 Avril 2015 à 23:59

Le 9 novembre 2014, la Catalogne, bravant l’interdiction de l’Etat espagnol, organise un référendum d’autodétermination qui mobilise 2,4 millions de Catalans et consacre la victoire politique des partis nationalistes. Ceux-ci, devant l’autisme de Madrid, ont décidé d’utiliser les élections parlementaires catalanes du 27 septembre, comme référendum définitif. En cas de victoire, ils feront une déclaration unilatérale d’indépendance. L’euro-député catalan, Josep-Maria Terricabras, vice-président du groupe Verts-ALE (Alliance Libre européenne) au Parlement européen, qui fut l’invité d’a Ghjurnata d’Arritti, explique, à Corse Net Infos, que le 9 novembre a changé la donne politique et fait sauter les derniers verrous mentaux à l’indépendance. Il affirme que rien désormais n’entravera la marche vers la liberté.



L'euro-député catalan, Josep-Maria Terricabras, vice-président du groupe Verts-ALE au Parlement européen, avec l'euro-député, José Bové, au domaine viticole d'Antoine Arena à Parimoniu, lors d’a Ghjurnata d’Arritti.
L'euro-député catalan, Josep-Maria Terricabras, vice-président du groupe Verts-ALE au Parlement européen, avec l'euro-député, José Bové, au domaine viticole d'Antoine Arena à Parimoniu, lors d’a Ghjurnata d’Arritti.
- Le référendum du 9 novembre et la victoire du OUI ont-ils modifié la donne en Catalogne ?
- Oui ! Le 9 Novembre a été une journée de libre participation collective pour dire si nous voulions ou pas une Catalogne indépendante. La participation a été formidable ! Tout le monde a trouvé formidable qu’après la tragédie de Charlie Hebdo, près d’un million et demi de personnes ont manifesté dans les rues de Paris. En Catalogne, 2,4 millions de personnes ont voté pacifiquement. Cela a donné une impression terrible au gouvernement espagnol qui n’a pas compris ce qui se passait. Comme il avait interdit cette expression de liberté, il pensait que nous accepterions cet interdit. Nous ne l’avons pas accepté ! Le fait de voter pacifiquement a changé la vision que nous avions de nous-mêmes.
 
- C’est-à-dire ?
- Nous avons vu que nous sommes capables de faire quelque chose contre l’Etat… sans qu’il ne se passe rien ! Les gens sont allés voter et sont rentrés tranquillement à la maison. Ils ont bravé l’interdit et ne se sont pas retrouvés en prison. Cela nous a donné une auto-estime absolument essentielle.
 
- La population ne se pensait-elle pas capable de le faire ?
- Non ! Nous venons d’une dictature terrible, la dictature de Franco. Je me souviens qu’à la maison, on me disait : « Josep-Maria, ne te mets pas en politique ! », car tout était interdit, sanctionné. Les gens plus âgés avaient fait la guerre de 36, la dictature s’est terminée en 1975. 40 ans de dictature et d’oppression dans une période d’un siècle, c’est absolument terrible ! Les gens avaient, tout simplement, peur ! Ils pensaient qu’il fallait mieux ne rien dire. Quand ils ont vu qu’ils pouvaient dire ce qu’ils pensaient, pas seulement sur le cinéma ou la culture, mais sur la politique, et qu’ils ont eu le courage de faire, alors ils ont gagné encore plus de courage. Du coup, maintenant, ils sont prêts à agir.
 
- L’Etat espagnol a-t-il changé d’attitude ?
- Non ! Mais, il a vu que c’était sérieux ! Il disait toujours : « Le mouvement catalan pour l’indépendance est un soufflé, ça monte et, après, ça redescend ! ». Là, il a vu que ce n’était pas un soufflé, mais un gâteau en chocolat solide et bon à manger ! Il n’a pas changé pour autant sa position ! Pour moi qui suis démocrate, je trouve incroyable que le gouvernement ne puisse imaginer d’autre possibilité que de continuer à faire en Espagne ce que l’on fait depuis le 6ème siècle !
 
- Comment expliquez-vous cette crispation, ce repli des Etats, comme la France ou l’Espagne, après la vague de régionalisation des années 80 ?
- Le pouvoir a la tentation d’être un pouvoir absolu. Partager le pouvoir, flexibiliser, dialoguer, c’est compliqué ! Il existe en France une formule originale et excellente pour la démocratie, mais très difficile à vivre pour les politiciens : la cohabitation ! En France, comme en Espagne, où règne le bipartisme, on rejette les coalitions de gouvernance. Le pouvoir partagé, le pouvoir en dialogue, n’est pas considéré comme quelque chose de normal. Donner du pouvoir à d’autres, c’est très intelligent, très bon moralement, mais politiquement, c’est effrayant !

Josep-Maria Terricabras avec l'eurodéputé José Bové, le président de l'ALE, François Alfonsi, et le directeur général, Gunther Dauwen.
Josep-Maria Terricabras avec l'eurodéputé José Bové, le président de l'ALE, François Alfonsi, et le directeur général, Gunther Dauwen.
- Aujourd’hui, quel est l’état d’esprit politique en Catalogne ?
- Un état de confiance et de joie ! De tristesse aussi, parce que nous n’avons pas convaincu le gouvernement espagnol d’organiser un référendum normal. Peut-être aurions-nous gagné ? Peut-être le gouvernement aurait-il gagné ? En Ecosse, le gouvernement anglais a accepté de jouer le jeu et il a gagné ! La résistance espagnole est plus qu’illogique, elle est presque irrationnelle. Qu’allons-nous faire ? Ce que font les jeunes à qui les parents interdisent de sortir la nuit : nous allons sortir quand même… par la fenêtre, si c’est nécessaire ! Une grande majorité de la population est d’accord. Voir ensemble, dans les grandes manifestations, des gens de 90 ans et des jeunes de 15 ans, des gens issus de toutes les classes sociales, les uns parlant catalan, les autres, espagnol… c’est formidable ! Cette force n’émane pas d’un groupe social ou d’un parti politique, c’est une idée partagée transversalement par la société. C’est pourquoi elle garantit l’avenir.
 
- A quoi attribuez-vous cette prise de conscience collective, ce besoin massif de décider par soi-même ?
- C’est absolument naturel ! Ce qui ne l’est pas, c’est que quelqu’un à Madrid puisse décider quelles seront, par exemple, les destinations des avions au départ de Barcelone ! L’aéroport de Barcelone n’est pas autonome alors que ceux de Londres et de Paris le sont. Les gens découvrent que décider sur place est possible, est plus intéressant, plus efficace et que cela lui apporte plaisir et succès. Comme lorsque la femme a découvert qu’elle pouvait décider de faire les choses par elle-même ou pas, de travailler ou pas, de faire des enfants ou pas… C’est une révolution !
 
- Ne s’est-elle pas faite avec l’autonomie ?
- Non ! L’autonomie a été un accord avec l’Etat. Elle nous a donné quelques possibilités, des capacités, quelques pouvoirs… Mais, on a compris que tout cela ne menait nulle part, ne nous donnait absolument rien ! Je pense que la première séparation catalane a été mentale. Ce que nous voulons, c’est décider de l’éducation de nos enfants. Pourquoi les ministres peuvent-ils espagnoliser les enfants catalans ? Pourquoi la gestion de nos hôpitaux doit-elle se décider ailleurs ? Pourquoi ne pouvons-nous pas décider nous-mêmes ? Nous avons, alors, coupé le lien et pris notre liberté. Aujourd’hui, beaucoup de Catalans n’écoutent plus ce que disent les ministres espagnols. Ils haussent les épaules et disent : « Nous ferons notre chemin ». Et, nous ferons notre chemin !
 
- Vous dites que les Catalans sont pour l’indépendance, mais ne sont pas indépendantistes. N’est-ce pas paradoxal ?
- Non ! Les Catalans ne veulent pas d’une étiquette : « Je suis indépendantiste. Je le suis dans toutes les situations possibles ». Non ! Ils disent : « Je suis pour l’indépendance parce que, maintenant, c’est impossible de trouver une solution meilleure ». Il n’y a pas d’autre choix ! Tous nos efforts vis-à-vis de Madrid ne sont pas payés de retour. L’alternative, c’est le statu-quo, un chômage de 24%, des étudiants qui doivent quitter le pays parce qu’ils ne peuvent plus étudier, la recherche qui n’est plus financée, un aéroport où on ne peut pas choisir la destination des avions… et une démocratie très faible. Des manifestations sont interdites autour du Parlement, les manifestants sont frappés d’amendes très lourdes… Tout cela nous rapproche du franquisme !
 
- Est-ce la crise économique qui produit ce retour sur soi et sur son territoire ?
- C’est un élément important, mais le problème est plus profond. C’est, surtout, une crise des valeurs, une crise sociale. Aujourd’hui, la liberté est devenue plus importante que la discipline et l’obéissance. Ce n’était pas le cas en Espagne, il y a 30 ans. Rester maître de sa propre vie, même si cette vie est économiquement étroite, compte plus qu’obtenir un bon travail et gagner beaucoup d’argent. Les gens veulent décider, ne plus être traités comme des machines, ils refusent de se taire. Ce changement de vision sociale change tout ! Les anciennes valeurs, les anciennes idées, les vieilles solutions et les discours politiques deviennent ridicules. La révolution technologique a transformé nos vies et la transformera encore dans les prochaines années. Une société nouvelle commence.

- La Catalogne est la région la plus riche d’Espagne. Sa richesse pèse-t-elle dans le refus espagnol de lui accorder sa liberté ?
- Oui ! Nous participons avec une solidarité énorme au PIB (Produit intérieur brut) espagnol ! Nous lui donnons toujours 9% de notre PIB ! C’est un gros cadeau ! La question économique ne nous impressionne pas, mais, pour l’Espagne, la séparation serait terrible. L’économie catalane représente 24% de l’économie espagnole. C’est beaucoup d’argent ! Sans la Catalogne, l’Espagne va cesser d’être ce qu’elle est, un pays de 2ème division, pour passer en 4ème division. Le choc serait très fort ! Je comprends le problème, mais je m’étonne, aussi, que les Espagnols ne se disent pas : « C’est si grave pour nous qu’il faut trouver une solution ! Que pouvons-nous dire aux Catalans ? Que pouvons-nous faire ? Que pouvons-nous leur offrir ? ». Quand, dans un divorce, l’un des deux ne veut pas divorcer, il tente de trouver des points d’accord pour recommencer la vie commune.
 
- Le pouvoir espagnol laisse-t-il pourrir la situation ? Pense-t-il qu’elle s’arrangera d’elle-même ?
- La situation est déjà pourrie. Je ne crois pas qu’aujourd’hui, on puisse l’arranger.

Josep-Maria Terricabras, entouré de José Bové, et des Nationalistes corses : Max Simeoni, Jean-Guy Talamoni et François Alfonsi.
Josep-Maria Terricabras, entouré de José Bové, et des Nationalistes corses : Max Simeoni, Jean-Guy Talamoni et François Alfonsi.
- Quelle sera la prochaine étape de cette marche en avant vers l’indépendance ?
- Le 24 mai, se tiendront les élections locales et, le 27 septembre, les élections au Parlement catalan. Comme nous n’avons pas eu la possibilité de faire un référendum, nous jugeons que ce scrutin de septembre sera le référendum. Les Catalans peuvent voter pour les trois partis nationalistes : Esquerra Republicana de Catalunya (ERC) qui est mon parti, la CUP (Candidatura d’Unitat Popular), jeune parti gauchiste, et Convèrgencia I Unió (CiU), le parti de droite du président catalan qui, en 2012, a opté pour l’indépendance. Nous posons, aux Catalans, la question : « Si l’addition des députés de ces trois partis donne une majorité, voulez-vous l’indépendance ? ».
 
- Si vous gagnez, que ferez-vous ?
- Nous ferons une déclaration unilatérale d’indépendance, en deux temps. Alex Salmon voulait la faire en Ecosse avec l’accord du gouvernement britannique. Nous, nous la ferons, seuls, si nous n’avons pas l’accord de l’Espagne. Nous ferons une déclaration, pas une proclamation ! C’est comme dans un divorce : on déclare que l’on veut divorcer et on prépare les papiers. Nous préparerons une Constitution catalane que nous voterons dans un an et demi. Là, nous proclamerons l’indépendance.
 
- Ne craignez-vous pas la réaction de Madrid ?
- Si le gouvernement espagnol essaie de nous poser des problèmes, nous espérons que la Communauté internationale comprendra qu’on ne peut pas aller contre la volonté libre des citoyens en Europe. Ce serait absurde ! On n’est plus dans les années 20 ou sous des régimes autoritaires comme celui de Franco. On ne peut plus nous envoyer l’armée et les chars ! Que peut-on faire dans un Etat démocratique ? On accepte la volonté des citoyens.
 
- Londres a promis à l’Ecosse une autonomie à la lisière de l’indépendance. Accepteriez-vous une telle proposition de Madrid ?
- Non ! Le gouvernement espagnol ne fait pas ce qu’il signe ! On ne peut pas le croire ! L’ancien statut d’autonomie n’est même pas appliqué en entier.

- Comment l’Europe réagit-elle à ces processus d’autodétermination ?
- L’Europe ne dit rien ! Elle ne dit jamais rien avant les faits. Elle réagit toujours, une fois les faits accomplis. Le silence de l’Europe est formidable ! Il veut dire : Laissons parler les Catalans ! Si l’Europe nous trouvait fous ou idiots, elle le dirait, mais elle laisse faire. Sa réaction dépendra du résultat du 27 septembre. Elle sera très différente si le Oui l’emporte avec 51% des voix contre 49% ou avec 60% contre 40%.
 
- L’Europe aurait-elle dépassé l’archaïsme des Etats ?
- L’Europe est, surtout, pratique et pragmatique. Elle a tout accepté : l’Allemagne de l’Est, la Croatie, la Bulgarie… Qui, dans le monde, peut comprendre que l’Europe dise au Kosovo et à l’Ukraine : « Venez, venez ! » et dise à la Catalogne : « Va-t’en, va-t’en ! » ? Nous sommes plus stables et plus riches que le Kosovo. Va-t-elle nous refuser ? Non ! Surement pas

Josep-Maria Terricabras goutant les crus d'Antoine Arena aux côtés de José Bové et de Jean-Christophe Angelini.
Josep-Maria Terricabras goutant les crus d'Antoine Arena aux côtés de José Bové et de Jean-Christophe Angelini.
- Ce réveil des peuples, ce désir d’autodétermination, qui fleurit un peu partout, sont-ils inéluctables ?
- Pour certains peuples, oui ! Aujourd’hui, les Ecossais et les Catalans voient clairs. Mais il n’y pas beaucoup de peuples qui soient prêts à franchir le pas ou qui aient la possibilité de le faire. Par exemple, en Belgique, les Flamands ne veulent pas l’indépendance. Ils sont déjà presque indépendants. Ils se sont arrangés avec ce système de fédération qui fonctionne. Il n’y a pas de solutions abstraites, générales. Chaque pays doit tracer son propre chemin. Les Catalans sont dans une situation perverse parce qu’ils ne peuvent pas trouver, ensemble, avec les Espagnols, la solution. L’Espagne dit : « Non ! Il n’y a pas de solution pour vous ! ». Nous la trouverons, en passant par la fenêtre ! Pour nous, il n’y a pas d’autre chemin.
 
- La solution ne serait-elle pas l’Europe en tant que fédération de régions ?
- Oui ! C’est probablement le chemin que l’Europe doit prendre. Les actuels Etats si durs, si lourds et si fermés n’ont pas de futur ! Je ne suis pas eurosceptique, mais eurocritique, très fortement critique ! Au Parlement européen, si on n’est pas un Etat, on n’est rien ! Si nous arrivons à être un Etat, nous travaillerons à changer le rôle des Etats et à ouvrir l’Europe aux régions et aux nations sans Etat. Les Etats classiques doivent perdre une partie de leurs pouvoirs absurdes et les transférer au Parlement européen qui, aujourd’hui, n’a pas d’initiative législative. Il fait les lois qu’on lui propose. Mais, c’est, quand même, incroyable qu’un Parlement ne puisse pas proposer des lois ! Il faut changer l’Europe pour la rendre plus souple et la rapprocher du citoyen. Il suffit de voir la faible participation aux élections européennes pour comprendre que, si rien ne change, la perte de confiance sera terrible !
 
- Faut-il revenir au citoyen comme pilier essentiel de l’Europe ?
- Absolument ! C’est la base ! Les Etats et l’Europe doivent se rendre compte qu’ils ne peuvent pas gouverner contre les citoyens. Quand les citoyens comprendront qu’ils ont le choix, non seulement lors des élections européennes, mais aussi lors des élections nationales, de dire : « Non ! Je ne vais pas voter ! Parce que vous agissez mal, vous agissez contre nous ! ». Alors, ce sera la révolution ! Alors, il faudra bien que les Etats entendent la voix des citoyens et changent. C’est clairement le cas de la Catalogne. Le chemin vers l’indépendance n’a pas été préparé par les partis politiques. C’est la société qui l’a tracé par des démonstrations massives de millions de personnes, appartenant à différents partis, marchant ensemble dans la rue. Ce n’est pas une question idéologique. C’est une espérance énorme, formidable, de construire un Etat différent, un Etat meilleur ! Elle nous rend heureux !
 
Propos recueillis par Nicole MARI.