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Nanette Maupertuis : « Attention aux manipulations, aux amalgames trop hâtifs ! »


Nicole Mari le Jeudi 22 Mai 2025 à 17:43

Climat pesant en Corse, contexte préoccupant en Europe, situation dramatique à Gaza, mais aussi la place des îles dans la prochaine politique de cohésion européenne… Lors de son allocution d’ouverture de la session de mai, la présidente de l’Assemblée de Corse, Nanette Maupertuis, appelle à éviter les manipulations et les amalgames. Elle annonce que Bruxelles a accepté de mettre en place une stratégie spécifique pour les îles de l’Union européenne et qu’avec l’Exécutif, elle œuvre pour créer un partenariat plus fort avec les régions frontalières italiennes.



Nanette Maupertuis, présidente de l'Assemblée de Corse. Photo Paule Santoni.
Nanette Maupertuis, présidente de l'Assemblée de Corse. Photo Paule Santoni.
C’est in lingua nustrale que la présidente de l’Assemblée de Corse, Nanette Maupertuis, a débuté son discours d’ouverture de la session de mai en se focalisant sur les évènements qui ont touché le monde agricole. Elle est revenue notamment l’assassinat de Pierre Alessandri : « U settore agriculu hè toccu torna un volta. C’hè statu prima l’assassiniu di Pierre Alessandri qualchi settimane fà. U veranu hè vultatu, i fiori sò sbucciati mà Pierre, ellu, ùn c’hè più. Pensu à a so famiglia è a so amichi. Perchè ? Perchè l’anu tombu ? Annant’à stu drama ùn si sà nunda… E’ vulemu tutti avè una risposta ! E’ u più prestu pussibule ! ». Avant d’enchaîner sur la pression que subissent les agriculteurs et les derniers incendies et incidents de Ghisonaccia : « L’agricultura corsa ghjè sottu pressione : a terra hè scarsa, i ghjovani ùn si ponu più stallà, l’acqua manca in certi rughjoni… Pò, ci sò state l’inghjuglie di un agricultore contru à u Presidente di l’esecutivu. Ciò chì s’hè passatu hè grave. Eiu sò sulidaria di u Presidente, di l’omu, di u militante, di l’elettu. Ùn si parla micca cusì ! Mà sò dinù sulidaria di st’omu vittima u lindumane di un incendiu. Perde u fruttu di u so travagliu. Ghjè un scuppientu per ellu è i so figlioli. E’ dicu attenti ! Attenti à e manipulazione, à e speculazione, attenti à e cumbricule… ». Dans ce climat pesant, il faut, dit-elle, faire « attention aux manipulations donc, aux amalgames trop hâtifs, attention… Car la paix si durement acquise est vulnérable. Or, les arrestations de ces dernières heures, dans le mouvement nationaliste, viennent appesantir le climat déjà délétère et ne laissent présager rien de bon ». Avant de demander que « l’apaisement et le dialogue prévalent ».
 
Rien d’acquis
Pour la présidente Maupertuis, cette ambiance lourde et l’inquiétude qu’elle génère, prouve qu’en Corse, comme en Europe « rien de ce que nous pensions comme acquis ou définitif, ne l’est en réalité. Que ce soit la paix, la prospérité, la libre circulation, ou encore la défense des droits de l’Homme, toutes ces victoires permises par l’Union européenne n’apparaissent plus aujourd’hui comme des évidences ». Mais aussi à Gaza avec la situation dramatique du peuple palestinien. « Les regards européens, qui se détournent de ce qui relève aujourd’hui d’une intention manifeste d’occuper Gaza et d’anéantir sa population, participent à une remise en question claire des valeurs de l’Europe et font la part belle aux faiseurs de guerre au détriment des messagers de l’espoir. Ce qui se joue à Gaza concerne l’Europe et nous concerne tous. Plus de 50 000 morts, une population affamée, une famine généralisée, des hôpitaux et structures de santé systématiquement détruits, des images d’enfants qu’aucun regard humain ne saurait supporter. Nous ne pourrons pas dire ne pas avoir su ! ». Elle rappelle l’appel à la paix du nouveau Papa Leone XIV au balcon de la basilique
Saint-Pierre le 8 mai dernier, et espère que ces mots « un peu galvaudés reprennent vie à travers un véritable projet politique commun... Au-delà des valeurs fondamentales, l’Europe repose aussi et surtout sur la reconnaissance et la célébration de la diversité ».
 
Une stratégie pour les îles
Dans ce contexte, elle avoue « sa fierté » d’avoir été élue le mois dernier Présidente de la Commissions des îles de la Conférence des Régions périphériques maritimes (CRPM). « Cette Commission qui réunit les îles de toutes les mers de l’Union européenne a un rôle important à jouer en Europe pour la prise en compte de nos spécificités. D’autres avant moi y ont joué un rôle clé, je pense évidemment aux Présidents Baggioni et Simeoni, et j’espère que cette présidence nous donnera les moyens de peser de manière décisive dans les décisions à venir ». Elle affirme que l’Europe est dans une période charnière. « Ainsi, le 2 avril dernier, le Commissaire européen à la Cohésion et aux réformes, Raffaele Fitto a annoncé - lors de la présentation de sa proposition de révision de la politique de cohésion - vouloir lancer prochainement une stratégie spécifique pour les îles de l’Union européenne ». Et de citer un extrait du document officiel qui l’atteste : « Les îles et les régions ultrapériphériques sont confrontées à des défis spécifiques liés aux coûts plus élevés des matières premières et de l'énergie, en particulier après le début de la guerre en Ukraine, en plus des contraintes inhérentes à leur déconnexion physique et à leur éloignement du continent qui affectent le marché du travail, le transport et la mobilité, l'accès aux matières premières, ainsi que l'approvisionnement en énergie. Cette déconnexion géographique rend également beaucoup plus difficile la transition propre de ces territoires vers une économie neutre sur le plan climatique. En outre, les emplois saisonniers créés par le tourisme cachent souvent un manque d'opportunités d'emploi attractives pour la population locale ».
 
Un héritage commun
Les prochaines semaines pourraient être décisives « pour la reconnaissance de nos contraintes spécifiques et leur véritable intégration dans les arbitrages budgétaires de l’Union », estime la présidente de l’Assemblée de Corse, qui vient de participer à la conférence budgétaire annuelle de l’Union européenne en tant que seule représentante du Comité européen des régions. Elle assure donc qu’elle œuvrera pour permettre des avancées significatives. « Cela passe aussi par le renforcement des bassins maritimes de proximité. J’ai eu l’honneur en mars dernier de proposer une réflexion de haut-niveau sur la place de la Corse dans l’Arc nord-tyrrhénien et la nécessité de mieux appréhender les zones frontalières maritimes aussi bien au niveau européen que national. Les personnalités présentes ont toutes été marquées par la prégnance de nos spécificités, la réalité de nos contraintes et les potentialités d’une meilleure cohésion entre notre île et nos partenaires italiens ». Et d’asséner : « Pour la Corse, l’Europe ce n’est pas que Bruxelles, des financements et des beaux discours. C’est surtout Santa Teresa di Gallura, Livorno et Genova qui sont à quelques encablures de nos côtes et avec lesquelles nous partageons un héritage commun. Nous aurons d’ailleurs à célébrer une part de cet héritage, le 3 juin prochain lors d’une initiative sur les liens entre Paoli et la Toscane, dans le cadre du 300ème anniversaire du Babbu di a Patria. Parler de Paoli à Florence c’est redonner une centralité à cette histoire séculaire faite de liens et de partages, centralité que nous souhaitons recréer à travers un partenariat plus fort entre nos régions ».
 
Un statut nécessaire
Nanette Maupertuis se réjouit donc des efforts de l’Exécutif et l’Assemblée de Corse pour « durablement inscrire la Corse et les îles dans les process européens et ainsi répondre à des besoins concrets qui concernent notre vie de tous les jours : surcoûts, accessibilité, services… ». Un mouvement qu’elle qualifie de positif, mais qui serait « incomplet s’il ne s’accompagnait pas d’un statut institutionnel à la hauteur des défis, c’est-à-dire reconnaissant notre rôle tout particulier dans cet espace méditerranéen aux enjeux ô combien puissants et déterminants pour l’avenir du monde, mais aussi nous octroyant les moyens de décider par nous-mêmes des politiques à mener pour résorber toutes les contraintes liées à notre condition d’insulaires ».