Corse Net Infos - Pure player corse

Bruxelles : Les députés et élus européens font front commun pour défendre la politique de cohésion et la PAC


Nicole Mari le Mercredi 9 Octobre 2019 à 19:15

La politique de cohésion et la politique agricole commune (PAC) sont menacées. Des Etats de l’Union européenne (UE) les remettent en cause. C’est avec une réelle inquiétude que deux élus français, Younous Omarjee, député européen de la France Insoumise et président de la REGI (Commission du développement régional), et Isabelle Boudineau, vice-présidente en charge de l’Europe de la région Nouvelle Aquitaine, membre du Comité européen des régions (COR) et présidente de la COTER (Commission de la politique de cohésion territoriale et du budget), ont lancé, mardi matin, un cri d’alarme à Bruxelles. Profitant de la Semaine européenne des villes et des régions, ils ont exhorté les États à afficher une ambition claire en faveur d’une cohésion renforcée, du maintien du FEADER et d’un véritable budget communautaire pour la période 2021-2027. Ils craignent une année blanche pour les porteurs de projet. Explications, pour Corse Net Infos, d’Isabelle Boudineau.



Isabelle Boudineau, vice-présidente en charge de l’Europe de la région Nouvelle Aquitaine, membre du Comité européen des régions (COR) et présidente de la COTER (Commission de la politique de cohésion territoriale et du budget) du Comité des régions.
Isabelle Boudineau, vice-présidente en charge de l’Europe de la région Nouvelle Aquitaine, membre du Comité européen des régions (COR) et présidente de la COTER (Commission de la politique de cohésion territoriale et du budget) du Comité des régions.
- Pourquoi cet appel en commun ?
- Nous avons profité de la Semaine des villes et régions pour organiser la réunion annuelle REGI-COTER, la première de cette nouvelle mandature. Avec le député Younous Omarjee, président de la REGI du Parlement européen, nous avons décidé de nous voir régulièrement. Tous les avis, que nous formulons les uns et les autres, s’enrichissent mutuellement et permettent de faire un front commun qui nous rend plus efficaces pour être entendus par le Conseil et la Commission européenne. Le but est notamment d’obtenir de meilleures dispositions et des moyens suffisants pour renforcer la politique de cohésion.
 
- Etes-vous inquiets ?
- Oui ! Nous sommes inquiets parce que nous sommes en pleine négociation du budget européen et qu’il nous semble que celui de la cohésion va, de nouveau, pâtir de baisses significatives. Peut-être que le budget global va-t-il légèrement progressé, mais ce n’est même pas sûr ! Nous avons peur que la cohésion et la PAC ne soient les variables d’ajustement de nouvelles compétences que se donne l’Union européenne. Par exemple, l’UE aura un budget de la Défense, va s’occuper de la sécurité aux frontières, d’accueillir plus dignement les réfugiés, va beaucoup augmenter le financement de la Recherche et d’Erasmus…  Tout cela à budget constant, voire même en baisse, c’est-à-dire qu’on va puiser dans les autres budgets. Donc, c’est la politique de cohésion qui sera impactée par ce besoin d’alimenter de nouveaux budgets.
 
- Pourquoi la politique de cohésion serait-elle plus impactée qu’une autre ?
- Elle est relativement contestée par un certain nombre d’Etats-membres, notamment du Nord de l’Europe – Suède, Danemark, Autriche, Allemagne, Hollande… - et un peu la Grande-Bretagne. Ils considèrent que la politique de cohésion n’est que du saupoudrage, qu’on n’en mesure pas exactement les effets, qu’on peut faire aussi bien avec moins, et que les citoyens ne la connaissent pas assez. Sinon il n’y aurait plus d’euroscepticisme en Europe pour la bonne raison que tout le monde devrait savoir que la politique de cohésion, donc les fonds structurels européens, aident les projets partout sur les territoires. Effectivement, peu de gens le savent ! Donc, ces pays considèrent qu’on n’est pas efficace dans le besoin de faire savoir que ces fonds existent et que l’Europe agit au quotidien pour les citoyens.
 
- Quel niveau de baisse craigniez-vous ? On parle de 10 % ?
- Gunther Oettinger, le commissaire européen chargé du budget, vient de nous annoncer une baisse de 6% sur la cohésion. Pour l’instant, les seuls chiffres, qui circulent, sont les propositions de la Commission européenne. Cela ne veut pas dire qu’on atterrira sur ces chiffres-là. C’est le Conseil européen qui décidera dans des huis-clos, des couloirs, des tractations entre les pays. Les décisions sur le budget ne sont jamais transparentes !
 
- Quelles seront les conséquences directes pour les citoyens ?
- L’effet de levier sera moindre sur un certain nombre de projets. Les fonds européens permettent de travailler sur la base d’une gouvernance collective, d’une dynamique locale pour monter un projet. Une fois qu’un projet est mûr et qu’il obtient des fonds européens, c’est une garantie de sérieux terrible. Les fonds sont l’amorce d’un budget qui, ensuite, s’accroit avec un tour de table et par un effet levier qui fait intervenir le département, la région sur ses fonds propres, voir d’autres sources de financement. C’est une subvention, pas un instrument financier comme le plan Juncker basé sur un prêt, ce qui demande de la trésorerie pour commencer à travailler et rembourser. Nous instruisons aujourd’hui plus de 100 000 dossiers, il y en aura sans doute un peu moins ou moins d’argent par dossier.
 
- Younous Omarjee dit que des millions d’emplois dépendent de la politique de cohésion. Sont-ils menacés ?
- Quand on aide les PME à monter en compétence, à se doter d’un meilleur outillage, il est évident qu’on crée des emplois qui sont mis à l’abri de l’économie mondialisée et des concurrences des pays à bas coûts. Cela permet effectivement de préserver des emplois de haute qualité. Une entreprise, qui ne fait pas de Recherche & Développement (R&D), n’est pas concurrentielle sur le marché mondial. Il faut, donc, absolument, que les PME augmentent leur compétitivité et, surtout, leur R&D pour trouver des produits à haute valeur ajoutée.
 
- La France serait-elle touchée ? Quelles régions seraient particulièrement concernées ?
- La France serait concernée, mais un élément intervient dans le pourcentage de fonds européens que l’on peut mettre sur un projet, c’est le fait d’être classée en région de transition. Il y a trois types de régions en Europe : les régions développées, les régions en transition et les régions les moins développées. Ces dernières bénéficient d’un maximum de fonds avec des financements européens qui peuvent atteindre jusqu’à 80% sur un projet. Les outils statistiques ont montré que la France était un pays où il y avait de très sérieuses inégalités territoriales avec des métropoles riches et des campagnes ou du péri-urbain qui s’appauvrissent. Elle a, donc, été classée en « région en transition », ce qui fait qu’on pourra cofinancer plus fortement nos projets, ce qui atténuera la baisse des crédits. On se retrouvera, au final, avec un volume assez stable. Ceci dit, être classée « en transition » n’est pas une bonne nouvelle ! Seules l’île de France et Rhône-Alpes sont classées en « région développée ». A l’exception des RUP (Régions ultrapériphériques) qui sont classées en « non développée », toutes les autres sont en transition.

Le député Younous Omarjee et Isabelle Boudineau.
Le député Younous Omarjee et Isabelle Boudineau.
- Autre inquiétude : la baisse de la PAC. Qu’en est-il exactement ?
- On nous annonce des baisses massives sur le FEADER (Fonds européen agricole pour le développement rural), le deuxième pilier de la PAC. La baisse serait de 7% à 8% globalement sur la PAC, mais atteindrait 30 % sur le FEADER. C’est une nouvelle très inquiétante ! Surtout que le FEADER, ce fonds de développement agricole, mais aussi rural, s’adresse à des porteurs de projets dans des zones qui, à part ce fonds, n’ont rien d’autre pour financer des projets. Par exemple, des cafés associatifs dans des tout petits villages, des projets culturels… Ce type d’actions ne se ferait pas si l’Europe n’était pas là pour les promouvoir. En baissant ces fonds, ce sont des zones entières qui se sentiront totalement mises à l’écart de ce que l’Europe peut faire au quotidien. Cela va générer un sentiment de décrochage total, le sentiment d’être oublié par l’Europe. Déjà que beaucoup de citoyens pensent que l’Europe ne s’intéressent pas à eux. Si en plus, on leur dit : « Vous ne vous en rendiez pas forcément compte, mais l’Europe était là, mais maintenant elle ne le sera plus », alors là, je crois que l’opinion sur l’Europe sera très dégradée.
 
- La France ne semble pas prête à accepter cette baisse ?
- Les propositions de la Commission européenne ont été dévoilées il y a un an. Aujourd’hui, nous sommes en phase de négociation, mais on ne sait rien de ces négociations qui ont lieu au sein du Conseil entre les Etats-membres. On sait juste que la France ne veut pas de la baisse du budget de la PAC, il faut dire qu’elle en est le principal bénéficiaire puisqu’elle en reçoit 25 %, mais que beaucoup de pays la veulent. On sait aussi que, pour l’instant, tout ce que l’UE veut faire ne rentre pas dans le budget tel qu’il est prévu. Il faut, donc, baisser des politiques : si ce n’est pas la PAC, ce sera la cohésion ! Pour notre part, nous considérons que le 2ème pilier de la PAC, c’est de la cohésion. C’est du développement local, donc, il obéit à la même philosophie qu’un fonds de cohésion.
 
- Dans combien de temps interviendront ces décisions ?
- Justement, c’est la grande question ! Notre inquiétude est qu’ils sont en train de perdre du temps. Normalement, le budget devait être décidé d’ici à la fin de l’année sous la gouvernance actuelle finlandaise, mais les bruits de couloir laissent entendre que ce sera sans doute finalisé, bien après, sous présidence allemande, c’est-à-dire au deuxième semestre 2020. Nous commençons à craindre très sérieusement qu’on ne soit pas en ordre de marche au 1er janvier 2021. Cela pourrait vouloir dire une année blanche pour les porteurs de projets sur les fonds européens.
 
- Par exemple, sur le FEADER ?
- Non ! Pour le FEADER, cette question ne se pose pas parce qu’il dispose d’un système et d’une période de transition où l’on peut commencer à utiliser les prochains fonds sur la base des règlements antérieurs. Ensuite, on ajuste. Par contre, sur le FEDER (Fonds européen de développement régional) et le FSE (Fonds social européen), ce n’est pas du tout comme cela. Si le programme n’est pas prêt, il n’y a plus de crédits. La politique de cohésion est la principale politique d’investissement dont disposent nos villes et régions. Tout retard éventuel dans l’adoption du prochain cadre financier pluriannuel, qui suspendrait cette politique pour un ou deux ans, aurait une incidence directe sur la lutte contre la crise climatique et amplifierait encore des inégalités sociales et territoriales qui sont déjà croissantes.
 
- Dans ce contexte, quelle est votre stratégie ?
- Le président de la Commission REGI du Parlement européen découvre que le Comité des régions va vraiment au fond des choses. Nous sommes en prise directe avec les porteurs de projet et dans la mise en œuvre des programmes européens. Il a vraiment l’intention de travailler avec nous pour que nous apportions ensemble une valeur ajoutée à nos propositions. Le but est devenir une force de propositions qui fera que les Etats, à un moment donné, ne pourront pas dire Non. Je pense que ce côté force de proposition avec un front commun de l’ensemble des régions représentées au Comité des régions et de l’ensemble du Parlement européen peut être un levier efficace pour convaincre le Conseil d’être plus ambitieux.
 
Propos recueillis par Nicole MARI.

Budget européen : Un bataille de chiffres

Bruxelles : Les députés et élus européens font front commun pour défendre la politique de cohésion et la PAC
En mai 2018, la Commission européenne a présenté sa proposition budgétaire pour la période 2021-2027, c’est-à-dire le cadre financier pluriannuel fixant les plafonds annuels de dépenses de l’UE. Ce budget correspond à 1,11 % du revenu national brut (RNB) de l’EU-27 post-Brexit, soit 1 279 milliards € en prix courants. Cette proposition introduit une réduction de 10 % du financement de la politique de cohésion et transfert davantage de fonds vers le groupe de régions en transition. Selon les simulations de la Commission européenne, une baisse de 15 % ne permettrait plus à la politique de cohésion de couvrir toutes les régions de l'UE, le financement irait donc uniquement aux régions les plus pauvres. Cela impliquerait que les régions de la France continentale perdraient le soutien de l'UE. Pour la période 2014-2020, 15,1 milliards d’euros sont alloués à la France pour mettre en œuvre cette politique. Ce scénario est actuellement extrême, mais il existe de sérieux risques. L’Allemagne, l'Autriche, la Suède, la Hollande et le Danemark ont demandé que le budget de l’UE ne représente plus que 1% du RNB des 27, ce qui est bien en deçà du budget actuel et de celui proposé par la Commission.
 
Des priorités mises à mal
Selon des sources diplomatiques, la présidence finlandaise vise un budget de 1,06 % du RNB, ce qui supposerait des réductions supplémentaires de 60 à 70 milliards €, réductions qui pèseraient sur la politique de cohésion (environ 25 milliards d’euros). Les trois priorités de la nouvelle Commission - le pacte vert, une économie au service des personnes et l’ère du numérique - risquent d’être particulièrement affectées par des coupes supplémentaires dans la politique de cohésion. Le Parlement européen et le Comité européen des régions demandent un budget à 1,3% du RNB. Ils se mobilisent pour défendre une politique de cohésion solide qui continue de soutenir les citoyens et les entreprises dans toutes les régions européennes et associe les gouvernements régionaux et locaux aux décisions d’investissement. Ils affirment la nécessité de garantir un financement adéquat pour aider l’ensemble des régions et des villes de l’UE à devenir plus vertes, plus inclusives et plus intelligentes, en utilisant efficacement les Fonds ESI. Selon eux, la réduction des disparités et l’incitation à la réalisation des objectifs de développement durable doivent devenir des priorités communes et ne pas être mises à mal par une approche descendante des réformes, axée sur l’austérité.