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Nanette Maupertuis : « La Corse peut servir de laboratoire dans le cadre du Pacte pour la Méditerranée »


Nicole Mari le Lundi 17 Novembre 2025 à 19:09

Le mercredi 12 novembre s’est tenue à Bastia, dans le cadre de Corsica Pruspettiva 2050, une conférence sur le Plan bleu de l’ONU qui décline les scénarii envisagés et les défis à relever pour la Méditerranée. Les 6 et 7 novembre à Palerme, lors de l’Assemblée régionale et locale euro-méditerranéenne (ARLEM), la présidente de l’Assemblée de Corse, Nanette Maupertuis, membre du Comité européen des régions (CdR), a été désignée corapporteur avec la Jordanie sur le Pacte pour la Méditerranée, soutenu par l’Union européenne. Elle explique à CNI les enjeux concrets pour la Méditerranée et la Corse, notamment en termes d’eau, d’agriculture, de foncier, mais aussi de connectivité numérique et de transport.



Nanette Maupertuis, présidente de l’Assemblée de Corse, présidente du groupe politique Alliance Européenne (EA) au Comité européen des régions (CdR), présidente de la Commission des îles au sein de la CRPM, corapporteur du Pacte euro-méditerranéen.
Nanette Maupertuis, présidente de l’Assemblée de Corse, présidente du groupe politique Alliance Européenne (EA) au Comité européen des régions (CdR), présidente de la Commission des îles au sein de la CRPM, corapporteur du Pacte euro-méditerranéen.
- Quel était l’enjeu de la conférence sur le Plan bleu que vous avez tenue à Bastia ?
- Cette conférence relative à l’avenir de la Méditerranée s’inscrit dans le cadre de Corsica Pruspettiva 2050 qui, sous ma présidence, vise à établir des scénarii concernant la Corse dans une génération. Nous avons fait venir l’équipe du Plan bleu parce que cet organisme, qui dépend de l’ONU, a, à trois reprises, en 1989, en 2005 et en 2025, effectué un travail prospectif sur le devenir de la Méditerranée. Nous voulions obtenir des éléments méthodologiques, mais aussi et surtout savoir en quoi les prévisions, qui ont été faites, s’étaient révélées justes. Enfin, quelles étaient les perspectives parce que cela aura des conséquences sur la Corse à l’horizon 2050.
 
- Quels enseignements en avez-vous tiré ?
- D’abord, il y a eu, depuis 1989, des accélérations du changement climatique. C’est un résultat qui était attendu. Le changement climatique va encore s’intensifier. La hausse des températures en Méditerranée devrait dépasser les +2 °C dès 2040 pour atteindre +2,3 °C en 2050, entraînant une élévation du niveau de la mer d’environ 40 cm. L’étude a aussi vérifié l’augmentation de la demande en eau à l’échelle méditerranéenne et celle de l’urbanisation et du tourisme. La population des pays méditerranéens devrait continuer de croître de 20 à 30 % pour atteindre 630 à 690 millions d’habitants en 2050 contre 520 millions aujourd’hui. Plus de la moitié de cette population et des activités pourrait se concentrer sur le littoral contre 30 à 40 % actuellement. Et ce, avec des conséquences économiques, sociales, environnementales sans précédent. Par contre, la vitesse de ce changement climatique et le rôle des réseaux sociaux dans la géopolitique avaient été sous-estimés. Ces enseignements sont importants pour le travail que nous menons pour la Corse.
 
- Globalement, l’étude 2025 n’apprend rien de nouveau ?
- Ce sont des choses que tout le monde sait de manière générale, mais personne ne sait encore ce qu’il se passera à l’horizon 2050 pour la Corse. Nous n’avons, pour l’instant, que des analyses sectorielles, c’est-à-dire des analyses sur la température, la demande en eau, la pression sur les terres, notamment le foncier et, par ricochet, l’immobilier. Mais personne n’est en capacité d’avoir une vision globale qui croise l’ensemble de ces dimensions, sans compter le changement technologique. Or, le travail que nous voulons faire, c’est exactement le travail qu’a fait le Plan bleu en 2025 pour 2050, c’est-à-dire dessiner une vision globale et établir différents scénarii. Pour mémoire, le Plan bleu a prévu six scénarii, des moins optimistes au plus optimistes. Le plus pessimiste montre une Méditerranée particulièrement fragmentée avec une biodiversité complètement modifiée, des tensions géopolitiques, mais aussi des tensions autour des ressources naturelles, en particulier l’eau et les ressources halieutiques. Le scénario le plus optimiste décrit une logique de mise en commun de la Méditerranée érigée en « bien commun de l’humanité » avec des stratégies de coopération et des partenariats forts entre les régions. Ce que nous ne cessons d’ailleurs de préconiser depuis notre accession aux responsabilités à la Collectivité de Corse. Cela rejoint l’autre enseignement important de cette conférence qui est le rôle que peuvent jouer les autorités locales et régionales.
 
- Pourquoi n’est-ce pas le cas aujourd’hui ?
- Il y a 30 ans, on a pensé l’Union pour la Méditerranée, dont on va fêter l’anniversaire à la fin du mois à Barcelone, comme une union des Etats. On a considéré que l’avenir de la Méditerranée était dans la main des Etats riverains. Mais, dans la réalité, ce sont les élus locaux, qui sont proches du terrain et des difficultés des gens, qui doivent pallier l’érosion du littoral, la raréfaction des ressources naturelles, notamment l’eau, et qui sont confrontés à la pression du tourisme, à la pression foncière et à la spéculation. Ces élus doivent être impliqués dans tous les plans et toutes les politiques publiques qui visent à sauvegarder la Méditerranée. Pour nous, c’est un message très important. Nous le disons et nous y croyons depuis toujours, mais qu’un organisme comme le Plan bleu, qui dépend de l’ONU, le dise aussi, cela nous conforte dans notre conviction que les autorités régionales et locales, en particulier celles situées dans les territoires insulaires, ont un rôle important à jouer.

- Est-ce ce que vous avez défendu à Palerme où vous avez été désignée corapporteur sur le Pacte pour la Méditerranée ?
- Oui ! J’ai été nommée, lors de la réunion de l’ARLEM à Palerme, corapporteur sur la proposition qui a été faite par la Commissaire Dubravka Šuica concernant un espace méditerranéen commun avec un Pacte pour la Méditerranée. Il y a toujours un rapporteur européen et un rapporteur des Pays du Sud ou du Moyen-Orient. Notre idée avec mon corapporteur, qui est jordanien et maire d’une ville, est de faire des propositions très concrètes. La première est effectivement de ne pas renouveler l’erreur faite, il y a 30 ans. Les autorités régionales, locales et provinciales doivent être associées à la gouvernance du Pacte euro-méditerranéen parce que, je le répète, elles sont confrontées aux chocs, elles connaissent leurs voisins, y compris de l’autre côté de la frontière, elles connaissent les besoins des populations et jouent souvent le rôle d’amortisseur des crises. Souvent les premiers soins, les premières actions sont celles des élus locaux. Il y avait à Palerme notamment les représentants de Lampedusa et des îles grecques qui sont en première ligne en matière de migrations. Ce sont eux, et pas leur capitale, qui reçoivent les migrants. En matière de gestion des crises, de proximité, de réponse aux populations, les autorités locales jouent un rôle essentiel. Avec mon collègue jordanien, c’est vraiment le message que nous allons faire passer à la Commission européenne.
 
- Quelles autres propositions concrètes envisagez-vous ?
- Nous allons faire des propositions concrètes sur la base d’échanges d’expériences. En matière, par exemple, de jeunesse. Nous allons étudier une idée qui circule, mais qui n’est encore qu’une hypothèse, d’Université de la Méditerranée, c’est-à-dire une mise en réseau des universités méditerranéennes. Les universités touchent, à la fois, à la formation de la jeunesse et à la recherche et au développement de solutions concrètes à tous les défis que j’ai évoqués. En matière également de coopération. J’espère que ce rapport apportera une dimension plus opérationnelle à la grande stratégie européenne pour la Méditerranée. C’est le sens de la démarche que nous portons avec la majorité territoriale corse. La Méditerranée est un bien commun avec une mer en partage. Ce qui se passe à l’autre bout, par exemple la production de plastique, atterrit sur nos côtes. Donc, on ne peut pas faire comme si nous étions seuls. Cette Méditerranée, nous devons la protéger, elle doit nous unir au lieu de nous séparer.
 
- Quel est, pour la Méditerranée, le défi majeur à relever à court terme ?
- Il y a deux défis importants. Le premier défi majeur est l’eau. L’eau, c’est la vie. Sans eau, il n’y a plus d’agriculture, plus de tourisme, et, indépendamment de cela, plus de vie. Sans eau, nous ne ferons rien. En Méditerranée, 280 millions de personnes n’ont pas accès à l’eau. Il faut donc agir et agir vite, y compris d’un point de vue technologique. Nous pouvons bénéficier de nouvelles technologies qui permettent, soit un recyclage, soit un dessalement, et qui peuvent être transférées vers les pays du Sud. Il y a aussi des techniques vernaculaires, c’est-à-dire des savoir-faire de gestion de l’eau dans certains pays, notamment sur la Rive Sud, qu’il faudrait récupérer. Il faut agir, sans quoi cela créera des tensions géopolitiques majeures. Le deuxième enjeu est évidemment la jeunesse. Pour travailler sur l’avenir, il faut impliquer la jeunesse, ce n’est pas nous qui devons définir ce que sera la Méditerranée dans 25 ans. Dans le cadre du Pacte pour la Méditerranée, nous allons travailler à la formation des jeunes, à des projets de coopération entre jeunes, et surtout à une sensibilisation des jeunes à la nécessité de sauvegarder les écosystèmes, mais aussi et surtout à la nécessité de produire, d’échanger et de vivre différemment. Je rappelle qu’un défi très important en Méditerranée est la démographie qui est différente entre le Nord et le Sud. Sur la Rive Nord, le vieillissement de la population est particulièrement important. Sur la Rive Sud, la croissance démographique est en train de ralentir, on assiste donc à une transition démographique.

- Dans cette configuration, à quel niveau la Corse est-elle concernée ?
- La Corse, en tant qu’île et par sa position au cœur de la Méditerranée, peut servir de laboratoire. Cela nous a été dit par les responsables du Plan bleu et souligné d’ailleurs à Palerme. Le projet de Pacte pour la Méditerranée de la Commissaire Šuica ne prend pas en compte les îles. J’ai insisté sur ce manque parce que les îles concentrent aujourd’hui tous les défis qui se posent en Méditerranée. Un petit territoire comme le nôtre concentre, à la fois, les effets du changement climatique, les effets démographiques, la question de l’usage des terres, la question identitaire, l’impact des nouvelles technologies et surtout les questions de connectivité qui sont essentielles. Donc, le rôle que peuvent jouer les territoires insulaires, et en particulier la Corse, est d’être en capacité d’expérimenter par exemple de nouvelles techniques de gestion de l’eau et de recyclage. Les îles sont aussi de fabuleux laboratoires pour tester de nouvelles variétés végétales plus résilientes au changement climatique. Enfin, dans les îles en général, les brassages de population font que les sociétés sont a minima biculturelles, - comme nous qui avons une culture corse, une culture française et deux langues -, mais ont très souvent des identités multiculturelles comme à Malte ou en Sicile. Une île est donc un petit territoire particulièrement intéressant où l’on est en capacité de voir quel est le changement global déjà à l’œuvre et où l’on peut faire le lien entre toutes les dimensions de ce changement global.
 
- En quoi le changement climatique impacte-t-il la connectivité ?
- Le changement climatique n’impacte pas directement la connectivité. La connectivité est une des tendances fortes, tout autant que le changement climatique, dans les évolutions que nous aurons à affronter dans les années qui viennent. Elle a été traitée dans le cadre du Pacte pour la Méditerranée et nous la traiterons dans la prospective que nous faisons pour la Corse. La connectivité est de deux ordres : la connectivité numérique qui est essentielle aujourd’hui et qui fait que la Corse n’est plus une île en tant que telle sur le plan de l’espace numérique mondialisé. Elle apporte des solutions très concrètes sur le plan technologique en matière d’IA (Intelligence artificielle) qui permettent de réguler l’eau et l’usage de certaines ressources. Elle joue aussi sur la localisation des individus et des entreprises, donc l’attractivité de la Corse et la localisation des habitants et des entreprises au sein du territoire dépendent d'elle. C’est à prendre en compte. Deuxième élément de connectivité : la connectivité physique qui fait que nous pouvons être reliés au continent et à toutes les rives de la Méditerranée de manière aisée. C’est fondamental dans le futur.
 
- C’est-à-dire ?
- En Corse, nous le savons très bien, on a toujours pensé les relations de transports du Sud vers le Nord. Aujourd’hui, le projet que nous portons est un projet de transversalité en Méditerranée. C’est-à-dire mettre en place des connexions aisées avec le continent dans sa partie méditerranéenne, avec l’Italie, la Toscane, la Ligurie, mais aussi la Sardaigne, la Sicile et la Catalogne. Nous avons donc tout intérêt à penser une Méditerranée intégrée et une Corse qui joue un rôle à la fois économique, culturel et scientifique dans cette Méditerranée. La connectivité physique passe par un réseau de transports adapté, que ce soit sur le plan aérien ou maritime. C’est ce à quoi nous nous employons dans les logiques de coopération que nous développons, notamment avec l’Office des transports et avec le programme Interreg.
 
- La semaine prochaine, commencent les travaux sur le PADDUC. Va-t-il prendre en compte cette dimension de changement global ?
- Je rappelle que le PADDUC (Plan d’aménagement et de développement durable de la Corse) est une programmation de développement durable qui vise le long terme, mais il faut aussi agir à court et à moyen terme. Tout ce que nous avons pu produire dans le cadre de Corsica pruspettiva sera mis à la disposition du Conseil exécutif et des conseillers territoriaux, puisque l’un des enjeux majeurs qui a été souligné encore par les représentants de l’ONU, c’est la question non seulement de l’eau, mais des terres arables, de la concurrence foncière et du foncier disponible. D’un point de vue de la méthode, ces différentes dimensions sont liées, on ne peut donc pas détourner le regard. On doit intégrer les visions de long terme, y compris dans les décisions que nous aurons à prendre à court et moyen terme en matière d’aménagement du territoire.
 
- Un rapport, tout aussi lié, sur la résilience et la sécurité civile sera présenté en session de l’assemblée de Corse. De quoi s’agit-il exactement ?
- Il s’agit d’un rapport porté par le président de l’Exécutif qui justement met l’accent sur le changement climatique et les conséquences qu’il peut avoir en matière de ressources en eau, de sécheresse et de gestion du territoire. Il vise à développer une réponse des pouvoirs publics forte à ces différents changements. On est plutôt dans une logique de court et moyen terme parce qu’on ne peut pas attendre 2050, il faut agir tout de suite. Ce rapport est important parce qu’il traite de la question de la protection civile, c’est-à-dire de la protection de la nature et surtout des activités humaines. Les incendies impactent non seulement la nature, mais provoquent aussi des destructions de cultures, d’infrastructures, d’immobilier économique, d’entreprises… Il est donc fondamental que la Collectivité de Corse, qui est tout à fait dans ses compétences, réponde à cette nécessité et à ce défi.
 
Propos recueillis par Nicole Mari.