Corse Net Infos - Pure player corse

Transports maritimes de la Corse : La délégation de service public gagne le port in-extrémis sous la tempête


Nicole Mari le Mardi 20 Décembre 2022 à 22:03

L’Assemblée de Corse a adopté, mardi soir, la nouvelle délégation de service public (DSP) de transport maritime d’une durée de sept ans sur les lignes entre Marseille et les cinq ports de l’île. Un vote in-extrémis pour un service public sauvé de haute lutte face à Bruxelles et que l’Exécutif corse a tenté de sécuriser le plus possible pour éviter les contentieux à répétition qui plombent les finances de la Collectivité. Sans surprise, la droite a émis ses réserves habituelles et l’opposition nationaliste a tiré à boulets rouges sur la durée de la DSP et le report de la compagnie régionale, s’attirant une riposte cinglante du président Simeoni.



Photo CNI.
Photo CNI.
Il n’y a pas un seul débat sur l’épineux dossier de la desserte maritime de la Corse qui ne vire à la passion et à la polémique. Celui qui a secoué l’Assemblée de Corse, mardi après-midi, n’a pas fait exception à la règle. Le sujet étant par nature houleux, l’Exécutif corse s’attendait à affronter une pluie de critiques et de réserves, mais pas, en toute bonne foi, à un tel avis de tempête déclenchée par ses anciens alliés et qu’il juge immérité. Le ton entre nationalistes est assez vite monté dans les tours et les échanges ont, comme souvent, depuis le début de la mandature, viré à l’aigre et aux règlements de comptes. La critique la plus attendue était celle de la deadline, difficile d’y couper ! C’est, en effet, de justesse, à une très courte encablure de l’échéance de fin d’année que la future Délégation de service public (DSP) maritime, qui doit débuter le 1er janvier 2023 pour une durée de sept ans, a été proposée au vote. Le dossier d’attribution des délégations devait impérativement être adopté avant minuit pour limiter les risques de contentieux. Le temps presse, et c’est le moment que choisit le leader de Core in Fronte, Paul-Félix Benedetti, pour demander de consulter des annexes qui ne peuvent faire l’objet de communication publique. C’est la première crispation. L’Exécutif, qui n’apprécie guère « l’arrière-plan de suspicion », y accède de mauvaise grâce au regard de l’heure qui file et accorde une suspension de séance qui se prolonge bien au-delà du temps imparti.

Flora Mattei. Photo Michel Luccioni.
Flora Mattei. Photo Michel Luccioni.
Un service public sauvé
Ce vote in-extrémis, l’Exécutif s’est attaché, depuis des semaines, à le prévenir et à l’expliquer, communiquant sans relâche sur le bras de fer qui l’oppose à Bruxelles avec pour enjeu, la survie même du service public maritime entre l’île et le continent. « Jusqu’aux toutes dernières heures, il a fallu se battre pied à pied pour obtenir le plus haut degré de sécurisation possible. Notre volonté était de sécuriser de A à Z une DSP qui, depuis des décennies, fait l’objet de contentieux qui ont couté très cher aux Corses et au service publique maritime de la Corse. Nous avons eu le feu vert de la Commission européenne, le 2 décembre en fin d’après-midi. C’est pour cela que le délai est si contraint », justifie, avec un soulagement certain, le président du Conseil exécutif, Gilles Simeoni. Le soulagement est à la hauteur de la crainte qui, depuis plus d'un an, tenaille l'Exécutif d’un naufrage corps et biens du service public maritime dans le dogme libéral européen de la libre concurrence, entrainant dans son sillage, par effet boule de neige, le service public aérien. Bruxelles doute de la nécessité de subventionner une desserte qui pourrait être assurée par des compagnies privées, la convaincre fut ardu. « Les doutes ont été levés. Une étape très importante sur la procédure de DSP est franchie. Nous avons du objectiver le besoin public de la desserte maritime, faire preuve d’opiniâtreté pour déconstruire les lobbies qui sont très actifs, mais aussi les idées reçues et faire en sorte que notre exigence de continuité territoriale soit validée », déclare la conseillère exécutive et présidente de l’Office des transports, Flora Mattei. Avant de planter le décor : « Il y a un mois, nous n’étions pas sur ce terrain d’atterrissage. Si nous n’avions pas réussi à convaincre du bien-fondé de cette DSP, plus aucun navire ne rentrerait, ni ne naviguerait de et vers le port de Prupria, les ports de Lisula et de Portivechju, de manière quasi certaine, n’auraient plus de flux entrants en dehors de la saison estivale. Il y aurait également l’explosion de l’économie de la Corse avec un tarif d’acheminement des marchandises qui aurait été déplafonné et complètement fluctuant au gré des opérateurs privés qui en fixeraient les modalités. Sans compter l’impact sur le panier moyen de la ménagère ». Elle prévient que le combat continue « pour acheminer les marchandises à un coût maitrisé avec la qualité, la fréquence, les exigences économiques, sociales et environnementales qui nous permettront de diminuer le handicap insulaire ».

Paul-Félix Benedetti. Photo Michel Luccioni.
Paul-Félix Benedetti. Photo Michel Luccioni.
Une gestion de boutiquiers
C’est comme d’habitude Paul Quastana, élu de Core in Fronte, qui ouvre brièvement le bal en décrétant qu’une DSP de sept ans sonne « la mort » de la compagnie publique régionale et en pointant le risque financier. « L’enveloppe de continuité territoriale est figée depuis 14 ans ». Il s’interroge « sur le coût financier sous le rythme de l’inflation : on va se retrouver en cessation de paiement si les contrats annuels sont maintenus ». Ce n’était qu’une entrée en bouche. Le président du groupe, Paul-Félix Benedetti, enfonce le clou sur la compagnie régionale : « La convention va nous lier jusqu’en 2030 et met une hypothèque très forte sur une compagnie régionale. On aurait pu choisir d’autres méthodes que la continuité de l’existant, ça rassure l’Exécutif qui pense que c’est un contrat stable. Ce ne doit pas être l’axe de notre politique de rechercher l’absence de recours. Il n’y a pas de traceur. On a accepté les diktats de l’économie, d’une logique traversière exclusive Corse-France imposée sur Marseille. J’aurai pu accepter un contrat sur 4 ou 5 ans, mais il nous appartient d’avoir des visions politiques, pas d’être des boutiquiers de l’enveloppe budgétaire ». Le leader indépendantiste fustige « le croisement de deux marchés incompatibles au niveau de la DSP : le marché de l’approvisionnement de la Corse et le marché du tourisme ». Ce qui le contrarie surtout, c’est la négociation elle-même : « On est parti d’une offre aberrante à une offre que l’Exécutif juge plus juste, alors qu’il y a augmentation de 30% des frais de fonctionnement dans un mécanisme opportuniste avec un effet d’aubaine de la crise. Sur 8 ans, indexé sur le coût des ménages, ça va faire beaucoup ! Il faut changer de braquet et revenir à de l’idéologie ».

Jean-Christophe Angelini. Photo Michel Luccioni.
Jean-Christophe Angelini. Photo Michel Luccioni.
Pas de marqueur politique
S’il « mesure les difficultés », le compte n'y est pas plus pour Jean-Christophe Angelini, président du groupe PNC-Avanzemu. La critique est vive : « Ce rapport est intrinsèquement cohérent, techniquement juste, mais politiquement n’a pas le souffle que la Corse a la mémoire d’attendre. On a la désagréable impression d’être pris en otage. Vous ne parlez pas de lutte contre la précarité, de la dimension méditerranéenne de la Corse, de la trajectoire de conquête de la compagnie territoriale. A ces agriculteurs, transporteurs, acteurs économiques qui attendent des réponses, on propose des leviers, pas un cadre technique qui répond aux injonctions françaises. On parlait de métro aérien, de liaisons corso-sarde…, on n’en parle plus ! On ne parle plus de tout ce pourquoi on s’est battu pendant des décennies. Jusqu’en 2029, la compagnie territoriale, c’est cuit ! Après, c’est compromis ». Le nœud gordien est, là aussi, la durée de sept ans : « On aurait tout à fait pu la concevoir sur un pas de temps plus raisonnable. On ne peut pas y aller ! Sans quoi on est à rebours de tout ce que l’on croit depuis l’origine. On aurait pu faire différemment, sinon c’est faire injure à notre intelligence collective et à nos convictions fondamentales ». La dent est tout aussi acide chez Josepha Giacometti : « Je ne doute pas que vous avez travaillé sérieusement et avec acharnement, mais je n’ai pas vu de marqueur politique, pas vu la stratégie qui devait être celle de la maitrise publique des transports. La compagnie territoriale est enterrée ! La vision économique, socialement soutenable, je ne la vois pas ! ». Pas convaincue par les arguments avancés, l’élue de Corsica Libera tacle celui de la sécurité. « Si nous partons de ce constat, nous ne demandons plus rien ! Face à l’incertitude, vous avez choisi de pérenniser un système en lieu et place d’une ambition. Vous n’avez pas fait le choix ambitieux d’un nouveau modèle, mais le choix de la dépendance, soumise aux aléas. C’est un choix inconséquent, qui tourne le dos à une stratégie innovante. On choisit d’abandonner ses fondamentaux, je ne vous suivrais pas ».

Jean-Martin Mondoloni. Photo Michel Luccioni.
Jean-Martin Mondoloni. Photo Michel Luccioni.
Le syndrome de Cendrillon
A côté du tir groupé de l’opposition nationaliste, les réserves de la droite apparaissent, par comparaison, presque modérées. S’il salue les efforts déployés auprès du gouvernement et de Bruxelles, Jean Martin Mondoloni pointe « des questions de choix stratégiques et de problèmes de management » et ironise sur « l’hypothèque du syndrome de Cendrillon avec le risque que le navire se transforme en carrosse ». Il remet en cause « les trois vertus cardinales de cet énorme marché public : la maitrise des coûts, la qualité environnementale, la fameuse sécurisation juridique » et dénonce « un jeu de crête par rapport à la volumétrie de la dotation de continuité territoriale ». Pour lui, le risque juridique n’est pas écarté : « Vous avez fait de votre mieux, mais il reste des failles. Le péché originel est les tests de marché. Tels qu’ils ont été effectués, à moins que la Commission européenne ne vous l’ait certifié par écrit, ces tests, censés prouver la carence de l’initiative privée, ont été balayés un peu trop vite. Il y a des fragilités. On vous avait proposé des OSP compensées, également balayées sans discussion ». Enfin, le président du groupe U Soffiu Novu se réjouit de voir que « la compagnie territoriale a du plomb dans l’aile. A mon avis, moins on en parle, mieux c’est ! Dans vos fantasmes collectivistes, vous parlez de rachat de l’outil naval. Si la Commission européenne a validé par écrit ce point-ci, c’est un sujet d’archive, pour le coup historique ! ». Un dernier élément l’interpelle : la lettre de confort. « Nous ne savons pas son contenu, ni sa consistance juridique. Quel est le poids de ce document devant une juridiction ? Sinon l’attestation d’une qualité de travail abouti ».

Hyacinthe Vanni. Photo Michel Luccioni.
Hyacinthe Vanni. Photo Michel Luccioni.
Des questions non posées
Le groupe Fa Populu Inseme monte aussitôt au créneau pour défendre l’Exécutif. Joseph Savelli se veut pédagogique : « On n’a jamais dit que chercher à sécuriser, c’était empêcher les recours ! Concrètement, soit on vote la DSP et on sécurise les circuits d’approvisionnement et d’exportation de la Corse avec des coûts sur lesquels on peut avoir une visibilité, soit on porte atteinte au principe même de continuité territoriale. On pourrait se retrouver avec deux opérateurs privés qui se substitueraient aux besoins de service public en dehors du contrôle de la puissance publique, de la collectivité de Corse, donc de cette assemblée, et auraient la possibilité de fixer leurs prix comme bon leur semble, du transport à la distribution ». Louis Pozzo di Borgo tance le jeu de l’opposition dans l’hémicycle et son absence chronique dans les Commissions « où nous avons le luxe de recevoir des experts et tout le loisir de poser des questions techniques. Je suis choqué de l’absence de certains groupes, pour ne pas dire de tous ! Il n’y a pas eu la moindre question de posée ! Dans cet hémicycle, il y a des cadors et des ténors qui vendent du rêve et des illusions. On ne peut pas nous jeter l’opprobre, remettre systématiquement en question tous les dossiers, notamment celui où nous avons le plus besoin de sécurité. Comment, au lendemain d’une condamnation à plus de 100 millions d’euros, pouvions-nous ne pas aborder la DSP sous l’angle de la sécurisation ? La seule question est : la DSP sera-t-elle attaquée ? ». Hyacinthe Vanni, remet les pendules à l’heure en montrant les marins des compagnies attributaires qui écoutent en tribune : « Cette DSP sécurise d’abord des emplois, derrière il y a des familles, souvenez de l’inquiétude des personnels ! Aujourd’hui, les marins sont plus sereins, apaisés. L’enjeu de cette DSP, c’est le sauvetage du service public, c’est fait ! Sauver les cinq ports était une priorité, c’est fait ! Sauver des emplois, c’est fait ! Diminuer les coûts en passant de 70 à 40, c’est fait aussi ! Cette DSP place la Corse comme l’île de la Méditerranée la mieux desservie et au meilleur prix. Là aussi, c’est fait ! Cette DSP de 7 ans est un point d’équilibre, une étape. Notre objectif, c’est la compagnie territoriale publique, mais il y a un principe de réalité, et arriver là relève presque de l’exploit, compte tenu d’où on est parti ».

Gilles Simeoni. Photo Michel Luccioni.
Gilles Simeoni. Photo Michel Luccioni.

Pas de procès !
Si la majorité territoriale n’apprécie pas la bordée nationaliste, c’est peu dire du président de l’Exécutif. Fort remonté, sa riposte envers ses anciens partenaires est cinglante : « Vos reproches, nous commençons à nous y habituer, c’est votre ligne politique ! Je suis dans le respect intégral de mes engagements et en désaccord total avec vous. C’est le peuple qui, in fine, tranchera, comme il l’a déjà fait. Que vous me le reprochiez, ça ne surprendra personne ! ». Il leur oppose le communiqué commun des sections du STC marins de Corsica Linea et de la Méridionale qui approuvent la DSP. « Qui a porté avec force depuis 1986 l’idée d’une compagnie nationale ? Ce n’est pas vous ! C’est le STC marins qui a dit que notre stratégie était non seulement la bonne, mais la seule viable. C’est un vote conforme à notre engagement historique parce qu’il éloigne clairement, avec la durée du contrat, le spectre de la mort du service public ». Sur la durée de sept ans ? « Vous nous reprochez de dépenser trop, mais ça aurait été beaucoup plus cher dans un contrat court. On n’a pas regardé le temps du mandat, mais l’intérêt de la Corse. En nous donnant sept ans, nous préparons dans les meilleures conditions l’émergence de la compagnie régionale ». Il accepte encore moins qu’on l’accuse de manquer de courage politique : « J’entends qu’on n’assume pas, mais le seul vote qui exprimait un courage politique dans le cadre du contentieux maritime et, donc, de la DSP maritime, c’était de refuser d’inscrire la créance de l’Etat dans le budget de la Collectivité de Corse. C’était la plus forte occasion où il fallait dire ensemble que nous n’acceptions pas les diktats de l’Etat. Quel a été le vote ? », lance-t-il au groupe Avanzemu. « Vous, non-participation ! Vous en êtes fiers et vous assumez vos votes ! Moi, j’assume mes rapports ». Avanzemu proteste. Réplique de Gilles Simeoni : « Vous n’allez pas me faire des procès de remise en cause sans que je vous réponde ! ».
 
Un système vertueux
Le président de l’Exécutif avoue : « Je pensais que nous serions collectivement soulagés du point d’atterrissage que nous avons trouvé ». Il rappelle que l’abandon de la procédure d’enquête formelle contre la DSP 2018-2020 est suspendue par Bruxelles à un point d’accord sur la nouvelle DSP et la validation du périmètre du service public. « L’enquête formelle veut dire la récupération des aides d’Etat et la liquidation de Corsica Linea et de la Méridionale. C’est le premier enjeu. Le deuxième est de tenir compte de la réalité. L’Etat nous a écrit pour confirmer qu’il nous soutenait et la Commission européenne, même si elle n’a pas abandonné toutes ses réserves, nous a autorisé à notifier. Nous ne pouvions pas aller plus loin ». Il assène : « Nous avons démontré le besoin de service public dans les cinq ports, à concurrence de sept traversées par semaine pour les ports principaux et de trois pour les autres. A Pruprià, sans compensation, aucune compagnie ne vient, ça veut dire que le 1er janvier 2023, le port de Pruprià est mort et les emplois directs et indirects avec ! Cette DSP est un système vertueux qui protège l’argent public, la desserte de la Corse et la future compagnie ». Et conclut : « Nous sommes en cohérence totale avec notre vision politique, nos engagements et nos objectifs. C’est avec une sérénité totale et avec le sentiment du devoir accompli que je demande à l’Assemblée de voter ce rapport ». Après une suspension de séance réclamée par Avanzemu, le rapport a été adopté à la majorité, la droite s’est abstenue, l’opposition nationaliste - PNC, Core in Fronte et Corsica Libera - a voté contre.
 
N.M.