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Transports maritimes : La MCM navigue toujours en plein brouillard !


Nicole Mari le Mercredi 17 Février 2016 à 23:38

Le repreneur de l’ex-SNCM, désormais MCM, Patrick Rocca, a présenté, mercredi matin à Marseille, devant le Comité d’entreprise, le plan de cession de la compagnie maritime au consortium Corsica Marittima. Le PDG de l'entreprise se veut rassurant, mais l’intersyndicale, toujours en pleine incertitude sur son avenir, craint un second plan social pour les 900 employés qui ont échappé au premier. Seul, le STC voit dans cette cession un pas de plus franchi pour la création de la compagnie régionale. Jeudi, le tribunal de commerce de Marseille examinera le recours déposé par MCM contre Corsica Linea/Corsica Maritima, ainsi que le rachat non-effectif des actifs de l'ex-SNCM.



Transports maritimes : La MCM navigue toujours en plein brouillard !
On pensait, le 20 novembre dernier, avoir assisté à l’épisode final du feuilleton à multiples rebondissements que nous offre, depuis des années, l’épopée navale de l’ex-SNCM. On pensait que le jugement du Tribunal de commerce, enfanté dans la douleur et la suspicion, entérinait peut-être une nouvelle ère, sur des eaux plus calmes, loin des tempêtes et des naufrages. On pensait même que le changement de nom, de SNCM en MCM, pourrait effacer jusqu’au lourd et houleux contentieux qui grève, depuis des décennies, les relations entre l’ex-compagnie et la Corse et redorer une image durement écornée. On pensait à un certain nombre de scénarii possibles pour l’avenir, plus ou moins heureux … Mais on ne pensait pas que, quelques semaines à peine après avoir remporté la mise dans la partie de billard à quatre bandes, arbitrée par le tribunal de commerce de Marseille, le groupe Rocca cèderait aussi rapidement la main à l’un des vaincus d’hier, son grand rival insulaire, le consortium Corsica Marittima. On aurait du se souvenir que rien n’est jamais simple avec la SNCM, quelque soit le nom qu’on lui donne, que rien ne se déroule jamais comme prévu ! « Techniquement, ce dossier, c’est de la science-fiction permanente ! », résume l'un des avocats de l'affaire.
 
La nouvelle donne
Ce qui était prévu date du 20 novembre. Après un an de tribulations et de tergiversations en tous genres, le Tribunal de commerce de Marseille octroie, à la surprise générale, par défaut, avec un argument assez flou, la SNCM à l’entrepreneur corse, Patrick Rocca, pour un montant de 3,7 millions d’euros. A cela s’ajoutent les charges sociales et salariales pour un montant de 4,47 millions d’euros. Soit un total ridiculement bas de 8,17 millions d’euros pour une compagnie qui vaut plus de 200 millions d’euros ! Sans compter une casse sociale de 583 licenciements. Le tribunal accorde un délai de six mois au nouveau propriétaire pour régler l’ensemble des formalités administratives et autorise une location-gérance en attendant de signer l’acte de cession… qui, à l’heure actuelle, n’est toujours pas signé ! Les syndicats avalent bon gré, mal gré, la couleuvre et avalisent l’accord pour sauver leur compagnie du dépôt de bilan. Mais tout l’édifice ne tient que sur la délégation de service public (DSP) et les aides consubstantielles, promises par la Collectivité territoriale de Corse (CTC).
Ce qui n’était pas prévu survient le 13 décembre, date où la donne change radicalement. Les Nationalistes prennent le pouvoir à la CTC avec, dans leur besace, leur revendication de toujours, portée par leur syndicat-relais, le STC (Sindicatu di i travagliadori corsi), celle de la création d’une compagnie publique régionale corse. Personne ne mesure, alors, vraiment, l’impact d’un tel changement politique.
 
La fin de partie
Ce qui était annoncé, mais potentiellement pas prévu, c’est la tempête qui se lève, le 3 janvier. Deux jours avant que Patrick Rocca ne prenne officiellement les rênes de la compagnie SNCM, désormais baptisée MCM, deux concurrents malheureux à la reprise, le consortium Corsica Marittima et l'armateur Daniel Berrebi, s’unissent pour créer Corsica Linea, une ligne de fret concurrente entre la Corse et le continent. Ils envoient leur premier navire, le Stena Carrier, chargé de marchandises, à l’assaut du port de Marseille. Un bras de fer s’engage avec les marins de l’ex-SNCM qui bloquent ledit port, mais finissent par plier face à la fin de non-recevoir des nouveaux patrons de la CTC qui sifflent la fin de la partie.
Ces derniers sautent sur l’occasion pour annoncer, tout à fois, la création, dès l’automne, d’une compagnie régionale entre la Corse et le continent, la réduction drastique de l’aide financière de la DSP et l’établissement d’OSP (Obligation de service public), notamment sur la liaison vers Marseille. Dans la foulée, un protocole d’accord, ignorant la MCM, est signé entre la CTC, Corsica Marittima, la Méridionale et le STC, en vue de la création de la compagnie régionale. Le groupe Rocca fait de la résistance, mais l’accord fragilise son projet d’entreprise, déjà bien bancal.
Début février, nouveau coup de théâtre. Les rumeurs de dépôt de bilan de la MCM circulent. Patrick Rocca dément. Mais, un mois après sa prise de fonction, il jette l’éponge et annonce des négociations avec son rival insulaire afin de lui céder la société.
 
La revanche des vaincus
Le week-end dernier, un accord est conclu. Il prévoit la cession de 100 % des parts de la MCM, détenues par Patrick Rocca, au consortium Corsica Marittima pour ne former qu’une seule entité. En échange, le premier devient actionnaire et membre du conseil d'administration du second qui regroupe 130 entrepreneurs corses. Au terme d’un nouveau tour de table, les 14 plus gros actionnaires du consortium et Patrick Rocca détiendraient, à égale hauteur, 90% du capital. Les 10% restants reviendraient aux petits actionnaires.
Mercredi matin, les modalités de cet accord sont présentées aux représentants du personnel, lors d’un comité d’entreprise extraordinaire, maintes fois repoussé. Patrick Rocca justifie sa décision par « l'apparition de nouveaux concurrents et une situation de trésorerie extrêmement tendue… De nombreux changements ont fragilisé le projet que je portais, à commencer par la volonté de la CTC de réduire significativement le montant de la compensation de la DSP ». Il se veut rassurant : « Soyez certain que ce rapprochement est la meilleure solution… Nous avons la volonté de trouver un modèle qui va durer et qui va être rassurant pour tous les salariés, dans l'intérêt général de l'entreprise. Le projet est conservé avec six navires, la Corse garde ses quatre cargos mixtes et le Maghreb garde ses navires. Sur les 900 salariés, il n'y en aura pas un seul de moins ! ».
 
Des syndicats divisés
Les syndicats ont diversement apprécié. L’inquiétude et la colère dominent dans l’intersyndicale qui craint un second plan social pour les 900 salariés sauvés du naufrage en novembre, ou pire une liquidation de la société. Elle demande que les engagements du 20 novembre, « et seulement les engagements du 20 novembre » soient respectés. « Manifestement Patrick Rocca a déjà laissé le champ libre à Corsica Marittima et ne défend plus les droits de l'entreprise. C'est une véritable mascarade qui se joue dans le dos des salariés... un odieux parfum de faillite organisée... », s’indigne Pierre Maupoint de Vandeul, délégué CFE-CGC des navigants. Estimant que « Ce changement de capital n'est pas conforme au jugement du tribunal de commerce du 20 novembre », il demande au tribunal de commerce de Marseille de « reprendre le contrôle ». Le leader de la CGT Marins, Frédéric Alpozzo, enfonce le clou et dénonce « une entente pour mettre en difficulté la compagnie, réduire une nouvelle fois la DSP, peut-être même en sortir, exproprier le matériel naval et abandonner l’activité du Maghreb ».
Seul, le STC affiche sa satisfaction et voit cette fusion comme une étape vers la compagnie régionale. « Mr Padrona (Corsica Marittima) a réaffirmé son engagement auprès de la CTC, nous en restons là pour le moment », se contente d’observer le délégué STC marins, Alain Mosconi.
 
Une audience chargée
Ce jeudi, tous les acteurs du dossier se retrouveront, une nouvelle fois, devant le tribunal de commerce de Marseille qui pourrait ou non avaliser la fusion. Mais, pas seulement !
La journée sera chargée judiciairement. Deux audiences sont prévues. Le matin, la juridiction marseillaise examinera en référé les assignations des comités d'entreprises de l'ex-SNCM et de la MCM, contre la concurrence jugée déloyale de Corsica Linea. Ils accusent celle-ci de ne pas respecter la clause de non-concurrence qu’elle a signée, comme tous les autres candidats à la reprise de la SNCM, engageant les signataires pour six mois.
L’après-midi, le tribunal se prononcera sur le rachat effectif des actifs de l'ex-SNCM, notamment sur la non-signature de l'acte de cession des navires qui sont toujours loués par Patrick Rocca. Ce dernier, qui a la jouissance de la compagnie maritime sans en être propriétaire, est assigné par les liquidateurs de la SNCM qui exigent la signature, au plus vite, des actes de cession et, donc, du paiement afférent. Il devra dire s’il a ou non les sommes nécessaires. « La tête de Patrick Rocca va tomber jeudi », commente Jean-François Simmarano, secrétaire CGT du comité d’entreprise. Patrick Rocca ne pouvant céder ce qu’il ne possède pas, Corsica Marittima déclare « être en mesure d’obtenir un financement bancaire approprié » pour le faire.
Dans la foulée, un autre candidat évincé, Ferry de France, créé par Christian Garin associé au groupe grec Arista, a déposé un recours contre la cession de MCM à Corsica Marittima, jugeant que celle-ci « soulève de nombreuses questions économiques et juridiques qui ne peuvent rester sans réponse … et laisse craindre un détournement de procédure ». 
 
Totale incertitude
L’accord de fusion, présenté comme la panacée, est, donc, loin d’être acquis. En plus de sa validation par le tribunal de commerce et de l’acquisition par la MCM des actifs de la SNCM, il reste suspendu à certaines conditions : l’aval des salariés, un accord sur le transfert du siège social de Marseille à Ajaccio, une lettre de soutien de la CTC, le feu vert de l’Autorité de la concurrence et de la Commission européenne par le biais d’une lettre de confort garantissant la discontinuité économique et la conformité au droit européen de la subvention perçue dans le cadre de la DSP…
Au verdict judiciaire, s’ajoute le 25 février prochain, lors de la prochaine session de l’Assemblée de Corse, l’examen du rapport de la Commission de développement économique préconisant la création d’une compagnie corse d’ici à la fin de l’été pour répondre à la future DSP. Ce rapport prévoit l'installation d’un comité de pilotage disposant de trois mois pour faire des propositions sur la mise en œuvre d’une continuité territoriale méditerranéenne et transfrontalière avec la Sardaigne, la Toscane et la Ligurie. De plus, le contrat de l’actuelle DSP, qui s’achève au 1er octobre, inclut, à son terme, un rachat possible par la CTC des actifs, c’est-à-dire des navires. Or, sous la précédente mandature comme sous la nouvelle, la CTC a, toujours, considéré ces navires, financés par les fonds publics depuis trois décennies, comme des biens de retour, c’est-à-dire qu’étant amortis, ils appartiendraient de fait à la collectivité publique délégante à l’issue de la DSP.
C’est dire si l’incertitude sur l’avenir de la MCM est totale et si l’horizon des transports maritimes de la Corse est encore loin d’être dégagé. D’autant que d’autres imprévus ne sont pas à exclure !
 
N.M.