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En Corse, les centres d’hébergement d’urgence menacés par la baisse des subventions


le Dimanche 21 Décembre 2025 à 18:55

Comme partout en France, en Corse, la baisse continue des subventions et les retards de paiement mettent en péril les centres d’hébergement d’urgence, menaçant de renvoyer à la rue des dizaines de personnes déjà au bord de la rupture. La Coordination interassociative de Lutte contre l’Exclusion sonne l'alarme.



À Ajaccio, la Fraternité du partage va devoir fermer une partie de ses lits, notamment à Paese di legnu, ouveau lieu de vie dédié aux grands marginaux  (Photo : Archives Michel Luccioni)
À Ajaccio, la Fraternité du partage va devoir fermer une partie de ses lits, notamment à Paese di legnu, ouveau lieu de vie dédié aux grands marginaux (Photo : Archives Michel Luccioni)
« Les mêmes qui, hier, rendaient hommage au Dr Xavier Emmanuelli, renvoient aujourd’hui à la rue ceux qu’il protégeait ! Ce sont 60 personnes actuellement hébergées à Ajaccio et Bastia, les plus pauvres, ceux qui bénéficient de ces aides vitales, qui voient brutalement se refermer les portes de ces lieux d’humanité ». Subventions de l’État ne cessent de diminuer jusqu’à atteindre peau de chagrin cette année et retards de paiement qui se multiplient : la Coordination interassociative de Lutte contre l’Exclusion (CLE) sonne l’alerte, annonçant que des baisses de financements impacteront gravement le fonctionnement des centres d’hébergement d’urgence (CHUS) en Corse, comme sur le reste de la France.
 
« Les budgets ont chuté à tels points que les centres d’hébergement d’urgence ne peuvent plus fonctionner », s’inquiète le Dr François Pernin, le président de la CLE en soulignant qu’en Corse cette situation menace nombreux centres d’hébergement, notamment ceux de la Fraternité du partage à Ajaccio. L’association perdra en effet neuf lits le 30 décembre prochain. « Au niveau national, même les structures plus solides comme la Croix Rouge sont en danger dans les mois qui viennent.  La situation est très grave », appuie le Dr Pernin. 
 
Pour le président de la CLE, le cadre juridique est pourtant clair. « L’hébergement d’urgence, la mise à l’abri est un devoir d’État. Ce ne sont pas les municipalités ni les collectivités qui sont concernées », souligne-t-il en tançant que la situation est d’autant plus inique que le Président de la République avait affirmé en 2017 « qu’il ne voulait plus voir personne dans la rue ». « Là, nous faisons encore un bond en arrière, alors que la mise à l’abri relève des quatre urgences vitales », insiste François Pernin, rappelant que « selon les chiffres de l’Insee, les plus pauvres vivent en moyenne 13 ans de moins que les plus aisés en France ».
 
Il invoque en outre l’article 345 du Code de l’action sociale et des familles. « Toute personne sans abri, en situation de détresse médicale, psychique ou sociale, a accès à tout moment à un dispositif d’hébergement d’urgence. C’est-à-dire que l’État se met lui-même hors la loi. C’est grave ! », siffle-t-il. Et d’ajouter : « L’État le fait au détriment des plus pauvres, c’est-à-dire des gens qui ne vont rien dire, qui ne pèsent rien. On ne peut pas faire des économies comme ça facilement. Manque de chance, les associations sont là ».
 
Dans ce droit fil, le Dr François Pernin souligne le travail de longue haleine mené par les associations et les institutions et dresse en parallèle l’« immense bond en arrière de 30 ans » que marquerait la disparition des places d’hébergement d’urgence. « Tout le réseau qu’on a mis en place ne va pas s’effondrer, mais il n’y aura plus cette solution. Quant au 115, au SIAO, qui reçoivent les coups de téléphone pour des personnes qui n’ont plus d’abri et qui n’arrivent déjà plus à répondre dans 70 % des cas chez nous, bientôt ils ne pourront plus répondre à rien », déplore-t-il. Et d’appuyer : « Très vite, il va y avoir un nombre de places insuffisant dans les centres d’hébergement d’urgence. On va avoir des gens dans la rue la veille du réveillon de la Saint-Sylvestre, en danger vital. Ce sont des personnes fragilisées sur le plan physique et sur le plan psychique, à qui on a donné une solution de fraternité, de chaleur, puisqu’elles sont accompagnées, nourries, remises dans leurs droits. Et du jour au lendemain, on va leur dire que tout cela est terminé ».
 
Le président de la CLE estime que ce retrait de l’État finira par peser sur les collectivités locales. « Parce que des gens vont mourir dans la rue, ils vont avoir des troubles psychiatriques, mais il va aussi y avoir des maladies dans la rue, des désordres à l’ordre public. Et donc on va tomber dans les responsabilités municipales et des collectivités, et puis tout simplement dans des responsabilités d’humanité et de fraternité », avance-t-il. 
 
Selon la CLE, plus de 300 personnes sans domicile fixe vivraient aujourd’hui en Corse. « Peut-être 150 à Ajaccio, 200 à Bastia. Et puis on les voit apparaître à Calvi, à L’Île-Rousse, à Porto-Vecchio », détaille le Dr Pernin en reprenant : « Et puis depuis 15 ou 20 ans, quelque chose de nouveau pour nous, c’est qu’il y a des femmes dans la rue. Ce sont des gens très gravement touchés sur le plan psychiatrique. La rue est devenue un hôpital psychiatrique à ciel ouvert, comme la prison est devenue un hôpital psychiatrique par défaut ».
 
Et le président de la CLE d’avertir : les associations ne font aujourd’hui que « traiter les conséquences, pas les causes ». « Et comme les causes continuent, le nombre de personnes dans la grande pauvreté augmente et tout est sursaturé. Si, en plus, sur le sursaturé, on enlève des places d’hébergement, c’est la catastrophe », souffle-t-il avant de conclure : « C’est tout à fait comme si, dans une ville, on supprimait les pompiers. Si demain un incendie éclate, on devra se débrouiller avec des seaux d’eau et des gens qui font la chaîne de la fontaine jusqu’à l’immeuble qui flambe ».
 

La préfecture de Corse apporte des précisions

Suite à la « forte mobilisation de l’ensemble des acteurs intervenant dans la prise en charge des personnes à la rue », la préfecture de Corse a souhaité apporter quelques précisions via un communiqué ce jeudi. 
 
Elle indique ainsi qu’entre « le 1er janvier et la fin novembre, le point de situation réalisé pour les associations participant au service intégré d’accueil et d’orientation fait état de 1 408 demandes de prise en charge réceptionnées dans les départements de la Corse-du-Sud et de la Haute-Corse, concernant 471 ménages différents ». « Une solution d’hébergement, d’insertion ou de logement a pu être proposée dans 414 cas (soit 88 %), indiquant la capacité de l’offre territoriale (101 places d’urgence portée par 6 structures associatives) à répondre à la quasi-totalité des besoins exprimés », ajoute-t-elle.
 
Par ailleurs, la préfecture souligne que « la fermeture momentanée de 11 places d’hébergement d’urgence au sein d’un établissement sur le secteur bastiais en début d’hiver a réduit temporairement la capacité d’hébergement et a conduit à des besoins exceptionnels qui ont pu être couverts en redéployant temporairement les moyens vers d’autres types de solution d’hébergement (mobilisation exceptionnelle des CHRS, nuitées d’hôtel...) ». Alors que ces places « sont désormais de nouveau ouvertes », la préfecture affirme que « de la même manière, sur le secteur d’Ajaccio, les services de l’État se mobilisent pour permettre le redéploiement des 9 places prochainement fermées de l’association qui en était l’opérateur désigné ».
 
« Ces difficultés, liées à des décisions des associations financées par l’État dans le cadre de l’hébergement d’urgence, ont donc concerné 20 places sur les 101 places d’hébergement d’urgence disponibles sur l’Île », appuie-t-elle encore en indiquant que « les services de l’État échangent régulièrement avec chacune des structures afin de conforter les places disponibles et de mieux prendre en compte les situations et les besoins des personnes accueillies. Les préfets remercient à cet égard l’ensemble des structures, personnels et bénévoles qui se mobilisent chaque jour pour permettre la continuité de l'offre de service en matière d’hébergement d’urgence ».
 
Enfin, la préfecture de Corse rappelle « que chaque personne souhaitant être accompagnée ou bénéficier d’un hébergement peut contacter le 115 ».