Corse Net Infos - Pure player corse

Sébastien Céleri : "Une ville idéale serait accessible à tout le monde et laisserait plus de place aux piétons"


Laurina Padovani le Lundi 17 Février 2020 à 08:49

Une fois par mois, les architectes corses organisent conférences et tables rondes avec des spécialistes de l’urbanisme. Le 14 février, Antonia Luciani, géographe – urbaniste, Franck Gintrand, auteur du « Le jour où les zones commerciales auront dévoré nos villes » et Lorena Lopez de la Calle, ancienne ministre de la culture de la Région Araba au Pays Basque, ont croisé leurs regards et parlé des zones commerciales qui ne cessent de se multiplier dans toutes les villes françaises. Inspiré par les malls américains, ce genre de constructions a pris forme en Corse. Ces zones de non-lieux, comme les qualifie l’ethnologue Marc Augé, transforment à la fois l’espace, les lieux de vie, et influencent les relations sociales, les modes de vie, la culture. Retour sur cette problématique urbaine avec Sébastien Céleri, président de l’ordre des architectes de Corse.



- Pourquoi avoir choisi de débattre de ce thème ?
- C’est un sujet majeur dans les questions d’aménagement du territoire et des villes, notamment quand on voit l'opposition entre le centre-ville et la périphérie. C’est aussi un phénomène grandissant qui a des conséquences importantes sur les mobilités et la manière de se loger avec un impact sur la pratique de la ville par ses habitants. Ce n’est pas uniquement un mode de consommation, mais un modèle de développement. Je mets, entre guillemets, l’expression « développement » qu’on nous propose, voire que l’on nous impose. Ce qui est intéressant c’est ce que cela nous dit de nos modes de vie en tant qu’individus et communautés. Ce débat est l’occasion de se questionner sur un plan sociétal.

- Quel regard portez-vous sur les pôles commerciaux, plus particulièrement sur ceux construits à la périphérie ajaccienne ?
- Ajaccio est un cas caricatural par sa démesure. Du coup, c’est forcément un regard inquiet que je porte sur ces constructions qui engendrent un déséquilibre territorial. Une commune de quelques milliers d’habitants dicte le fonctionnement en termes de consommation d’un bassin de population de plus de 100 000 habitants. Cela suscite un questionnement et une forte inquiétude.

- Êtes-vous d’accord avec le terme de "non-lieux" emprunté à Marc Augé et qui a été contesté lors du débat ?
- Oui. On peut dire que ces zones sont des « non-lieux » dans le sens où on ne peut pas les qualifier. On ne peut pas donner un mot pour décrire leur qualité. Une rue, un jardin, une placette sont des choses qu’on se représente. C’est de l’espace public que l’on maitrise. Alors que ces zones sont entièrement des emprises privées. La notion de public y est inexistante. Ce sont des zones entièrement dévolues aux voitures. Les seuls espaces de sociabilisation sont les galeries qui ont des heures d’ouverture et de fermeture imposées. Ce qui en fait un non-lieu, c’est qu’à un moment, il n’y a plus de vie qui s’y déroule.
 
- Aujourd’hui, les constructions sont là. Que peut-on faire pour améliorer ces espaces ?
- Une des solutions est de s’arrêter là et de repenser l’aménagement du territoire. Il faut utiliser les outils de règlementation disponibles, comme, par exemple, les Schémas de cohérence territoriale. En termes de conception et de vision politique, ces schémas donnent une échelle plus proche de l’humain. Le rapport entre la ville même et sa périphérie ne doit pas être un rapport d’opposition. Le fonctionnement historique d’une ville est basé au contraire sur un rapport de complémentarité. Dans l’arrière-pays, autour des villes, on produit, on alimente les centres villes. On génère un circuit économique à l’échelle de la ville et de ses abords immédiats. Il faut rééquilibrer. Donner les moyens à la population de satisfaire ses consommations quotidiennes en matière de denrées alimentaires, de loisirs et de l’habitat. Une ville idéale serait accessible à tout le monde et on pourrait y être logé dans des conditions normales.Ce serait une ville qui laisserait plus de place aux piétons. Aujourd’hui, nos déplacements sont dictés par la voiture.

- Quel autre modèle de développement pourrait-on mettre en place ?
- Un modèle basé sur la conscience en la foi individuelle et collective que les ressources, dont nous disposons, sont encore importantes et qu’il serait bon de les utiliser. Cela apporterait une qualité de vie qui profiterait à l’individu et non aux grands groupes industriels. Cela passe essentiellement par de l’espace public. La conception de la ville n’est pas ce qu’on va construire, c’est ce qu’on va laisser de non bâti. Les parcs, les jardins, les rues tout ce qui peut susciter les déplacements.

-  Lorena Lopez de la Calle a présenté le modèle d’une ville basque basé sur l’harmonie entre végétation et bâti. N’est-il pas trop tard à Ajaccio pour développer ce genre d’espace ?
- Non ! Rien n’est immuable. On pourrait, par exemple, réfléchir sur le foncier des quartiers des Cannes et des Salines qui sont, au départ, de grandes emprises privées. Cela explique qu’il n’y ait pas de porosité. Les quartiers sont enclavés les uns à côté des autres. On pourrait réfléchir à la création d’espaces publics : créer des rues, des parcs, des places pour remplacer les parkings, créer des jardins dans les espaces en friche. On obtiendrait ainsi une facilité de déplacement et des cocons préservés de la nuisance des voitures. Il ne faut plus penser par grands projets, mais plutôt multiplier les petits projets et faire en sorte qu’ils composent une globalité cohérente.