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Processus de Beauvau : Une réunion qui, pour Gilles Simeoni, a « remis une perspective sérieuse »


Nicole Mari le Mercredi 7 Juin 2023 à 23:05

La quatrième réunion du Comité stratégique sur l’avenir de la Corse, instance de négociation entre la Corse et Paris, s’est ouverte ce 7 juin au ministère de l’Intérieur, dans un climat tendu et s’est allégée après une mise au point entre Gérard Darmanin et Gilles Simeoni. La discussion sur le foncier, qui s’annonçait également assez mal, a permis d’acter un diagnostic commun et avancer l’idée d’un statut de résidence. Validée également la légitimité de l’Assemblée de Corse à présenter une délibération. Réactions de Gilles Simeoni, président du conseil exécutif de Corse, et de Nanette Maupertuis, présidente de l’Assemblée de Corse.



Le quatrième réunion du Comité stratégique sur l’avenir de la Corse, instance de négociation entre la Corse et Paris, s’est tenue le 7 juin au ministère de l’Intérieur.
Le quatrième réunion du Comité stratégique sur l’avenir de la Corse, instance de négociation entre la Corse et Paris, s’est tenue le 7 juin au ministère de l’Intérieur.
Cette quatrième réunion du Comité stratégique sur l’avenir de la Corse, après trois mois de suspension et trois reports, n’augurait rien de bon, et a débuté dans un climat un peu tendu. D’un côté, un ministre de l’Intérieur « agacé » par les attaques dans la presse « ça ne m’a pas plu du tout ! », sans plus de précision, « mécontent » de l’attitude des trois députés nationalistes, membres du groupe LIOT, et de leur soutien à la proposition de loi visant à abroger le recul de l’âge de la retraite et qui ne sera pas examinée demain à l’Assemblée nationale. « Ce n'est pas le meilleur moyen de discuter. C'est un peu cocasse qu'un gouvernement qui propose d'avancer sur la question corse puisse avoir des motions de défiance de la part de ces élus ». De l’autre, une délégation insulaire pour le moins sceptique après la lecture des documents de travail envoyés par le ministère sur la question du foncier, documents qui nient la spéculation immobilière dans l’île et balayent d’un négligent revers de main toutes les propositions corses. Et surtout une forte inquiétude nationaliste sur la volonté réelle de l’Etat de tenir ses promesses institutionnelles et de prendre la pleine mesure de la réalité corse. Le Monsieur Corse du gouvernement, Grégory Canal, était venu en Corse, en fin de semaine dernière, pour déminer le terrain après la colère suscitée par lesdits documents et distribuer quelques promesses, surtout à l’opposition ! Ce qui, au final, n’a fait que renforcer les préventions.
 
Un hiatus 
L’idée de Gérald Darmanin, entouré de ses collègues Christophe Béchu, chargé de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, et Olivier Klein, chargé de la ville et du logement, était de rester focalisé sur le thème du jour - le foncier, l’urbanisme et le logement – sans en déborder. Ce qui n’était pas acceptable pour le président de l’Exécutif, Gilles Simeoni, qui demandait, après trois mois de silence et un changement de tempo, un point sur le processus politique et la méthode avant d’aborder l’épineuse question de la spéculation immobilière. « Nous sommes arrivés ce matin avec des inquiétudes fortes et des questions à poser sur les intentions du gouvernement par rapport à la révision constitutionnelle, à l’autonomie, à la solution politique, au calendrier et à la question foncière. J’ai aussi demandé un changement de méthode et une accélération », débute-t-il. Du coup, la réunion est plutôt mal partie. La demande, prononcée sur un ton assez ferme, a piqué au vif Gérald Darmanin qui a répliqué : « Si je ne voulais pas réussir, je ne ferai pas tout ce que je fais ! C’est quand même moi qui ai fait venir autour de la table le Président de la République ! C’est quand même moi qui ai activé le processus de libération des prisonniers ! C’est quand même moi qui ai prononcé le mot d’autonomie ! Jamais le gouvernement n'avait été aussi loin dans l'écoute des propositions des élus corses ! ». La présidente de l’Assemblée de Corse, Nanette Maupertuis, évoque « un hiatus », « une incompréhension. Nous souhaitions faire un point d’ordre politique global dans la mesure où, depuis trois mois, nous ne nous étions ni vus, ni entendus, et un point méthodologique concernant la conduite des réunions et les documents qui sont envoyés en amont. Mais le ministre souhaitait rester uniquement sur ce qui était à l’ordre du jour. Et quand il n’y a pas de point sur la méthode et le processus global après trois mois d’interruption, c’est clair qu’il y a maldonne dès le départ, qu’on ne s’entend pas et qu’on ne parle même pas le même langage. Les objets d’études et les sujets de discussion ne sont pas les mêmes. Il a fallu un petit moment pour se caler ».

Gilles Simeoni et Gérald Darmanin.
Gilles Simeoni et Gérald Darmanin.
Une perspective sérieuse
Une fois les préalables méthodologiques purgés et la nécessaire mise au point sur les objectifs du processus, dont le ministre n’a pu finalement faire l’impasse, la discussion recadrée s’est considérablement détendue. « Ces tensions, n’étaient pas d’ordre politique, et se sont donc apaisées. Nous avons pu discuter librement et très ouvertement de la question du statut de résident, de ce qui s’est fait en Nouvelle-Calédonie, de la réforme institutionnelle, aussi de propositions et de mesures faites par d’autres protagonistes », commente Nanette Maupertuis. « Le plus important, c’est le fond politique. Le ministre a répondu des choses qui ont permis de l’avis général, notamment des nationalistes, de remettre une perspective sérieuse », confirme le président Simeoni. « J’ai dit au ministre que pour le foncier, comme pour le reste, nous sommes dans un processus politique. Et même pour réinscrire la question foncière dans sa dimension globale, il faut partir du général pour aller au particulier. Le général, c’est une révision constitutionnelle, c’est une façon de constitutionnaliser le lien imprescriptible entre le peuple Corse et sa terre. Cela veut dire la reconnaissance du peuple Corse et de ce lien imprescriptible. Il faut l’affirmer constitutionnellement. Ensuite, il y a la déclinaison des différentes politiques. Pour définir ces politiques, il faut d’abord qu’on soit d’accord sur le constat ». Et là, le désaccord était total. « J’ai critiqué techniquement et de façon argumentée les documents qui, à travers des chiffres partiels et une construction, viennent nous dire qu’il n’y a pas de sur-spéculation en Corse, et que finalement on est au niveau des régions tendues du continent. Nous avons démontré que ce n’était pas vrai. En Corse, il y a un cumul de facteurs - le caractère insulaire, l’augmentation des prix, la croissance des prix plus exponentielle que sur le continent, le taux de résidences secondaires plus important que sur le continent, la pauvreté moyenne, l’explosion du marché immobilier alimentée par la demande extérieure. Tout cela, on ne le retrouve pas ailleurs. En France, on n’arrive pas à sortir des permis de construire et on ne construit pas assez. En Corse, on a le plus haut taux de permis de construire, et il sort du logement de tout type, y compris de la résidence d’habitation, mais principalement secondaire », poursuit Gilles Simeoni.
 
Le statut de résidence
Après deux heures de discussion, le ministre a « admis explicitement » que la Corse n’est pas dans la même configuration que le continent. Il s’est dit prêt à discuter de toutes les propositions des élus insulaires pour changer la donne, des propositions très techniques de la droite, des parlementaires ou du PNC, jusqu’à la ligne rouge du statut de résident que les deux présidents corses ont très clairement posée. « Nous ne sous-estimons pas la nature technique des propositions qui ont été faites par des groupes ou des parlementaires, mais ces questions techniques ne nous intéressaient pas au premier chef. Ce qui est important, pour nous, c’est les fondamentaux. Et du point de vue des fondamentaux, nous considérons, le président Simeoni et moi-même, que ce n’est pas, y compris sur le foncier et l’immobilier, une somme de dispositifs techniques qui, pour l’instant d’ailleurs ne sont pas stabilisés et demandent par eux-mêmes certaines adaptations législatives et réglementaires, qui va régler le problème de la spéculation, de la dépossession et de l’éviction des Corses de la propriété foncière. Notre demande est celle d’un statut de résident sur lequel le ministre a d’ailleurs fait faire une étude par la haute administration. Et qui dit statut de résident, dit référence au peuple Corse », explique la présidente Maupertuis. Le président de l’Exécutif corse s’est lancé dans une implacable démonstration juridique sur la compatibilité du statut de résident avec la Constitution française et le droit européen. « Je peux même envisager, d’ores et déjà, un statut de résidence », répond le ministre, c’est-à-dire de distinguer entre la résidence principale et la résidence secondaire. Commentaire prudent de Gilles Simeoni : « On avance, peut-être pas aussi vite qu’on le souhaiterait, mais globalement c’est une réunion qui a permis de réaffirmer les choses importantes. C’est plutôt positif ».

La légitimité démocratique
Autre mise au point sur le projet corse. Certains groupes, droite et PNC, sont arrivés avec leur liste de mesures négociées en amont avec Grégory Canal. Le ministre a reproché à l’Exécutif corse de ne pas avoir de propositions. Ce fut là aussi l’occasion d’un recadrage. D’abord de la part de la présidente de l’Assemblée de Corse : « J’ai rappelé que la matrice des débats, comme ce fut le cas pour les Accords de Matignon et pour tous les processus d’évolution institutionnelle de la Corse qui ont eu lieu au cours des 40 dernières années, était l’Assemblée de Corse. En aucun cas, un comité stratégique, qui donne des orientations stratégiques, ne peut entériner de manière définitive, les décisions qui relèvent, d’une part de l’Assemblée de Corse, et d’autre part du plus haut sommet de l’État puisque c’est au président de la République d’engager la réforme institutionnelle ». La réaction de Gilles Simeoni a été à l’aune : « Je respecte la logique institutionnelle de la Corse. La logique institutionnelle de la Corse, ce n’est pas que le Conseil exécutif fasse unilatéralement des propositions sur le foncier ou le reste. La logique institutionnelle de la Corse, c’est que le Conseil exécutif propose un rapport, qui est en cours d’élaboration, saisit l’Assemblée de Corse avec un débat et vote une délibération ». Le principe a fait quelques remous dans les rangs de certains maires, notamment le président de l’association des maires du Sud, ou du côté de certains parlementaires ou encore du PNC, mais a été validé par le ministre, étant donné que cette légitimité démocratique est inscrite dans le statut particulier.
 
Une délibération cadre
Dans cet ordre d’idées, le président de l’Exécutif a transmis au ministre les délibérations sectorielles de l’Assemblée de Corse depuis 2016 et confirmer que ses propositions, y compris sur le statut d’autonomie et le cheminement constitutionnel, serait formalisée dans le cadre d’une délibération qui interviendra avant le 14 juillet. Le ministre a annoncé que, d’ici là et sur la base de la délibération de l’Assemblée de Corse, il donnerait les grandes lignes de la réforme et a accepté de programmer, avant le 10 juillet, deux autres rendez-vous, un sur la langue et l'autre sur la fiscalité et le nouveau pacte budgétaire, fiscal et financier. Il a promis de fournir avant le 15 juin au président de l’Exécutif les documents sur les transferts, les entrées et les sorties au plan fiscal, demandés en vain depuis octobre dernier. Et proposé la mise en place de groupes de travail sur des sujets comme le foncier ou la fiscalité. Au final, Gérald Darmanin, qui s'est dit ouvert à tout, ne s’est engagé sur rien. C’est qu’il reste beaucoup d’inconnues, ne serait-ce qu’au niveau de la réforme constitutionnelle voulue par Emmanuel Macron, et qui est absolument indispensable pour la Nouvelle Calédonie. Difficile de prédire aujourd’hui comment la Corse pourrait s’y insérer, à condition qu’elle s’y insère.
 
N.M.