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Paul-André Fluixa : « La Chambre d’agriculture a failli à ses missions ».


Nicole Mari le Samedi 12 Janvier 2013 à 23:33

Fin janvier, 3200 agriculteurs voteront pour renouveler les élus des chambres d'agriculture insulaires. L’élection, qui oppose deux listes et deux visions de l'avenir agricole, s’annonce bien plus serrée que prévue, sur fond de polémique. Au Nord, la liste d’ouverture, Produce per Campà, menée par Paul-André Fluixa et soutenue par Via Campagnola, affronte la liste commune FDSEA-CDJA et le duo inattendu formé par Jean-Marc Venturi, le président sortant, et Joseph Colombani. Tout en dénonçant la gestion actuelle de la Chambre d’agriculture qui a, selon lui, failli à toutes ses missions, Paul-André Fluixa explique, à Corse Net Infos, que sa priorité est de préserver le foncier agricole et de défendre la spécificité de l'agriculture corse.



Paul-André Fluixa : « La Chambre d’agriculture a failli à ses missions ».
- Qu'est-ce qui caractérise Produce per Campà ?
- C'est une liste sur la même dynamique et en cohérence avec celle de la Chambre d'agriculture de Corse du Sud, aujourd'hui, aux affaires. C'est une liste d'ouverture qui est soutenue par le syndicat, Via Campagnola. Mais, même si les deux autres syndicats soutiennent nos adversaires, Produce per Campà rassemble des gens, issus du CDJA et de la FDSEA, qui se reconnaissent et s'impliquent dans notre démarche.
 
- Pourquoi avez-vous décidé de vous présenter ?
- Nous pensions, depuis quelques temps, qu'il fallait faire bouger les curseurs. Et puis, à l'annonce de la liste de Mr Venturi qui disait fédérer l'ensemble des agriculteurs du département, nous avons réagi puisque nous n'avons pas été concerté, ni approché dans le cadre de cette démarche d'union. Nous nous sommes réunis dans une démarche assez ouverte et dynamique et nous avons décidé de constituer une liste. Nous avons été rejoints par de nombreux déçus de la majorité actuelle.
 
- Etes-vous en train de dire que la démarche d'union, prônée par la liste adverse, n'en est pas une ?
- C'est clair ! Ni Mr Venturi, ni Mr Colombani ne nous ont sollicités dans le cadre d'une liste d'union. Ils n'ont pas sollicité l'opposition à laquelle nous appartenons, mais ils n'ont pas sollicité, non plus, l'ensemble de leurs partenaires dans les rangs de la FDSEA et du CDJA puisque certains nous ont rejoints, mécontents de n'avoir pas été sollicités.
 
- S’ils vous avaient sollicités, seriez-vous sur leur liste ?
- Peut-être ! Difficile à dire ! Mais, en tous cas, nous aurions été attentifs aux propositions qui auraient pu nous être faites dans une liste unitaire.
 
- L’alliance Venturi-Colombani vous a-t-elle surprise ?
- Oui. Tout à fait. La liste des gestionnaires actuels de la Chambre d’agriculture est une liste d’alliance conjoncturelle et électorale. Ces gens se sont combattus pendant des années. Ils ne sont pas d’accord sur tous les sujets. Comment peuvent-ils avoir une quelconque efficacité dans le travail puisqu’ils ne se sont pas entendus pendant 10 ans ! C’est un peu un navire qui, non seulement, part vers l’inconnu, mais sans commandant de bord.
 
- Pointez-vous du doigt la limite d’âge, dépassée par le président sortant ?
- Oui. Jean Marc Venturi a eu 65 ans, le 19 octobre dernier. Le Code rural lui interdit d’être Président d’une Chambre d’agriculture. Ainsi, on ne sait pas qui sera le commandant de bord ! Les agriculteurs, qui lui ont posé la question, ont eu comme réponse : « Votez, ensuite vous verrez ! ». Donc, Joseph Colombani ou tout autre membre de leur liste peut être président ! On ne sait pas qui sera candidat. Ce n’est pas normal ! Ce n’est pas honnête ! Les agriculteurs de Haute-Corse ont le droit de savoir qui briguera la présidence, si cette liste gagne ! Ce n’est pas le cas !
 
- Jean Marc Venturi dit que ce sera lui ?
- Il persiste à le dire, mais l’article D511-63 du Code rural le lui interdit ! Soit Mr Venturi trompe les électeurs, soit il est au dessus des lois !
 
- Pourquoi ne présentez-vous de liste que sur 3 collèges ?
- Sur les 9 collèges existants, nous présentons une liste sur les trois collèges où nous avons nos chances de gagner : une sur le collège « Exploitants » que je conduis, une sur le collège « Salariés agricoles » conduite par Jean-Baptiste Arena et une sur le collège « Retraités » conduite par Simonetti Don Pierre et Casgiani Xavier. Les autres collèges sont, à part celui des propriétaires fonciers, des collèges de groupement et structures, qui sont verrouillés par la majorité actuelle et pour lesquels nous n’avons aucune chance de remporter l’élection.
 
- Remporter 3 collèges sur 9, est-ce suffisant pour gagner ?
- Les 9 collèges représentent 42 postes. Les 3 collèges, sur lesquels nous nous présentons, totalisent 27 postes. Les remporter, c’est remporter l’élection. Mais, l’enjeu premier, c’est la Chambre régionale. Même en perdant l’élection départementale, ce qui semble peu probable aujourd’hui, il y a de fortes chances que nous remportions l’élection régionale avec la liste Produce per Campà de Corse du Sud, menée par Jean-Do Musso, qui devrait largement remporter l’élection départementale et gagner pratiquement tous les collèges.
 
- Vous fustigez le mode de scrutin par correspondance. Craignez-vous des fraudes ?
- Tout à fait. Le vote par correspondance a disparu dans la plupart des élections aujourd’hui. Il est imposé dans les élections des Chambres consulaires. C’est un système qui incite à la fraude. Il n’est vraiment pas démocratique. On le subit ! Nous demandons néanmoins aux agriculteurs d’être très vigilants. Le matériel électoral sera envoyé mi-janvier. Si des personnes n’ont rien reçu vers le 15, il serait bon qu’elles se manifestent le plus tôt possible. A réception, les agriculteurs auront jusqu’au 31 janvier pour voter. Le scrutin aura lieu le 6 février.
 
- Quel programme proposez-vous ?
- Nous proposons de remettre la Chambre d’agriculture en marche et, surtout, de la remettre dans l’ordre des missions et des prérogatives qui sont les siennes, notamment la représentativité et la défense du monde agricole. Elle doit redevenir l’interlocuteur sincère et loyal de l’ensemble des partenaires politiques, financiers et sociaux. Ce qui n’est plus le cas depuis une dizaine d’années puisque les représentants de la Chambre d’agriculture ont abandonné tout partenariat avec les élus. Ils ont délégué la représentativité agricole à l’ODARC (Office de développement agricole et rurale de la Corse) dont ce n’est pas la mission. Et surtout, ils n’ont pas été le phare de la défense du monde agricole, ces dernières années.
 
- Comment expliquez-vous ces démissions ?
- Je ne sais pas. Il faudrait demander aux gestionnaires actuels d’assumer le bilan, qui est le leur, et qui est assez catastrophique. On a perdu 1000 exploitations en 10 ans. On n’arrive même pas à installer 40 jeunes, ce qui était l’objectif de l’Assemblée de Corse (CTC) ! Nos revenus agricoles sont les plus bas de France. Les prix des transactions foncières à l’hectare, pour les terrains agricoles, sont les plus hautes de France. Les niveaux de productions baissent dans toutes les filières. C’est un simple constat ! Les chiffres sont têtus. La Chambre d’agriculture doit redevenir un outil au service de la profession. Il faut que les agriculteurs redeviennent fiers et satisfaits de leur représentativité, et donc de leur Chambre d’agriculture, ce qui ne semble plus être le cas aujourd’hui !
 
- Vous dressez un constat inquiétant. Y-a-t-il, selon vous, un moyen de redresser la barre ?
- Tout à fait ! Des élus représentatifs et responsables auraient, aujourd’hui, la possibilité de redorer le blason de la Chambre d’agriculture, de retrouver un partenariat loyal avec l’ensemble des partenaires, notamment les élus, ceux de la CTC qui siègent à l’ODARC, mais aussi les élus de terrain. Les maires et les élus des communautés de communes ont, dans le cadre de l’aménagement de leur territoire, que ce soit dans la rédaction de documents d’urbanisme ou pour une réflexion sur l’aménagement de structures collectives foncières, besoin d’interlocuteurs aigus. Jusqu’à aujourd’hui, la Chambre d’agriculture a failli à ses missions à ce niveau-là. Elle a, quelque fois, trop peu d’ailleurs, délégué des services techniques dans ce cadre-là.
 
- Quel rôle peut jouer un élu agricole dans une décision d’urbanisme ?
- Le rôle d’un élu est d’être présent aux côtés des maires pour les amener à réfléchir à l’aménagement de leur territoire et, souvent aussi, à les protéger dans les décisions qu’ils ont à prendre. Par exemple, le foncier agricole est clairement défendu par la loi. La consommation des espaces agricoles est interdite. C’est à la Chambre d’agriculture de défendre cet aspect. Si elle était plus proche des élus au moment où ceux-ci doivent rédiger leurs documents d’urbanisme, peut-être qu’ils ne porteraient pas l’entière responsabilité des changements de vocation qui, parfois, leur sont imposés.
 
- On accuse également la SAFER de ne pas jouer son rôle. Qu’en pensez-vous ?
- Il n’y a pas meilleure analyse sur ce sujet que celle qu’elle fait elle-même ! Dans son rapport d’activité 2010, elle dit que le prix du foncier agricole en Corse a augmenté de 250%. Donc, l’organisme en charge de réguler le marché foncier dit que le foncier a augmenté de manière démesuré ! La SAFER (Société d’aménagement foncier et d’établissement rural), qui est gérée par la même majorité que celle qui gère la Chambre d’agriculture en Haute-Corse, a failli à ses missions. Il faut aussi la remettre en ordre de marche.
 
- La récente abrogation des Arrêtés Miot ne pose-t-elle pas un problème encore plus aigu au monde agricole ?
- Elle pose un gros problème à l’ensemble des Corses et effectivement aux agriculteurs. Le problème de succession touche tout le monde. Mais, quand on parle de patrimoine foncier, la plupart du temps, les agriculteurs sont les premiers concernés. Transférer du foncier dans le cadre d’une exploitation agricole était déjà très compliqué à cause des nombreux freins à la transmission et à la reprise d’une exploitation. La suppression des Arrêtés Miot rend la situation catastrophique. Le foncier sera vendu au plus offrant. Il n’y aura plus de possibilités de cession de père en fils, comme cela s’est fait jusqu’à aujourd’hui. Nous appelons tous les Corses à une mobilisation générale et unitaire.
 
- Si vous êtes élus à la Chambre d’agriculture, que pouvez-vous faire concrètement ?
- Si nous sommes élus, nous serons les représentants fidèles de la profession, nous défendrons ses intérêts. Nous nous battrons pour que le monde agricole retrouve une légitimité dans ce domaine de la passation des exploitations, comme dans tous les autres domaines. La première chose que nous ferons, c’est de remonter à Bruxelles pour obtenir, avec l’aide de notre député européen François Alfonsi qui a, déjà, déposé deux amendements sur le foncier, la reconnaissance des spécificités corses.
 
Propos recueillis par Nicole MARI