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Paul-André Colombani : « Le ministre de la Santé a accepté de discuter de l’ouverture d’un CHU en Corse »


Nicole Mari le Jeudi 4 Août 2022 à 12:37

Le député nationaliste de la 2nde circonscription de Corse du Sud, membre du groupe parlementaire LIOT, le Dr Paul-André Colombani, a rencontré, mercredi matin, la ministre déléguée en charge de l'organisation territoriale et des professions de santé, Agnès Firmin Le Bodo, dans le cadre du groupe de travail sur les problématiques d'accès aux soins et de désertification médicale. La veille, il avait, en Commission des affaires sociales, interpellé le nouveau ministre de la santé, François Braun, sur les mesures d’urgences, la réintégration des soignants non-vaccinés et la création d’un CHU en Corse. Il explique à Corse Net Infos que les réponses ministérielles sont décevantes, mais que François Braun a accepté de discuter du CHU. Réponse du ministre en vidéo.



Paul-André Colombani, député PNC de la 2nde circonscription de Corse du Sud, membre du groupe parlementaire Libertés, Indépendants, Outre-Mer et territoire (LIOT).
Paul-André Colombani, député PNC de la 2nde circonscription de Corse du Sud, membre du groupe parlementaire Libertés, Indépendants, Outre-Mer et territoire (LIOT).
- Lors de l’audition du ministre de la Santé par la Commission sociale dont vous êtes membre, vous l’avez interpellé sur la création d’un CHU en Corse. Qu’a-t-il répondu ?
- C’était la première audition du nouveau ministre de la santé, François Braun, en Commission des Affaires sociales, qui a été interrogé sur les solutions d’urgence, j’ai profité de cette opportunité pour dire certaines choses au nom de mon groupe Libertés, Indépendants, Outre-Mer et Territoires (LIOT). Vous imaginez bien que j’ai aussi saisi l'occasion de l’interpeller sur cette question-là ! Le ministre nous a dit qu’il fallait renforcer la place des CHU (Centre hospitalier universitaire) comme recours spécialisé régional, ainsi que les échanges transfrontaliers dans les zones concernées. J’ai répondu que c’était très bien, mais que la Corse est la seule région à ne pas posséder de CHU ! J’ai rappelé que parmi les nombreuses raisons qui justifieraient son ouverture se trouve l’enjeu de la gestion budgétaire et du bon fonctionnement de nos services d’urgences. Celui de l’hôpital d’Ajaccio, par exemple, est contraint d’employer de très nombreux intérimaires, ce qui est particulièrement coûteux pour un territoire périphérique ! En plus, la constitution d’un CHU renforcerait les moyens hospitaliers dont nous manquons cruellement et pourrait s’inscrire dans une projection euro-méditerranéenne en relation avec la Sardaigne voisine. Je lui ai, donc, demandé s’il était prêt à discuter de son ouverture. Il m’a répondu « oui », tout en me disant que le CHU n’est pas la panacée, qu’il faut de la formation… etc. (cf vidéo). Mais il a quand même accepté d’en discuter. C’est important !
 
- Pourquoi, ces intérimaires, qui viennent du continent, sont-ils mieux payés que les insulaires et ont-ils des avantages bien plus grands ?
- C’est lié à l’absence de CHU qui fait que la Corse est moins attractive au niveau des carrières hospitalières. Dans les CHU, les médecins, les infirmiers et le personnel hospitalier sont mieux payés. Si vous ne payez pas ces gens-là comme dans les CHU, ils ne viennent pas ! Et les hôpitaux corses se retrouvent sans pédiatre, sans médecin spécialisé, sans infirmier… alors quel choix fait-on ? On est coincé ! Rien que cette histoire d’intérimaires impacte fortement le budget des hôpitaux corses !
 
- Vous avez aussi demandé la réintégration des soignants non vaccinés. Sans grand succès ?
- Oui ! J’ai évoqué le cas des personnels soignants non vaccinés qu’aujourd’hui, on empêche de travailler. J’ai voté à deux mains l’obligation vaccinale des soignants au moment où l’on pensait que le vaccin protégeait de la contagion. Aujourd’hui, on sait que le vaccin ne protège plus de la contagion, il n’y a, donc, plus aucune raison de bloquer cette réintégration. À un moment donné, il faut faire preuve de pragmatisme et apaiser la situation. La non-réintégration des soignants non-vaccinés pèse sur l’hôpital. Il y a une pénurie de personnels médicaux et non-médicaux. On a dû fermer des blocs opératoires et même certaines salles. On est obligé d’avoir recours à des intérimaires, sans compter la surcharge de travail qui s’est répercutée sur des équipes médicales qui triment déjà depuis deux ans face à cette pandémie. Il y a des territoires qui ont vraiment besoin de ces soignants, notamment l’Outre-Mer, où c’est un sujet de grande tension. On pourrait imaginer un protocole de retour au travail en testant les gens tous les jours pendant quelques semaines. Cette mesure permettrait de voir assez facilement si avec la réintégration des soignants non-vaccinés, il y a plus de Covid ou pas à l’hôpital. Si au bout de quelques semaines, on s’aperçoit qu’il n’y a pas de différence, on réintègre complètement ces soignants. Il faut juste un peu de volonté et de courage politique !
 
- Comment expliquez-vous ce refus obstiné du gouvernement de réintégrer les soignants non-vaccinés ?
- La Haute autorité de santé, le Conseil scientifique… disent encore qu’il ne faut pas le faire.  Je pense que c’est une question de rapport de force ! Je le répète, je suis complètement pour l’obligation vaccinale des soignants, si ça limite la contagion. Par exemple, le vaccin contre la rougeole évite la contagion. Ce n’est pas le cas pour le Covid. On sait aujourd’hui que le vaccin contre le Covid limite, pour le moment, les formes graves, il y a encore un consensus là-dessus, mais il ne limite pas la transmission. Le jour où on aura un vaccin qui limitera la transmission, il faudra revenir à une obligation vaccinale pour les soignants, c’est normal !
 
- Vous avez aussi critiqué les mesures mises en place pour l’été au niveau des services d’urgences. Pourquoi ?
- Parce que ce sont des mesures hospitalo-centrées ! Le ministère n’arrête pas de nous parler de la coopération entre la médecine hospitalière et la médecine de ville, mais sans mesures incitatives pour la médecine de ville qui est déjà débordée et qui devra demain décharger les services d’urgence d’une partie de leur activité sans réelle compensation. L’attribution d’un supplément limité à 15 € par acte médical régulé est une mesure insuffisante. Quant à l’utilisation de la télémédecine, dont on cesse de nous faire la promotion, son plafonnement la rend peu opérante. C’est la première fois qu’une loi, que j’ai votée à l’Assemblée nationale, arrive dans mon cabinet médical avec un delta par rapport aux débats que nous avons eus. Je ne comprends pas pourquoi ! La CNAM (Caisse nationale d’assurance maladie) a mis les mains dedans et, avec le ministère, a produit des décrets qui n’ont rien à voir avec ce que nous avons voté ! Quand on vote la loi à l’Assemblée nationale, on a l’impression que ça va filer naturellement vers le terrain, mais sur le terrain, c’est compliqué ! On se rend compte qu’on ne doit pas dépasser un certain quota. Je veux bien entendre qu’on ne peut pas consacrer tout notre temps à la télémédecine dans les activités normales. Par contre, si un médecin a envie de répondre à des patients en télémédecine, le soir après la fermeture du cabinet ou pendant le week-end, pourquoi le brider ? Aujourd’hui, il n’a pas intérêt à le faire. Au moment où les urgences sont surchargées et où de nombreux cabinets médicaux sont fermés, au lieu de faciliter l’accès aux soins, on le freine ! On pourrait garder un quota dans la journée et rester hors quota, le soir ou le week-end. Ce sont des mesures de bon sens qu’il faudrait prendre.
 
- Vous avez également rencontré la Secrétaire d’Etat en charge de la Santé dans les territoires. De quoi avez-vous parlé ?
- Agnès Firmin Le Bodo est ministre déléguée en charge d’un nouveau secrétariat d’État dédié à la santé dans les territoires. Elle doit régler la question primordiale des déserts médicaux et de l’accès aux soins. Elle souhaite réfléchir à des mesures qui pourraient aboutir assez rapidement, par exemple dans le PLFSS (Projet de loi de financement de la Sécurité sociale) de fin d’année. Elle a, donc, rencontré, mercredi matin, une vingtaine de parlementaires, députés et sénateurs, pour mettre en place un groupe de travail sur ce sujet.
 
- Vous allez donc travailler sur la problématique des déserts médicaux qui touche fortement la Corse ?
- Oui, mais on ne va pas résoudre le problème des déserts médicaux en quelques semaines. C’est un sujet très compliqué à gérer. Il y a maintenant des déserts médicaux dans toute la France, il y en a même dans les villes, alors qu’avant, ils étaient quasiment concentrés dans les campagnes. Tout un tas de mesures ont été mises en place depuis longtemps et ne marchent pas ! Le moment est peut-être venu de les évaluer, pour voir ce qui est pertinent et ce qui ne l’est pas, et d’en mettre d’autres en place, plus adaptées aux territoires. La problématique des déserts médicaux en ville, par exemple dans certains quartiers de Paris qui n’ont plus de médecin, n’est pas la même qu’à Zicavo, à Cozzano, ou dans le Taravo. Il faut se donner des moyens de travailler, de voir ce qui marche dans certains territoires et ce qui ne marche pas dans d’autres.
 
- Dans les villes corses, la problématique des déserts médicaux ne se pose pas...
- Cela peut basculer à tout moment ! Et rapidement ! Le mode d’exercice de la médecine a changé. On est confronté à un changement générationnel. Un médecin d’une soixantaine d’années n’a pas fait la même carrière qu’un médecin qui a 35 ou 40 ans aujourd’hui. Ils n’ont pas les mêmes aspirations. Les jeunes médecins, et ils ont probablement raison, ne sont pas prêts, dans leur immense majorité, à pratiquer la médecine comme nous, qui avons plus de 50 ans, l’avons fait pendant toute notre vie. Les jeunes privilégient la qualité de vie. Un médecin partout où il y a un clocher, c’est un modèle qu’il va falloir oublier !
 
- Les maisons de santé contribuent-elles à faire reculer les déserts médicaux ?
- Les maisons de santé sont un nouvel outil qu’on essaye de développer dans les territoires, mais ce n’est pas la panacée. Et, s’il n’y a pas de médecin à mettre dedans, ce sont des coquilles vides ! En plus le champ des contraintes s’est élargi, et le champ des possibilités s’est rétréci. C’est devenu un outil qui peut se retourner contre les territoires.
 
- Il y a aussi le débat pour obliger les jeunes médecins à s’installer dans certains secteurs. Est-ce une bonne idée ?
- C’est, pour moi, la très fausse bonne idée ! On pense que ça va résoudre le problème, mais les jeunes ne vont aller s’installer et vivre là où ils n’ont pas envie. Il faudrait mieux créer des dispositifs pour les accompagner dans les territoires en tension, et les aider à y passer un an ou deux. Il y a aussi un phénomène de chasseurs de primes : un tas de gens débarquent dans ces territoires, font du chantage, veulent une maison, un salaire plus élevé, des avantages fiscaux… Mais, une fois qu’ils ont consommé leurs avantages fiscaux, ils s’en vont et nous laissent en plan. De toute façon, ce n’est pas tellement le nombre de médecins par habitant qu’il faut regarder pour mieux apprécier la couverture médicale, mais le nombre de consultations qui sont faites dans les territoires. Il va falloir trouver d’autres solutions. Par exemple, que d’autres professionnels qualifiés, comme les infirmières en pratique avancée, partagent des tâches avec les médecins et qu'ils soient capables d'intervenir. Il y a plein d’outils à évaluer et à imaginer.
 
Propos recueillis par Nicole MARI.
 

François Braun : « Je suis prêt à discuter de la problématique d’un CHU en Corse quand vous voulez »