Quelles sont les nouvelles du monde de Marie-Hélène Ferrari, cette auteure prolifique – entre autres - de polars qui bénéficient d'un lectorat assidu et fidèle ? Après dix volumes qui ont consacré le personnage, elle a abandonné son cher commissaire Pierucci pour le remplacer par Calistu Garofaro, un policier spécialiste des sciences comportementales. Apparu dans « Mensonges », le voici de retour dans « Une créature fort bestiale et qui me veut », titre énigmatique qui incite à en savoir plus. On se retrouve à Bonifacio. La nature brutalisée par l'appétit des promoteurs, la cité défigurée par des prédateurs de toute sorte, le sud de l'île n'a de virginal que la blancheur des falaises sous le soleil. Derrière la carte postale, le lieu est sombre et féroce, ce lieu où, disait déjà Homère, « les chemins du jour croisent les chemins de la nuit »... Bref, un vrai décor de drame, que la romancière maîtrise à merveille, au point d'en faire un acteur à part entière des histoires qui s'y nouent...
La férocité du cadre, diffuse et latente, ne demande qu'à éclore. Et elle trouve son illustration dès le début du roman : un cadavre sauvagement déchiqueté est découvert sur un chemin de promenade, une rumeur de bête sauvage – ou de monstre inconnu - en liberté, un cri inhumain dans la nuit et aussitôt une ville touristique désertifiée plus que par la peur, par une terreur irrationnelle... Et une enquête qui suit son cours, avec ses seconds rôles bien dessinés, ses moments de détente et de repas détaillés, ses interrogations et ses pistes, ses péripéties porteuses d'avancées ou ses ouvertures sans issue. « Il ne faut pas rester prisonnier de ce qu'on voit, ou de ce qu'on croit voir », dit Garofaro.
Celui-ci, comme ceux qui l'assistent ou le côtoient, n'est pas qu'un pion sur l'échiquier d'une intrigue. Les personnages de Marie-Hélène Ferrari ont une épaisseur, un vécu, une personnalité complexe qui parfois interfèrent dans leur perception des choses. Derrière sa façade d'enquêteur dans la norme, Garofaro est ainsi un individu abîmé, incertain, qui malgré tout tente de se reprendre pour accomplir sa tâche. Silencieux, détaché, il n'est plus « un être social ordinaire » depuis son expérience d'otage dans le désert. La juge Raffaela Balestrini, les collègue de Garofaro Mallaroni et Suliman, et quelques autres, composent une galerie de portraits où ceux qui doivent concourir à résoudre l'énigme sont tenus de compter avec leur histoire, leur mémoire, si ce n'est les fantômes de leur passé... « Une créature fort bestiale et qui me veut » est un roman policier, mais avec quelque chose en plus, une humanité et une profondeur enrichissantes. Un ouvrage prenant, dont on attend déjà la suite.
Une créature bestiale et qui me veut. Editions Clémentine, 18 euros.