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La riposte cinglante de Gilles Simeoni à Emmanuel Macron et son appel aux élus corses


Nicole Mari le Jeudi 25 Avril 2019 à 22:50

A l’heure même où le président de la République, Emmanuel Macron, livrait, dans une conférence de presse médiatisée, les résultats du Grand débat national et ses réponses aux Français, le président du Conseil exécutif de Corse, Gilles Simeoni, l’interpellait avec force et colère, dans l’hémicycle de l’Assemblée de Corse. Une interpellation solennelle et cinglante pour demander au chef de l’Etat de « cesser le jeu dangereux » auquel il se livre en Corse contre le pouvoir nationaliste, suivi d’un appel aux élus insulaires et à tous les Corses de « refuser ce piège funeste ».



Gilles Simeoni, président du Conseil exécutif de la Collectivité de Corse. Photo Michel Luccioni.
Gilles Simeoni, président du Conseil exécutif de la Collectivité de Corse. Photo Michel Luccioni.
C’est une riposte qui couvait comme le feu sous la cendre. Depuis le show de Cuzzà, les attaques insidieuses d’Emmanuel Macron contre Gilles Simeoni, le jeu déraisonnablement pervers et cynique de l’Etat et de ses représentants pour contrer le pouvoir nationaliste dont ils nient la légitimité, les relations déjà très tendues entre les deux Exécutifs ont atteint un paroxysme qui renvoie à un temps que l’on pensait révolu. La conférence des maires, que vient de mettre en place la préfète comme un pied de nez méprisant à la Chambre des territoires, a jeté de l’huile bouillante sur des flammes qu’il aurait été plus sage d’étouffer. Mais la sagesse ne semble toujours pas l’apanage des gouvernements quand il s’agit de la Corse… et de celui-ci moins que de tout autre. Dans cette ambiance surchauffée, alors que la morgue parisienne commence à hérisser sérieusement les insulaires de tous poils, le chef de l’Etat n’a rien trouvé de mieux, histoire d’attiser un peu plus les tensions, que de jeter en pâture aux élus corses la révision du PADDUC (Plan d’aménagement et de développement rural de la Corse) comme un os à ronger et à s’entredéchirer. Le coup était gagnant d’avance et il atteint son but. L’examen, jeudi après-midi, à l’Assemblée de Corse, d’une simple offre de services de l'Agence de l’urbanisme pour accompagner les collectivités dans l’élaboration de leur document d'urbanisme, qui se voulait pragmatique et conciliante, a dérapé immédiatement en un affrontement entre pro- et anti- révisionnistes. (https://www.corsenetinfos.corsica/Assemblee-de-Corse-Un-debat-virulent-autour-du-PADDUC_a40295.html)
 
De dangereux engrenages
De son aveu même, le président de l’Exécutif corse, Gilles Simeoni, ne comptait pas intervenir dans ce débat qu’il pressentait agité, laissant le président de l’Agence de l’urbanisme, Jean Biancucci, et la majorité territoriale ferrailler contre l’opposition. La tournure de la polémique l’a fait changer d’avis et sa prise de parole, en clôture de discussion, a atteint une dimension inattendue. « Je ne suis pas naïf », dira-t-il en préambule, « Je me doutais que ce rapport, tout technique qu’il soit, allait susciter des interventions plus politiques, y compris reliées au contexte… Je n’aurais pas repris la parole, ce matin, le président de l’Assemblée a dit tout ce que nous pensons de la séquence actuelle, mais ce que je viens d’entendre me confirme dans la conviction que, depuis plusieurs semaines, nous sommes en train d’entrer dans une séquence nouvelle qui m’inquiète beaucoup. Je voudrais vous le dire solennellement pour prendre date et pour que, peut-être ensemble, nous évitions un certain nombre d’engrenages qui risquent de nous conduire là où je suis certain que, tous, nous ne voulons pas aller ». Une interpellation solennelle adressée aux élus et aux Corses, mais aussi et surtout à la préfète de région et à l’Etat « parce que ce que fait ou ne fait pas la préfète n’est rien d’autre que l’application en Corse de la volonté de l’Etat ».
 
On nous dit Non !
En quelques observations lapidaires, le président Simeoni démontre « un changement de paradigme » qu’il qualifie « d’inquiétant ». Le ton est mordant, la colère sous-jacente. « Nous étions dans une logique de recherche d’avancées que les Corses ont demandées par leurs votes massifs, nous sommes, aujourd’hui, dans une logique de défense de ce qui est acquis ! Portés par la légitimité du suffrage universel, nous demandions plus de compétences, on nous a dit « Non » ! Aujourd’hui, nous en sommes réduits à chercher à défendre celles qui nous ont été données par le législateur en 1982, 1991 et 2002 et qui ne peuvent pas être remises en cause, sauf à remettre en cause les lois successives et le sens de l’histoire ». Déminant les antagonismes factices brodés autour de la Conférence des maires, il entend que l’on rende à César ce qui est à César : « Nous ne contestons pas aux maires la légitimité qui est la leur, qu’ils tiennent du suffrage universel et que personne ne songe à remettre en cause. Nous ne contestons pas non plus le droit absolu des maires de s’adresser de façon individuelle et collective, y compris dans le cadre d’instances nouvelles, à l’Etat. Ce droit-là est absolu, nous ne comptons pas le remettre en cause, ni directement, ni indirectement. Ce que nous contestons, c’est que l’on organise des instances pour exclure ou contourner une autre légitimité qui n’est pas moindre que celle des maires, la légitimité de la Collectivité de Corse ».
 
Pas de différence !
Une légitimité que le président de la République et son gouvernement n’ont eu de cesse de fouler aux pieds dès les prémices : « Jusqu'à aujourd'hui, on a cherché à contester ou à amoindrir notre légitimité. C’est le fameux : « Mais vous n’êtes que des élus locaux ! ». Alors que le suffrage universel, qui nous a désignés, n’est pas moins entier, souverain et respectable que celui qui a désigné le président de la République. Il n’y a pas de différence de nature dans notre légitimité ! C’est le même vote, le même suffrage universel ! Le fait que nous soyons les élus d’un petit peuple tandis que lui est le président d’un grand Etat n’enlève rien à notre légitimité ». Gilles Simeoni dévoile qu’il a, lors de l’entretien téléphonique pré-Cuzzà, demandé à Emmanuel Macron de réintroduire l’histoire et la politique dans les relations entre la Corse et l’Etat. Celui-ci ne comprenant pas, il lui a rappelé sa désastreuse visite de février 2018 : « Votre voyage que nous espérions être, à la fois, celui de la commémoration que nous comprenons, mais aussi de l’ouverture d’un nouveau chemin pour la Corse, a laissé des traces douloureuses. Lorsque vous êtes allé un mois plus tard en Nouvelle Calédonie, vous ne vous êtes pas adressés aux élus kanaks en leur disant : « Vous avez été élus pour gérer les poubelles » et aux élus caldoches : « Vous avez été élus pour gérer les réseaux d’assainissement ». Pourtant les problèmes de déchets et d’assainissement n’y sont pas moins importants qu’en Corse ! En Nouvelle Calédonie, vous avez parlé de colonisation, de drames, de mémoires qui s’opposent et qu’il s’agit de réconcilier, vous avez parlé d’avenir et de paix… Pouvez-vous en Corse avoir ces mots-là, pas seulement pour nous, mais pour tous ceux qui ont souffert ? ». C’était visiblement trop demander… 
 
Un conflit de légitimité
A la place, Paris fait de la surenchère et passe, selon le président corse, du déni au conflit de légitimité. « Depuis quelques semaines et avec éclat depuis quelques jours, l’Etat est en train d’organiser un conflit de légitimité au sein de la société corse entre les élus de l’Assemblée et les maires. Ce piège-là, nous n’en voulons pas ! Nous n’avons pas à opposer nos légitimités dont les périmètres sont définis par la loi ». Raccrochant sur le PADDUC, il martèle une position jamais variée : « Ne comptez pas sur nous pour revenir sur les fondamentaux du PADDUC qui sont un point d’équilibre ! Ils sont consubstantiels de notre engagement. Le texte, dans sa forme actuelle, est-il gravé dans les tables de la loi ? Non ! Il prévoit des procédures de révision ou de modification. Quand il y a des erreurs évidentes, des approximations, des problèmes, il faut que nous trouvions l’espace pour en discuter et, le cas échéant, pour modifier. Mais ces problèmes légitimes ne doivent pas être le cheval de Troie d’autres intentions beaucoup moins louables, que je ne prête pas aux maires, mais qui existent…». Il réaffirme qu’il n’y aura pas de détricotage, « pas de réaction au coup par coup sous la pression de tel lobby ou telle échéance du calendrier. Nous avons proposé une méthode adressée prioritairement aux maires qui ont la responsabilité, ô combien difficile, d’élaborer des documents d’urbanisme, mais n’excluait pas l’Etat. Cette partie-là se joue nécessairement à trois, chacun dans le respect de ses compétences… » Et de tacler l’Etat qui « a la charge exclusive du contrôle de légalité dont on sait qu’il a été exercé au fil des décennies de façon pour le moins inégale, pour ne pas dire souvent scandaleusement inappropriée ».
 
Le devoir de mémoire de l’Etat
Surpris par « la caricature des positions », le président Simeoni remet sèchement les pendules à l’heure : « On vient dire : les difficultés en Corse, c’est le PADDUC ! Non ! Cela peut être le défaut de PLU, la loi Alur, la loi Elan, la superposition des loi Montagne et Littoral… Nous étions prêts à travailler ensemble, l’Etat n’a jamais voulu. Aujourd’hui, il met en place des procédures concurrentes qui nous excluent. Cela, nous ne pouvons pas l’accepter ! ». Il accuse Paris de jouer avec le feu en attisant « l’angle le plus complexe et le plus dangereux, celui de l’urbanisme parce qu’il y a de vraies difficultés, que des problèmes posés de bonne foi par les maires ne sont pas traités, et que cela touche aux fondamentaux de ce que nous sommes ». Et met en garde les élus : « On ne peut pas oublier qu’il y a eu pendant des décennies des excès que vous n’avez jamais cautionnés. Vous savez que parmi ceux qui tapent à la porte de la révision du PADDUC, il y a, à la fois, le maire de bonne foi, l’exploitant économique d’une activité de plage de bonne foi, mais aussi des spéculateurs d’ici ou d’ailleurs. Avec ceux-là, nous ne parlerons pas. Les choses sont claires. Sur tout le reste, on peut discuter. Nous ne nous laisserons pas attirer dans ce jeu-là, nous savons trop, vous savez et Paris sait aussi où cela va nous conduire dans un mois, six mois ou un an ». Avant de conclure en retournant le fer sur la plaie : « Et puisque l’Etat a choisi de prendre les paillotes, les AOT et l’urbanisme comme points d’entrée de ce conflit de légitimité qu’il cherche à construire, il devrait se rappeler tout ce qu’il a fait. On nous renvoie à un devoir de mémoire que nous assumons, alors que tout le monde se rappelle ce que les uns et les autres ont fait à la demande de l’Etat, avec sa caution implicite ou explicite. Nous l’avons en tête, les Corses aussi, et nous avons confiance dans le jugement des Corses ».
 
N.M.