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Gilles Simeoni : « Le vote sur le statut de coofficialité a tout pour devenir historique »


Nicole Mari le Mercredi 24 Avril 2013 à 00:31

Le projet de statut de coofficialité sera soumis au débat et au vote, jeudi, à l’Assemblée de Corse. Si, selon un récent sondage, le bilinguisme fait largement consensus au sein de la population insulaire, les partis traditionnels restent divisés sur la question. Face à la multiplicité d’amendements qui menacent de plomber le statut, Femu a Corsica a, mardi matin, à Bastia, replacé le combat pour la langue dans sa perspective historique et appelé les élus progressistes à faire preuve de courage politique. Son leader, Gilles Simeoni, explique, à Corse Net Infos, les enjeux politiques, linguistiques et juridiques de ce vote vital pour la sauvegarde di a lingua nustrale.



Gilles Simeoni, élu territorial de Femu a Corsica
Gilles Simeoni, élu territorial de Femu a Corsica
 
- Pourquoi replacer le débat sur le statut de coofficialité dans une perspective historique ?
- Pour nous, ce vote s’inscrit dans « U filu di a storia ». Le 8 juillet 1983, la 1ère Assemblée de Corse (CTC) avait débattu et voté une motion déposée par Michel Castellani, au nom du groupe UPC, en faveur du bilinguisme et de l’enseignement obligatoire de la langue corse. Michel était, à l’époque, le benjamin de l’Assemblée, il est, aujourd’hui, le doyen de notre groupe. 30 ans après, nous sommes à la veille d’un vote, que nous pensons et que nous voulons, historique car il est la continuité d’une lutte dont nous nous revendiquons et dans le droit fil de laquelle nous nous inscrivons. C’est pourquoi nous nous présentons, aujourd’hui, entourés de toutes les composantes de Femu a Corsica et de militants symbolisant toutes les générations qui se sont battues pour la langue corse. Depuis les années 60, en passant par le Riacquistu des années 70, les mouvements étudiants avant et au moment de l’ouverture de l’université jusqu’aux manifestations des années 1990, 2000 et 2010, le combat pour la langue et pour une société bilingue a été au cœur de l’engagement de chacun d’entre nous.
 
- Le rêve d’hier est-il en passe de devenir réalité ?
- Après ces 30 ans de lutte, ce qui pouvait passer pour une utopie est, aujourd’hui, à portée de main. Le vote de jeudi est aussi une façon de rendre hommage à tous ceux qui ont porté, avant nous, le drapeau d’un peuple qui aspire à rester lui-même, à parler sa langue et à construire son avenir. Nous espérons qu’il sera une victoire politique pour tous celles et ceux, que ce soit les militants politiques ou associatifs, les groupes culturels, les poètes, les parents d’élèves, les anciens dans les villages…, qui ont fait que cette langue a pu, dans un contexte hostile et défavorable, survivre et être transmise. Aujourd’hui, grâce à leurs actions conjuguées pour cette langue et le peuple dont elle émane, tous les futurs restent possibles.
 
- Quels sont les enjeux concrets de ce vote ?
- Le premier enjeu est d’ordre vital. Le constat est clair : la langue corse est menacée de disparition. Sa survie et son développement nécessitent l’obtention d’un statut de coofficialité, condition nécessaire, validée politiquement et scientifiquement, même si non suffisante. Pour preuve, tout ce qui a été fait depuis 30 ans a, certes, empêché que la langue corse ne disparaisse définitivement, mais n’a pas, pour autant, permis de la développer et de la faire rayonner. Vouloir une société bilingue impose de passer par le cadre juridique de la coofficialité. Mais l’affirmer, c’est aussi souligner un des dangers directs du vote de jeudi. Certaines propositions, respectables en démocratie, sont, pour nous, dangereuses.
 
- Lesquelles ?
- Le 1er risque est l’optionalité. Maintenir le corse dans un statut d’optionalité et, donc, l’enfermer dans une logique de discrimination, serait un choix qui, à moyen terme, sonnerait le glas de notre projet linguistique et, donc, la disparition de notre langue. Le 2ème risque est de vider le projet de sa substance par des amendements qui en dénatureraient la portée et le priveraient de son sens global. C’est la tentation de certains, notamment du Front de Gauche ou de la Gauche républicaine qui annonce des dizaines d’amendements. La 3ème modalité de l’offensive contre le statut est d’agiter les vieux réflexes de crainte en disant que la coofficialité serait discriminatoire. Il faut faire litière de ce type d’arguments.
 
- Vous évoquez aussi un enjeu plus global. De quoi s’agit-il ?
- La coofficialité est un pilier de la démocratie, notamment d’une démocratie linguistique à construire. Au delà de l’importance des enjeux internes à la société insulaire, la langue corse n’est pas seulement un élément décisif de notre identité individuelle et collective, elle est aussi un moyen politique de cohésion sociale et d’intégration dans une île où s’installent 5000 personnes par an. Comment les intégrer sans une langue, une culture et une identité fortes ! La langue corse est aussi un gage d’ouverture sur notre environnement européen et méditerranéen.
 
- De quelle manière ?
- Le débat sur la coofficialité nous permet de mettre en perspective notre rôle et notre place sur une scène européenne où l’on réfléchit à l’éducation de demain dans des sociétés devenues multiculturelles et où l’Etat français, dans sa politique de monolinguisme agressif et jacobin, tend à devenir une sorte d’exception rétrograde. Des dizaines de millions d’Européens vivent, depuis longtemps, un bilinguisme et même un multilinguisme naturels. C’est vrai dans les nations sans Etat comme la Catalogne, le Pays Basque ou le Pays de Galles. C’est vrai, aussi, dans des régions à forte identité. Le combat, pour que la langue corse retrouve au sein de la société la place qui lui revient de droit, est un combat, pour nous, historique, mais qui va aussi dans le sens de l’histoire. Le vote de jeudi a tout pour devenir un vote historique. Nous plaiderons dans ce sens.
 
- Le projet, qui sera présenté, a été écrémé. Vous convient-il encore ?
- Au départ, le projet visait une perspective plus haute, un statut à la catalane. Chemin faisant, pour tenir compte des préventions et obtenir un rassemblement le plus large possible, le niveau d’exigence a été abaissé. Le projet actuel garde une cohérence, un sens et aborde bien le problème. C’est un cadre juridique définissant un processus échelonné, graduel qui permettra, à la société corse et à tous les citoyens qui la composent, d’évoluer de façon naturelle et apaisée vers le bilinguisme.
 
- Si le projet se trouvait trop modifié par les amendements, le voterez-vous quand même ?
- Nous ne faisons pas de chantage avant un débat, mais notre position est claire. Nous nous battons, depuis 30 ans, pour donner à la langue corse un statut qui lui permette de vivre et de se développer. Nous n’accepterons pas des hypothèses encore plus basses qui ne conviendraient pas aux objectifs fixés. Nous n’avons pas d’à-priori idéologique. La langue corse est la langue de tous les Corses. Elle n’appartient ni à Femu a Corsica, ni aux Nationalistes en général, ni à quelque parti que ce soit. Mais il faut réfléchir en termes d’objectifs. A partir du moment où l’objectif est de sauver notre langue et d’obtenir le bilinguisme, il faut un statut de coofficialité. Il faut, donc, voter ce statut, sans chercher à le dénaturer ou à l’édulcorer.
 
- Pensez-vous qu’il sera adopté ?
- Rien n’est acquis. C’est pour cela que nous en appelons au courage politique et au sens des responsabilités des élus non nationalistes qui, à gauche ou à droite, ont pris des positions fortes et courageuses en faveur de la coofficialité. Nous leur demandons d’aller au bout de cette logique pour permettre au statut d’être adopté et au vote d’obtenir une majorité la plus large possible qui lui donnera la plus grande légitimité et la plus grande force politique. En le faisant, ils ne feront que rejoindre la volonté du peuple qui, dans la dernière enquête d’opinion, s’est prononcé à 90% en faveur du bilinguisme.
 
- Si le statut est adopté, vous plaidez pour un référendum. Au regard des résultats d’Alsace ou de ceux de 2003, n’est-ce pas risqué ?
- Le référendum viendra en son heure. Reste à savoir les questions qui seront posées aux Corses ! En démocratie, il est normal que le peuple se prononce sur chaque décision importante à prendre. Je suis confiant. Sur des problèmes fondamentaux comme la langue, la terre ou la spécificité fiscale, il n’y a aucune raison de craindre l’expression des Corses. Je suis persuadé qu’ils se prononceront, dans leur très grande majorité, dans le sens conforme aux intérêts collectifs du peuple corse. Ensuite, s’il y a des obstacles juridiques et constitutionnels à la mise en œuvre de ce statut, il faudra que nous obtenions la révision de la Constitution !
 
- Que faites-vous des messages clairs du gouvernement qui refuse toute révision ?
- Ce n’est pas acceptable ! Je poserai, jeudi, en session, une question orale sur les Arrêtés Miot. J’y rappelle que la CTC a voté, le 8 février, une délibération solennelle demandant, notamment, au 1er ministre de recevoir, sans délai, une délégation d’élus pour obtenir l’engagement politique au plus haut niveau de l’Etat du maintien, au moins jusqu’en 2017, de notre régime fiscal particulier. Là encore, nous n’avons pas de réponse. Cette absence de réponse, la politique de l’Etat en matière de soutien aux opérations de déclassement des terres agricoles et des espaces naturels, la prise de position de François Hollande sur la Charte des langues régionales, celle de Jean-Marc Ayrault sur le dialogue avec la CTC sont effectivement des signes très inquiétants. L’Etat doit accepter d’ouvrir un dialogue à la hauteur des problèmes qui sont posés et d’aller vers une révision de la Constitution pour permettre à la Corse d’avoir les moyens de sa politique et les rênes de son avenir.
 
Propos recueillis par Nicole MARI

Toutes les composantes de Femu a Corsica et différentes générations de militants réunies autour de Gilles Simeoni et de Jean-Christophe Angelini
Toutes les composantes de Femu a Corsica et différentes générations de militants réunies autour de Gilles Simeoni et de Jean-Christophe Angelini