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Des visages d'anciens vont illuminer l'espace public dans l'Extrême-Sud : le projet artistique mémoriel de Philippe Echaroux


le Vendredi 18 Juillet 2025 à 09:44

A partir de ce mercredi 16 juillet, Toussainte et Augusta (dite « Ghita ») s’illumineront la nuit venue dans Porto-Vecchio. Et il va falloir s’habituer à ces visages d’anciens Porto-Vecchiais, puisque leurs portraits, issus du travail du photographe et street artist Philippe Echaroux, feront désormais partie du paysage nocturne porto-vecchiais. Et très bientôt, huit autres portraits vont s’ajouter quelque part dans l’espace public de chacune des communes de la Communauté de communes du Sud-Corse, laquelle porte ce projet intitulé « Tempi ». L’artiste contemporain Philippe Echaroux, à qui l’on doit déjà la projection du portrait de Claude Papi dans son stade, revient sur ce nouveau projet.



Les visages de nos anciens projetés la nuit à Porto-Vecchio et dans tout l'Extrême-Sud, c'est le projet "Tempi". PHOTO PHILIPPE ECHAROUX
Les visages de nos anciens projetés la nuit à Porto-Vecchio et dans tout l'Extrême-Sud, c'est le projet "Tempi". PHOTO PHILIPPE ECHAROUX
Philippe Echaroux, comment est né « Tempi » ?
J’habite à Marseille, mais je passe énormément de temps dans le sud de la Corse, été comme hiver. J’adore cette région.  Et j’avais été sollicité pour projeter le portrait de Claude Papi sur le stade à Porto-Vecchio. Puis en discutant avec les élus de la communauté de communes du Sud-Corse, on s’est dit que c’était une idée intéressante de faire naître un projet autour de la mémoire des lieux, en allant à la rencontre des anciens.

Qu’est-ce qui vous a séduit, précisément, dans ce projet ?
Ca correspond exactement à ce que je fais. Mon art, c’est de photographier des gens et les faire se mélanger à leur environnement. Du coup, on trouvait que ça faisait sens de parler de mémoire, puisqu’on peut littéralement, grâce à la lumière, mélanger les habitants avec l’habitat, les arbres…

La mémoire, ça passe selon vous artistiquement par le fait d’exprimer la vieillesse des personnes photographiées ?
Pas forcément. Nous avions aussi un vidéaste et un linguiste dans le projet. Et on a enregistré les personnes photographiées pour conserver aussi la mémoire de la langue corse. J’ai compris que c’est quelque chose d’ultra important ici. Et même si je le savais, en les écoutant j’ai vraiment compris l’importance de transmettre cette langue-là. Et le souci qu’ont les anciens qu’elle soit transmise. Ensuite, moi je ne prône pas la mémoire d’une manière universelle. Mon art est basé sur de la projection. Je photographie des gens ou j’écris des choses, et on les projette la nuit venue dans différents environnements. C’est une approche qui vise à sensibiliser les jeunes aux anciens et à la mémoire des lieux.

Justement, comment avez-vous construit votre approche artistique pour mettre en lumière ces visages ?
Je suis un artiste qui est plutôt engagé dans l’environnement, c’est pour ça que j’ai choisi un art qui ne laisse pas de trace, qui est fait à base de lumière. On essaie d’être le plus écoresponsable possible. Et je trouvais ça intéressant de proposer un art éphémère, c’est-à-dire qui n’apparaît que la nuit. La journée, le mur ou l’arbre est nu. Il est tel qu’il est en fait. J’ai le souci de respecter les lieux que j’occupe. 

Ca ne dénature pas vos photos de les projeter ?
Ca les mélange. C’est pour ça d’ailleurs que je projette en noir et blanc. Parce que si je projette sur un mur orangé, un peu comme la citadelle ici, ça ferait un truc qui ne marcherait pas. Je ne dirai pas que ça dénature. C’est autre chose en fait. Ces portraits-là, ce sont des portraits photo avec ma patte, mais quand c’est projeté, c’est un mélange entre le portrait et un arbre ou un mur. Ca créé une autre œuvre. 

Quand vous déclenchez la photo, vous anticipez sa projection à venir ?
Oui, exactement. Ce n’est pas pour rien que je demande aux gens que je photographie de prendre certaines positions, car je sais que ça va coller à tel ou tel arbre que j’ai repéré. Il y a cette idée de comment tel ou tel visage va se mélanger au support. Je projette aussi des phrases, et ça a le même principe : si on met une idée très positive sur un mur tout décrépi, ça ne va pas avoir le même sens que sur un mur très propre. C’est un mélange lumière/matière et les deux sont aussi importants en fait.

 

Les deux premiers portraits, en version photo, présentés par Philippe Echaroux.
Les deux premiers portraits, en version photo, présentés par Philippe Echaroux.
- Quel est votre rapport avec le temps qui passe ?

Je viens de fêter mes 42 ans, donc, oui le temps passe ! (rires). Dans notre vie active, on entend souvent dire qu’on n’a pas beaucoup de temps. Or, j’ai déjà fait un projet avec des centenaires et je trouvais intéressant d’aller leur demander, à eux qui n’ont vraiment plus beaucoup de temps, ce qu’ils diraient à un jeune qui dit qu’il n’a pas le temps. Et les réponses étaient assez intéressantes. Ils disaient : le temps, vous l’avez, il faut le prendre. C’est assez simple, mais quand c’est dit par quelqu’un qui a plus de cent ans, ça ne résonne pas pareil. Et forcément, quand on a affaire à des personnes âgées qui nous parlent de leur jeunesse, ben ça nous renvoie quelque chose, puisque on est en train de vivre la nôtre.

- Les Porto-Vecchiais ont appris à connaître et à apprécier votre œuvre de Claude Papi, qui est éclairée tous les soirs dans le stade depuis bientôt deux ans... 

Claude Papi, je ne pouvais pas le photographier, forcément, puisqu’il est décédé. Du coup, j’ai fait une exception. D’habitude, je ne projette que des gens que je photographie ou des choses que je dessine. J’avais retravaillé une vieille photo d’archives avec l’intelligence artificielle et beaucoup d’huile de coude, pour mettre la photo sur son stade. C’était une nouvelle démarche pour moi et j’ai trouvé ça intéressant. Je connaissais son nom car je m’intéresse au foot, mais je ne connaissais pas tant son histoire, ni l’importance qu’il avait ici. J’ai pu rencontrer sa famille. Je suis artiste, et mon boulot c’est de faire une œuvre qui marque les gens. Pas moi. Et donc, c’est assez émouvant à vivre en tant qu’artiste de voir l’émotion dans le regard des proches.

Héroïnes de ces deux premières oeuvres monumentales, Toussainte et Ghita, 94 ans, seront projetées chaque nuit sur la Marine et sur le Bastion du Palais à Porto-Vecchio. Pour découvrir leurs histoires et connaître les lieux des prochaines projections (à Sotta, Figari, Lecci...), rendez-vous sur 
https://www.tempi.corsica/