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Assemblée de Corse : Un nouveau dispositif d’aides pour faciliter l’accès au logement et à la propriété


Nicole Mari le Vendredi 27 Septembre 2019 à 17:57

« Una casa per tutti, une casa per ognunu ». Prenant à bras le corps les difficultés de logement que rencontrent les Corses, l’Exécutif de la Collectivité territoriale (CdC) a défini un nouveau règlement d’aides qui a été adopté, vendredi matin, par l’Assemblée de Corse. L’objectif est de faciliter l’accès à la propriété et la construction de logements locatifs dans les communes de l’intérieur et les centres villes. Ce dossier très attendu, qui a fait l’objet d’une unanimité de principe, a donné lieu à des critiques sur les critères d’attributions qui ont surgi de tous les bancs de l’hémicycle. Les 19 amendements ont débouché sur un quasi-consensus, seul le groupe Per L'Avvene s'est abstenu.



Photo Michel Luccioni.
Photo Michel Luccioni.
Lutter contre la spéculation foncière et les difficultés d’accès au logement était une promesse forte de campagne des Nationalistes. C’est, donc, avec une satisfaction visible que le président de l’Exécutif, Gilles Simeoni, a dévoilé son nouveau règlement d’aides au logement et à l’habitat qu’il a n’a pas hésité à qualifier de « dispositif révolutionnaire, extrêmement innovant ». Rappelant qu’entre 2006 et 2019, le coût du logement a augmenté en moyenne 2 fois plus vite en Corse que sur le Continent (+ 68 % contre + 36 %), et le coût du foncier 4 fois plus vite (+ 138 % contre + 64 %), il dénonce « un véritable apartheid avec des zones entières du territoire où les Corses n’ont absolument plus les moyens d’accéder à la propriété. C’est inacceptable ! Cette situation va s’étendre par capillarité du littoral vers l’intérieur. On a déjà tous des exemples de maisons dans les villages qui auraient pu être achetées par des gens d’ici et qui le sont par des gens de l’extérieur qui ont d’importants moyens financiers ». Un premier rapport d’alerte confirmant ce diagnostic inquiétant avait été voté à l’unanimité lors de la session de juillet. Le statut de résident, revendication historique des Nationalistes pour lutter contre cette dépossession foncière qui s’aggrave, étant récusé par l’Etat, l’Exécutif a tenté de répliquer par une politique forte à droit constant avec un objectif ambitieux affiché : « Une maison pour tous, une maison pour chacun ».

Gilles Simeoni. Photo Michel Luccioni.
Gilles Simeoni. Photo Michel Luccioni.
Un statut de résident par le bas
Validé par la Chambre des territoires et le CESEC, ce dispositif s’articule autour de trois axes forts. Le premier est d’intensifier les moyens financiers mobilisés : « Les crédits de paiement, qui représentent aujourd’hui entre 8 et 10 millions € par an, atteindront, dès la première année, 12 millions €, soit une hausse de 20 % à minima, pouvant aller jusqu’à + 50 %. Cela permettra une meilleure prise en compte, dès la fin de l’année, des demandes des communes et EPCI, des bailleurs ou des jeunes ménages ». Le deuxième est de renforcer l’accès au logement social et à la propriété. « Les citoyens consacrent en moyenne 20 % de leurs revenus au logement, 40 % pour les ménages les plus modestes. Nous avons modifié et harmonisé les dispositifs d’acquisition foncière pour construire du locatif ou améliorer l’existant et repensé l’aide à la primo-accession ». Le troisième est de recentrer l’aide vers les personnes et les territoires qui en ont le plus besoin, notamment les communes de l’intérieur. « Elles pourront bénéficier d’un cumul des taux d’intervention de 80%, soit une aide multipliée par 4 ». Par exemple, l’achat d’un logement ancien bénéficie d’une subvention de 108 800 € à 119 680 €, sa rénovation de 64 000 € à 70 400 €. Les aides atteignent 110 000 € pour l’achat de foncier, 96 000 € par construction de logement. Pour les lotissements communaux, elles varient de 125 000 € à 225 000 € pour le foncier et de 180 000 € à 270 000 € pour l’aménagement, si ces opérations facilitent la primo-accession. « L’idée est de se servir du droit actuel pour obtenir un statut de résident par le bas. Les communes ont le droit par la loi de réserver les logements qu’elles construisent à leurs habitants, à un prix d’acquisition très inférieur au prix du marché, environ 2000 € /m2 », explique Gilles Simeoni. « Pour novembre et décembre, 65 communes se sont positionnées et 90 acquisitions sont déjà dans les tuyaux ».

Des besoins urgents
Si tout le monde salue la philosophie et les objectifs de cette politique, des critiques surgissent sur tous les bancs de l’hémicycle sur ses limites. Ce sont surtout les maires qui montent au créneau en argumentant à partir de la situation de leur commune. « Ces 20 dernières années, nous avions un objectif : ne plus avoir de maisons en ruine ou en très mauvais état sur notre commune. 20 ans c’est long, mais les mesures en vigueur ne correspondaient pas à nos besoins pour l’achat des biens et leur remise en état. Nous avons, néanmoins, acquis 5 bâtiments. Pour l’un d’eux, il y avait 40 indivisaires, cela nous a pris 8 ans », réagit Marcel Cesari, élu de Femu a Corsica et maire de Riventosa. « Ce nouveau dispositif nous aidera à deux niveaux : les recettes tirées du logement locatif nous permettra de constituer un fonds important pour financer à terme des projets de logement. Ensuite, de satisfaire les demandes d’accession à la propriété pour éviter que les jeunes ménages ne s’installent sur les communes environnantes. L’accès au logement est capital. Mais, sans document d’urbanisme, il sera difficile de mettre en œuvre ce dispositif ». Son colistier, Julien Paolini, annonce le dépôt d’un amendement pour élargir les critères : « Le seul critère démographique nous semblait limitant pour les communes rurales, nous demandons une étude au cas par cas, de faire presque dans la dentelle. La commune de Prunelli, qui compte 3000 habitants, connaît les mêmes contraintes que le village de Petrosu ».

Xavier Lacombe. Photo Michel Luccioni.
Xavier Lacombe. Photo Michel Luccioni.
Des critères à revoir
Une critique partagée par Xavier Lacombe, élu du groupe Per L’Avvene et maire de Peri : « Le dispositif va dans le bons sens, mais il y a des choses à revoir. Est-il suffisant ? Non ! Il est regrettable que les aides se basent sur des critères démographiques, pas sur des montants de travaux. Comment une commune de 1200 habitants, qui ne peut atteindre le taux d’aide de 80 %, pourra-t-elle faire ? Elle ne pourra pas faire les travaux et devra boucler son projet sur la dotation quinquennale. C’est dommageable. Des communes ne vont pas pouvoir construire. Il n’y a pas d’équité ». Il revient aussi sur la problématique des biens vacants et sans maître : « Le droit de préemption ne s’exerce que par les communes ayant un document d’urbanisme, il y a urgence à régler ce problème pour que l’aide au logement soit efficace ». Le groupe de droite a déposé 4 amendements, notamment concernant la sortie de l’indivision : « On ne peut qu’être d’accord. On va créer les conditions pour poursuivre le consensus et apporter notre contribution. Face à l’attente, on doit envoyer des signaux responsables, même si il y a beaucoup à dire sur les transferts symboliques que vous ne cessez de réitérer », commente son président Jean-Martin Mondoloni.
 
Des priorités à établir
Même son de cloche du côté du groupe Andà per Dumane. « Nous voterons ce rapport quelque soient les amendements retenus parce qu’il va dans le bon sens. Un effort important va être fait. La seule question que je me pose est l’opportunité de l’aide aux primo-accédants. J’ai la conviction qu’au regard de la situation de l’île, nous aurions du nous concentrer sur la mise en place d’un parc locatif public pour éviter le risque de saupoudrage. Il faut établir des priorités », nuance son président et maire de Bonifacio, Jean Charles Orsucci. « Ce règlement est un début de réponse, mais nous rencontrons le problème de l’indivision. Nous n’avons, de fait, peu ou pas de solutions pour récupérer le foncier », ajoute sa colistière, Marie-Hélène Padovani, conseillère municipale de San Martino di Lota. « Il faut arrêter d’opposer le littoral et le foncier. La question du foncier doit être appréhendée de manière globale ». Elle fustige la hausse du prix des terrains sur le littoral qui rend les achats impossibles et les aides, pour accéder au foncier, qui font le jeu de la spéculation : « Les logements sont revendus 10 ans plus tard pour réaliser de belles plus-values. Il serait opportun d’aider les communes de l’intérieur à mettre en place certains outils, dont le droit de préemption pour que le foncier n’échappe pas aux habitants et un quota de logements locatifs ».

Jean-François Casalta. Photo Michel Luccioni.
Jean-François Casalta. Photo Michel Luccioni.
Plus d’ambition
D’autres carences du dispositif sont pointées par les deux autres groupes de la majorité. Tout en soulignant l’importance des contraintes budgétaires, l'élu du PNC, Jean-François Casalta, estime que le dispositif « aurait du être plus musclé dans son effort financier. Pour répondre au constat très alarmant qui a été fait, face à un enjeu aussi crucial, ne pourrons-nous pas affecter une enveloppe plus ambitieuse ? Il ne faudrait pas que ce rapport produise des effets contre-productifs, il faut donc serrer le cahier des charges. Pour revitaliser le milieu rural, on comprend mal le plancher de 90 000 €. Pour le cœur de ville, le plafond proposé est trop bas. Ces dispositifs vont dans le bon sens, mais il faut les booster de manière significative ».  De la même façon, Rosa Propseri, élu de Corsica Libera, demande à l’Exécutif « de faire encore plus. Il conviendra d’avoir une action plus incisive sur le secteur bancaire. On ne peut pas ne pas évoquer la rareté des prêts consentis ». Pour elle, « il ne s’agit pas du statut de résident par le bas, mais de mettre en place des dispositifs incontestables et attendus par la population ». Des propos relayés par le président du groupe, Petr’Anto Tomasi qui propose « un amendement pour réserver ce dispositif à des gens qui justifient une résidence de 3 ans en Corse. Il faut poser en amont des garde-fous et des mesures qui précisent la cible de ce dispositif, et répondent à un souci général de lutter contre les dérives spéculatives et les résidences secondaires. Le fait de réserver des aides directes à des résidents dans le cadre d’une résidence qualifiée, c’est-à-dire trois ans de résidence, existe dans des collectivités françaises, notamment à St André, à Paris... »

Un pas franchi
La proposition est acceptée par le président de l’Exécutif qui l'étend à la diaspora. Au total, près de 19 amendements ont été déposés, certains finiront par tomber, peu seront récusés. Il faudra plus de 5 heures aux élus réunis en commission pour aboutir à un consensus. « Les contributions fournies par voie d’amendement ont permis d’améliorer de façon remarquable ce dispositif qui est puissant. Nous avons fait, ensemble, un pas important pour que des Corses accèdent mieux au logement et à la propriété », se félicite Gilles Simeoni. Le rapport est voté à la quasi-unanimité, seul le groupe Per l'Avvene s'est abstenu.
 
N.M.