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Aleria 75 : Un parcours mémoriel à la hauteur de l’acte fondateur du nationalisme corse


Nicole Mari le Dimanche 22 Août 2021 à 21:30

C’est devant la stèle du souvenir, inaugurée, il y a 6 ans, par Edmond Simeoni que l’Associu Aleria 75 a commémoré, ce dimanche 22 août, le 46ème anniversaire des évènements qui ont fondé le nationalisme corse. En présence de Lucie Simeoni et des compagnons de route de son mari qui sont venus en famille, du président de l’Exécutif et d’élus de Femu a Corsica, a été confirmé le projet de construire un parcours mémoriel sur une partie de la défunte cave Depeille en collaboration avec la Collectivité de Corse et l’université. Gilles Simeoni en a profité pour marteler sa gratitude envers ceux qui se sont levés contre l’injustice, sa fidélité à cet idéal, sa détermination à le concrétiser et son espoir d’une Corse émancipée.



L'Associu Aleria 75 et les élus et militants de Femu a Corsica ont commémoré les évènements d'Aleria qui se sont déroulés les 21 et 22 août 1975.
L'Associu Aleria 75 et les élus et militants de Femu a Corsica ont commémoré les évènements d'Aleria qui se sont déroulés les 21 et 22 août 1975.
« Aleria est le symbole de la lutte contre la colonisation agricole et touristique et du combat pour l’identité. C’est un acte de résistance. C’est même l’acte fondateur de la résistance contemporaine ». C’est par ces mots qu’Edmond Simeoni, évoquait dans nos colonnes, lors du 39ème anniversaire, la genèse de ces deux journées d’Aleria qui ont fondé le nationalisme corse. On parlera du « choc d’Aleria », ces deux journées chaotiques des 21 et 22 août 1975 où une simple opération politique et médiatique vire au drame par la réaction disproportionnée de l’Etat. Le 21 août, le Dr Edmond Simeoni et une poignée de militants de l’ARC (Action régionaliste corse) occupent la cave Depeille à Aleria pour dénoncer le scandale de la chaptalisation du vin. Le lendemain, à l’aube, un assaut inattendu et désordonné des forces de l’ordre cause deux morts, un blessé, la reddition d’Edmond Simeoni qui endosse, seul, la responsabilité, et ouvre une ère de grande tension entre l’île et Paris. « Aleria a d’abord été un évènement qui a marqué l’opinion publique, puis la pensée collective en a fait une page d’histoire contemporaine. Il a été le facteur déclenchant de nos consciences. Aujourd’hui, il appartient à tous, tout le monde se revendique de ce moment historique », estime Bernard Pantalacci, président de l’Associu Aleria 75.

Bernard Pantalacci.
Bernard Pantalacci.
Un projet mémoriel
En 2014, une stèle commémorative en verre à l’effigie de la façade de la cave occupée est posée, en présence d’un millier de nationalistes et des vétérans du commando, au bord de la route, à l’entrée du lieu des affrontements d’où il ne subsiste plus rien. Les bâtiments menaçant de s’effondrer ont été rasés. Depuis, une déchèterie a été installée sur le site. Le but de l’Associu est « de sortir ce lieu de la modestie dans lequel il l’est. Edmond n’aimait pas les commémorations, il préférait rencontrer des jeunes, des étudiants ou de nouvelles personnes pour convaincre, participer et créer. Mais nous avons été dépassés par le retentissement de l’évènement. Le roman national s’écrit aussi avec des dates, je pense que nous en avons besoin et que celle d'Aléria fait consensus », poursuit Bernard Pantalacci. Le projet formé par l’Associu, retardé par la crise sanitaire et qui pourrait se concrétiser dès la rentrée de septembre, est de construire un parcours mémoriel sur une partie du terrain que la commune d’Aleria lui a cédé et que l’Associu veut, à son tour, céder à la région. « Nous essayons de nous inscrire dans le temps long. Nous avions toujours prévu d’impliquer l’université, nous avons rencontré son président, il y a trois mois, avec le Pr Alain Di Meglio pour créer une sorte de comité de pilotage avec des étudiants. L’idée est de réfléchir, en synergie avec le service du patrimoine de la Collectivité de Corse, à un type de représentation de l’évènement autre que la stèle. Il y a des exemples très intéressants dans toute l’Europe où des lieux d’histoire ont été investis pas la connaissance. On ne veut pas que ce soit une épitaphe, mais un parcours multilingue, son et lumière, où les gens puissent apprendre ce qu’il s’est passé, qu’il y a des gens qui se sont levés et que c’est une charnière historique dans l’histoire de notre pays. Il y a eu un avant et un après. Il y a des figures qui sont restées, Edmond bien sûr, mais aussi d'autres. La mémoire collective a retenu des flashs, des inscriptions, la sonorité, des visages… ».

Mme Simeoni et Mr Peraldi déposent la première gerbe.
Mme Simeoni et Mr Peraldi déposent la première gerbe.
Un acte fondateur
46 ans après, pour ceux qui ont participé à l’évènement, le souvenir comme l’émotion sont intacts : « A l’époque, on avait une espèce d’angoisse de l’existence, on se voyait disparaître. Il y a eu des choses avant Aleria et il y a eu des choses après, mais le choc d’Aleria, c’est un moment de bascule. Nous étions étudiants à Nice, nous avions dû quitter nos familles pour faire nos études. Nous avions des visites fréquentes d’Edmond qui savait l’importance de convaincre la jeunesse qui était le terreau de la future société corse. La façon qu’il avait d’alerter nous donnait le sentiment d’être de futurs indiens, et les indiens ne veulent pas disparaitre. Dieu merci, les choses sont maintenant acquises », se souvient Bernard Pantalacci, qui avait 23 ans au moment des faits. « Nous étions derrière Edmond. Nous avions le sentiment d’être là où nos convictions nous commandaient d’être, notre besoin d’affirmer notre existence, la défense de notre culture, de notre patrimoine, de nos terres et de notre façon de vivre face à des gens qui, eux, étaient là uniquement pour faire des affaires. Ce que ces gens proposaient était contraire à l’avenir que nous voulions pour la Corse et pour son peuple. Commémorer, mettre une stèle permet de ne pas banaliser l’événement parce que ce n’est pas un événement neutre dans l’histoire moderne du nationalisme corse. C’est un moment dont il faut se souvenir avec respect. Aujourd’hui c’est facile de dire « vous étiez là ! », mais il fallait avoir le courage d’affronter l’armée, ces énormes moyens militaires qui avaient été déployés en face de nous. Nous n’avons pas eu peur, nous étions là parce qu’il fallait que nous y soyons. Il faut s’en rappeler aujourd’hui comme ce qui a permis à l’ensemble du peuple de comprendre qu’il y avait un problème, que ce problème existait vraiment et qu’il avait été pris en charge par des Corses. À partir de ce moment-là, la prise en compte de ce grand problème ne s’arrêterait pas », ajoute Mr Peraldi, qui n’était guère plus âgé.

Dépôt de gerbes de Gilles Simeoni et des jeunes élus de Femu a Corsica.
Dépôt de gerbes de Gilles Simeoni et des jeunes élus de Femu a Corsica.
Le devoir de mémoire
Ce dimanche matin 22 août, la conscience de tout ce que le mouvement national et la Corse doivent à Aleria et la nécessité de l'honorer sont vives chez les élus et militants de tous âges symboliquement présents devant la stèle, malgré le soleil de plomb et les restrictions sanitaires. Le président du Conseil exécutif de la Collectivité de Corse, Gilles Simeoni, en fait la promesse solennelle : « IL faut qu’il y ait ici un lieu de mémoire à la hauteur de ce que fut Aleria dans l’histoire contemporaine et dans l’histoire de la Corse. Pas parce que la majorité territoriale est nationaliste, mais tout simplement parce que la collectivité de Corse est une institution qui a été gagnée par les luttes et grâce à la lutte… Je regrette, comme beaucoup d’entre vous que la façade au moins de la cave, qui représente la mémoire de ces deux journées et de ce qui a suivi, n’est pas pu être matériellement conservée, mais il y a, aujourd’hui des procédés numériques qui permettent de reconstituer des lieux à l’identique. Ce lieu de mémoire, nous le devons à ceux qui ont écrit cette histoire, et il est normal que nous conservions leur voix, leur nom et leur visage. Ce sera fait ! ».

Le sens d’Aleria
Le président de l’Exécutif enchaine sur un discours plus politique où il martèle quatre mots : gratitude, fidélité, détermination et espoir. Gratitude d’abord pour ceux qui ont mené le combat : « Ce lieu de mémoire que nous devons construire ensemble, sa première vocation sera d’exprimer notre gratitude pour le courage et la lucidité qu’il a fallu à une poignée de femmes et d’hommes pour se lever et dire : « Non ! » lorsque ce peuple avait tout oublié jusqu’à la conscience de ce qu’il est ». Fidélité ensuite « totale » à l’idéal d’Aleria : « Nous ne transigerons jamais, ni avec la défense des intérêts de ce peuple, ni avec la défense des intérêts de cette terre. Nous sommes irréductiblement fidèles au fil historique du combat initié il y a plus d’un demi-siècle ». Et surtout sa détermination à concrétiser cet idéal : « La victoire politique ne sera acquise que lorsque ce peuple aura les moyens pleins et entiers de son émancipation économique, sociale, culture, institutionnelle et politique. Nous devons faire en sorte que les jeunes soient, à la fois, des passeurs de mémoire et des artisans de cette nation qui reste à construire ». Enfin l’espoir dans l’avènement d’une Corse apaisée et émancipée : « Nous ne pouvons pas échouer  ! », comme il l’explique en vidéo :

Gilles Simeoni : « Le peuple corse va vivre et vivre libre ! »


La transmission
Une gratitude, une fidélité, une détermination et un espoir qui animent aussi les jeunes élus et militants présents, comme Anna-Maria Colombani, la plus jeune conseillère territoriale de Femu a Corsica, à peine âgée de 22 ans. « Pour savoir où l’on va, il faut d’abord savoir d’où l’on vient ; on vient de cette histoire-là et on a encore beaucoup à construire », explique-t-elle en vidéo à Corse Net Infos :

Anna-Maria Colombani : « Nous voulons construire, mais toujours sur le même fil historique »