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Vote de confiance : Les députés Michel Castellani et Paul-André Colombani optent pour une abstention raisonnée


Nicole Mari le Vendredi 5 Septembre 2025 à 20:00

Pour défendre son budget 2026, le Premier ministre François Bayrou engagera, le 8 septembre, la responsabilité de son gouvernement devant l’Assemblée nationale. Si la défiance est votée, un nouveau gouvernement sera nommé, qui pourrait remettre en cause la poursuite de la réforme constitutionnelle et du processus d’autonomie pour la Corse. Pris entre deux exigences antagonistes, le budget et la Corse, les deux députés nationalistes corses, Michel Castellani et Paul-André Colombani, membres du groupe LIOT, optent pour l’abstention. Explications.



Michel Castellani, député Femu a Corsica de la 1ère circonscription de Haute-Corse, et Paul-André Colombani, député PNC de la deuxième circonscription de Corse-du-Sud. Photo CNI.
Michel Castellani, député Femu a Corsica de la 1ère circonscription de Haute-Corse, et Paul-André Colombani, député PNC de la deuxième circonscription de Corse-du-Sud. Photo CNI.
C’est un pari très risqué et que tout le monde considère déjà comme perdu qu’a fait le Premier ministre François Bayrou en engageant, le 8 septembre, la responsabilité de son gouvernement devant l’Assemblée nationale réunie en session extraordinaire. Il espérait, en recourant à un vote de confiance, sauver son projet de loi de finances 2026 et ses 44 milliards d’économies face au haro de quasiment tous les groupes d’opposition. Sa chute annoncée entrainerait dans son sillage, non seulement son budget 2026, mais aussi nombre de projets de réformes qu’il a initiées. Dans ce contexte, l’avenir du processus d’autonomie de la Corse plonge, de nouveau, dans l’incertitude. Le projet de loi d’écritures constitutionnelles, qui devait être présenté autour du 20 octobre au Sénat, puis à l’Assemblée nationale, semble, encore une fois en suspens. Ce lundi, les deux députés nationalistes corses, Michel Castellani, député Femu a Corsica de la 1ère circonscription de Haute-Corse, et Paul-André Colombani, député PNC de la deuxième circonscription de Corse-du-Sud, tous deux membres du groupe LIOT, sont confrontés à un choix cornélien. D’un côté, leur opposition totale au budget Bayrou pour 2026 et de l’autre, le plein soutien que le même François Bayrou et son ministre de la Décentralisation, François Rebsamen, apportent au processus d’autonomie et la garantie donnée de le mener à terme. Les deux députés ont, donc, décidé à contre-cœur d’opter pour une voie médiane : l’abstention raisonnée.
 
Un vote contrariant
« C’est un vote très contrariant dans la mesure où aucune des trois solutions n’est satisfaisante : ni pour, ni contre, ni l’abstention. Donc, il faut choisir un moindre mal », reconnaît Michel Castellani. « D’une part, comme commissaire aux finances et corapporteur du budget, j’ai émis des réserves sur le plan budgétaire. Il y a toute une série de remarques, de décisions fondamentales qu’il fallait prendre, de dispositifs budgétaires qu’il faut purger et sur lesquels nous n’avons pas été suivis, bien que nous les ayons défendus à maintes reprises. Par exemple : ce n’est pas normal de donner 211 milliards d’euros d’aides aux entreprises. Si certaines aides sont tout à fait fondées, d’autres sont données à des entreprises qui licencient à tour de bras tout en distribuant des dividendes. On marche sur la tête ! On ne peut pas, non plus, taxer les retraités, mettre deux jours de travail supplémentaire et, en même temps, épargner l’économie spéculative et financière. Ce sont des sommes énormes, des milliards d’euros qui circulent d’une place financière à l’autre, qui s’abritent éventuellement dans des paradis fiscaux et qui ne rapportent pas un centime à l’Etat. À chaque fois, on nous répond qu’on ne peut pas affaiblir la place de Paris. C’est une excuse insuffisante ! Il y a aussi pas mal de niches sur lesquelles il faut réfléchir. Est-ce normal de faire une remise d’impôt pour l’embauche d’une femme de ménage à des gens qui ont largement les moyens ? Il faut aussi avoir une réflexion sur le crédit impôt-recherche qui coûte une fortune et dont on ne connaît pas exactement les contours et les résultats ». Mais, poursuit-il : « D’autre part, et en sens contraire, le Premier ministre, le ministre Rebsamen et d’autres ministres ont été très loyaux sur la question Corse. Ils ont poussé le projet de loi sur l’autonomie dans des conditions pas faciles, n’ont jamais renoncé à essayer d’avancer dans un cheminement constitutionnel pour donner un statut d’autonomie à la Corse. Ce qui fait, qu’in fine, je pense que je m’abstiendrai. Quand on ne peut pas voter pour et qu’on ne peut pas voter contre, il ne reste plus qu’une solution : l’abstention. Mais je reconnais que ce n’est pas satisfaisant ».
 
Pas de carton rouge
Son colistier, Paul André Colombani, est exactement sur la même longueur d’onde : « Le budget est, pour nous, socialement inacceptable. On va encore taxer les gens qui travaillent, les retraités, tout en laissant tranquilles, comme on le fait depuis 2017, les très hauts revenus. Dans ces conditions, il est difficile de voter la confiance et de dire à François Bayrou qu’on est d’accord avec son constat. Il nous a mis dans une situation que personne ne comprend. On ne demande pas aux oppositions de voter la confiance ! Notre porte de sortie est claire : nous n’avons pas voté un seul budget en huit ans, nous ne sommes pas responsables de la situation d’aujourd’hui. En même temps, nous nationalistes corses, qui nous battons depuis huit ans pour l’autonomie, nous ne pouvons pas, à un mois de la bataille législative qui se prépare sur la Corse, mettre un carton rouge à ce gouvernement qui a été loyal et qui a tenu tous les engagements qui ont été pris, que ce soit sur l’autonomie ou sur la santé, comme l’a encore fait le ministre de la santé, cet été. Concernant la Corse, tout va pour nous dans le bon sens. Donc, pour le moment nous sommes sur une position d’abstention ». De toute façon, ajoute le député du Sud, « Au moment où l’on parle, la messe semble dite ! Lorsque les socialistes et le RN votent contre la confiance, nos voix ne comptent rien parce que le groupe LIOT n'est pas assez puissant ». Le groupe, d’ailleurs, où chacun des membres garde sa liberté de vote, pourrait bien voter en ordre dispersé.
 
Un processus hors-jeu
Dans ce contexte chaotique, ce qui inquiète les deux députés nationalistes, c’est la suite du processus. « En théorie, nous aurions dû voir apparaître sur l’agenda parlementaire du Sénat, le texte de loi sur la Corse, d’autres textes sont apparus, mais pas celui-là. Est-ce que le président Larcher profite de la situation ? On se le demande. Il a inscrit le projet de loi sur le droit à mourir, celui sur la Nouvelle-Calédonie, mais rien sur la Corse. L’agenda s’arrête au 21 octobre, or le texte sur la Corse aurait dû être examiné à ce moment-là. Est-ce volontaire de la part du président Larcher qui attend la chute du gouvernement ? Est-ce un artifice de sa part ou un simple oubli ? », s’interroge Paul-André Colombani. Avant d’avouer : « C’est surtout frustrant de se retrouver avec une nouvelle incertitude à quelques semaines du débat prévu sur la Corse. C’est un débat que l’on attend depuis longtemps, et même s’il n’est pas gagné d’avance, on ne voudrait pas qu’il nous passe sous le nez ». Michel Castellani va plus loin : « Le gouvernement a très peu de chance de rester en exercice. Le processus d’autonomie, ipso facto, est mis hors-jeu par l’évolution actuelle des choses. Par contre, il pourra être repris, nous veillerons à ce qu’il le soit d’ailleurs, si nous sommes en situation de le faire, quand le nouveau gouvernement sera mis en place. Cela dépendra de la personnalité du prochain Premier ministre, des équilibres de son gouvernement et du ministre responsable de la question Corse, si le nouveau gouvernement en désigne un ».
 
Une instabilité catastrophique
Le match semblant plié, lundi, pour le Premier ministre et son gouvernement, c’est désormais la question cruciale pour les nationalistes corses : qui Emmanuel Macron nommera-t-il à Matignon ? Ce retour de l’instabilité politique nationale préoccupe beaucoup les deux députés corses qui se refusent à commenter les rumeurs ou à se livrer à des spéculations sur le nom du futur locataire de Matignon. « Nous sommes à la fois dans une instabilité catastrophique et dans l’incertitude totale. Il y a trop d’hypothèses possibles. Je ne suis pas certain que le Président de la République, lui-même, sache très bien comment il va naviguer maintenant, tellement la situation est compliquée. On prendra acte d’abord du vote de lundi, et ensuite de l’équipe gouvernementale qui tentera de faire passer un budget », commente, pragmatique, Michel Castellani. Le groupe Liot a proposé comme Premier ministre, un de ses membres bien connu des Corses : Charles de Courson. « De Courson a un bon profil. Il n’a pas de visée pour 2027, il n’est pas comptable des différents budgets qui sont sortis ces dernières années, et surtout il a la capacité de parler à tout le monde. C’est le plus ancien député de l’Assemblée nationale et le rapporteur du budget avec le président de la Commission des finances, Eric Coquerel (LFI) », explique Paul-André Colombani. Avant de déplorer les censures à répétition : « Il faut faire attention. Quand on censure comme ça, que l'on fait toutes ces comédies-là, les gens ne mesurent pas l'impact que cela peut avoir sur la confiance des marchés financiers concernant la dette de la France. Dans 15 jours ou trois semaines, quand on voudra faire un prêt à la consommation ou autre, on risque de le sentir passer avec l’augmentation des taux bancaires. A moins de deux ans de l’élection présidentielle, il faut absolument que le nouveau gouvernement reste en place, que l'on produise un peu de stabilité pour rassurer les marchés financiers ».
 
Le spectre de la dissolution
Un vœu pieu dans le chaos général où réapparaît le spectre de la dissolution. « C’est une hypothèse tout à fait jouable parce que le prochain gouvernement risque fort de voir son budget tombé ou son 49-3 être censuré. Alors, il ne restera plus qu’une seule solution : la dissolution de l’Assemblée nationale », admet Michel Castellani. Avant de conclure : « À ce moment-là, les électeurs auront à choisir une voie pour la France, et en Corse, dans ma circonscription, à juger l’action que j’ai menée depuis huit ans de façon positive ou négative. Ils voteront en faveur de ma candidature ou pour les concurrents qui ne manqueront pas de se presser ou portillon ». Selon un sondage IFOP, 63% des Français réclameraient une nouvelle dissolution contre 41% en juin dernier. Si beaucoup la juge inéluctable, les chefs de la coalition gouvernementale - Ensemble, le Modem et Horizons -, réunis par Emmanuel Macron, le 2 septembre dernier, se sont prononcés contre. Même frilosité du côté des Républicains, des Socialistes et des Ecologistes qui craignent de voir leur poids diminuer. Seul le RN la demande franchement et LFI indirectement. Mais tous s’y préparent déjà activement.
 
N.M.