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Tags visant la famille Simeoni à Bastia : Contentieux commercial ou manipulation politique ?


Nicole Mari le Mercredi 6 Janvier 2021 à 20:02

Des tags injurieux visant la famille Simeoni s’étalaient, lundi matin, sur la façade du magasin SFR du boulevard Paoli à Bastia. Beaucoup de buzz pour ce qui apparaît, au final, comme un contentieux d’entreprises sous fond brumeux de manipulation politique. Décryptage.



Tags visant la famille Simeoni à Bastia : Contentieux commercial ou manipulation politique ?
« Simeoni Mafia » et « Fora ». Un nom, pas de prénom, une accusation sous-tendue, et une menace. Les deux tags visant clairement la famille du président de l’Exécutif, Gilles Simeoni, lundi matin à Bastia, auraient pu passer inaperçus s’ils n’avaient pas orné la devanture du nouveau magasin SFR du boulevard Paoli et s’ils n’avaient pas fait, le lendemain, les choux gras du Canard Enchainé. Les réseaux sociaux ont fait le reste. L’affaire dénoncée concerne en fait Marc Simeoni, frère de Gilles et consultant extérieur pour une jeune société « Sant’Anhjulu » qui exploite, désormais, depuis juillet dernier, sous le nom de « SFR in Corsica » plusieurs magasins de téléphonie mobile. L’opérateur SFR ayant remporté l’appel d’offres lancé par la Collectivité de Corse (CdC) sur le marché de déploiement de la fibre dans l’île et signé le contrat en novembre 2018, certains, dont le Canard Enchaîné, semblent y voir un soupçon de favoritisme ou de conflit d’intérêt, ou du moins le laissent supposer. Le journal satirique national appuie son propos sur une enquête déclenchée par l’ex-préfète de Corse, Josiane Chevalier, qui a livré, durant son séjour au Palais Lantivy à Ajaccio, une âpre et féroce guerre contre le pouvoir nationaliste en faisant feu de tous bois. L’enquête s’est terminée en eau de boudin et par une fin de non-recevoir du tribunal administratif.
 
Une querelle commerciale
L’affaire actuelle, que semble dénoncer les tags, n’a, à priori, pas grand chose à voir avec cela : il s’agit, au départ, d’un contentieux commercial entre SFR et son distributeur traditionnel dans l’île, la société Corse GSM. Ladite querelle, qui n’est pas neuve, concerne le renouvellement en 2020 du contrat de diffusion entre les deux partenaires. SFR veut imposer de nouvelles conditions à Corse GSM qui les juge trop défavorables et qui entend conserver le contrat en vigueur depuis 20 ans. Les négociations s’enlisent. En difficulté, Louis Antonini, patron de Corse GSM, appelle à l’aide, en 2018, le président de l’Exécutif corse pour qu’il intervienne en sa faveur auprès de l’opérateur en argumentant sur le risque de casse sociale : son entreprise compte 13 magasins dans l’île et emploie 80 salariés. L’Exécutif corse répond qu’il n’est pas dans ses attributions, ni dans son rôle de s’immiscer dans les relations contractuelles entre deux entreprises privées. Il refuse d’en savoir plus, rappelant que le moment n’est pas anodin : l’appel d’offres concernant la délégation de service public (DSP) de déploiement de la fibre dans l’île est en cours, SFR est candidat, en lice contre l’opérateur historique Orange. L’Exécutif accepte, cependant, d’informer par courrier SFR de la démarche de Corse GSM. L’affaire en reste là.
 
Un paradoxe souligné
Quinze mois après la signature du contrat de DSP, en février 2020, Corse GSM, toujours en contrat avec SFR et toujours empêtré dans de difficiles négociations, relance l’Exécutif territorial. Celui-ci envoie, le 22 février, un second courrier à SFR l’informant de la nouvelle démarche de son distributeur. Tout en martelant son refus de s’immiscer dans une affaire entre deux entreprises privées, l’Exécutif rappelle que, dans le cadre de la DSP, SFR avait pris « un engagement fort en termes d’implication en Corse et de soutien à l’emploi et au développement local », le fameux point qui avait déclenché l’ire de l’ex-préfète et son activisme judiciaire. « Il semble paradoxal et incompréhensible que les choix opérés par votre société dans le cadre de sa politique de développement dans l’île en qualité d’opérateur privé conduisent à des suppressions d’emplois ou à un désengagement, options en contradiction avec la lettre et l’esprit du contrat conclu avec la Collectivité de Corse », ajoute-t-il. Le courrier est, dans la foulée, communiqué à Louis Antonini et à la presse. Le 24 février, Corse GSM réunit ses salariés pour leur exposer sa position et les risques qui pèsent sur les agences et les emplois du fait du conflit l’opposant à Altice France, maison-mère de SFR. Un représentant de l’Exécutif assiste à la réunion et apporte son soutien aux salariés. SFR répond qu’il a l’intention de rester en Corse et que les discussions sont toujours en cours avec Corse GSM. Les semaines passent, mais rien n’aboutit. Louis Antonini remonte au créneau, tandis que SFR prend des contacts avec d’autres diffuseurs, dont la SAS Sant’Anghjulu qui sera finalement choisie, et qui subit, depuis quelques semaines, une campagne de dénigrement sur les réseaux sociaux.
 
Des doutes
Sant’Anghjulu est une jeune société corse créée par Jean-François Succi, un ancien collaborateur de Marc Simeoni, à qui il a proposé un contrat de prestation de service, début d’été 2020. De là à conclure à un favoritisme de proximité, Louis Antonini franchit le pas sans complexe sur les réseaux sociaux et dans les médias : « La Collectivité de Corse est gérée par une famille qui, depuis trois générations, défend les intérêts de la Corse et des Corses. Dans le cas de la distribution de SFR, la CdC s’est retrouvée face à un choix. D'un côté Corse GSM, 80 salariés et 13 magasins. Une société présente en Corse depuis 25 ans et qui vient de créer le premier opérateur corse indépendant. De l'autre, une multinationale, SFR, qui a des capitaux luxembourgeois, et dont les bénéfices partent en Israël et en Suisse. On pensait que la CdC allait nous favoriser ou au moins adopter une certaine neutralité. Et ça n’a pas été le cas. Alors la présence du frère de Mr Simeoni au sein de la nouvelle distribution de SFR en Corse pose question, c’est clair ! On peut se demander quels sont les intérêts défendus par chacun… »,  déclare-t-il à nos confrères de Via Stella. Il semble oublier que si l’Exécutif corse avait accepté de faire pression sur SFR pour reconduire et « favoriser » un contrat avec Corse GSM, cela aurait été, du coup, du trafic d’influence dans le cadre d’un marché public !
 
De la colère
Marc Simeoni, pour sa part, n’a pas caché pas sa colère : « Je me retrouve pris dans une querelle commerciale entre un opérateur et un distributeur, alors que je n'ai rien à y voir ». Ce consultant en stratégie financière a du sacrifier son activité de consulting après l’accession de son frère à la tête de la Collectivité de Corse. L’une des raisons était qu’il ne pouvait plus, dès lors, soumissionner à un seul marché public dans l’île. Il a rebondi en fondant la start-up Volpy, spécialisée dans l'échange et la revente de téléphones de seconde main. C’est dire s’il n’apprécie pas du tout les tags et la polémique : « On est quand même dans un drôle de pays... On se retrouve, nous, les gens normaux, intègres, à devoir se justifier d'être rémunérés, en tant que prestataires, alors qu'on n'a rien à voir avec les enjeux publics », s’émeut-il. Pour lui, le but est juste « de salir ma famille ». Quoiqu’il en soit, on ne peut que se demander qui a déclenché cette campagne injurieuse et tagué la devanture du nouveau magasin SFR situé à proximité de l’ancien ! Mais il est sûr qu’à quelques mois d’une élection territoriale qui s’annonce âprement discutée et dans le contexte actuel de guerre froide avec l’Etat, Paris boit du petit lait…
 
N.M.