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Spéculation foncière : La Coordination rurale dénonce la mainmise de la mafia sur les terres agricoles en Corse


Nicole Mari le Lundi 8 Août 2022 à 22:02

« Si rien n’est fait, dans cinq ans, ce sera trop tard ! ». C’est le cri d’alarme lancé par la Coordination rurale qui dénonce la mainmise de la mafia sur l’agriculture corse et le foncier agricole, notamment en Plaine Orientale. Ce syndicat, qui s’est toujours élevé contre la disparition des exploitations agricoles et la bétonnisation de l’île, vient d’être réactivé par son ancien président, Jean Cardi. Eleveur à San Giuliano, et candidat aux dernières élections législatives pour défendre l’agriculture et la ruralité, il explique à Corse Net Infos que la mafia empêche les syndicats de faire leur travail, qu’elle a infiltré les représentations agricoles et qu’elle met la main sur les grands domaines dans un but de spéculation foncière. Il appelle à un sursaut populaire.



Photo CNI.
Photo CNI.
- Pourquoi avez-vous réactivé votre syndicat ?
- Je viens de réactiver mon syndicat, la Coordination rurale, parce que le syndicalisme local agricole est inactif en Corse. Tout le monde peut le voir. Avec la sécheresse, nos exploitations sont dans le rouge parce que nous sommes obligés d’acheter du foin et de garder le peu de pâturages qui nous reste pour les mises à bas. Beaucoup d’exploitations sont en perte de vitesse à cause aussi de la crise et de plusieurs autres raisons. C’est endémique, cela fait des années que ça dure. Avant dans cette situation-là, nous serions tous descendus dans la rue. Aujourd’hui, personne ne bouge ! Je pense que c’est le rôle d’un syndicat de dénoncer certaines choses. La campagne électorale m’a ouvert les yeux sur pas mal de choses. J’ai rencontré beaucoup de gens et j’ai discuté avec tout le monde. Je veux faire passer un message, lancer un cri d’alarme.
 
- Que dénoncez-vous exactement ?
- Je dénonce les conséquences de l’action de la mafia sur l’agriculture corse. La mafia ne veut pas de la défense des exploitations. Son but est que le marché du foncier tombe. Je parle en connaissance de cause : à une époque, un mafieux assez important était venu me trouver en disant qu’il ne fallait pas défendre les agriculteurs en difficulté, qu’il ne fallait pas s’opposer aux ventes des exploitations, qu’il fallait laisser le marché libre. La mafia rachetait pour une bouchée de pain des terres à des agriculteurs en difficulté, qu’elle mettait quelquefois elle-même en difficulté. C’est toujours le même principe aujourd’hui, lorsqu’un syndicat bouge, la mafia va le trouver. Si un syndicat empêche la vente des exploitations ou des terres agricoles, cela gêne les gens qui veulent s’en accaparer. C’est pour cela que tous les services agricoles ont été regroupés à Vescovato. Une famille, qui règne là-bas, a complètement la mainmise sur l’agriculture. Je peux même vous donner un exemple personnel : nous avons des terrains agricoles qui sont en continuité avec un lotissement, et ça fait longtemps que l’on nous fait comprendre que nous devons nous en aller parce qu’on voudrait prolonger le lotissement. Ce sont des choses concrètes que j’ai voulu dénoncer, des choses que je vis, pas au quotidien, mais que je subis assez souvent pour en souffrir.
 
- Etes-vous en train de dire que l’agriculture corse, jusque dans ses représentations syndicales et professionnelles, est sous emprise mafieuse ?
- Oui ! Je pense que le secteur agricole est gravement absorbé par la mafia. La mafia empêche les syndicats de faire leur travail. Les syndicalistes ne bougent pas, certains peut-être par crainte, d’autres sont complices... Lorsqu’un syndicat veut faire son travail, on lui envoie des gens pour mettre la pagaille dans les réunions. La mafia ne veut pas d’activité syndicale. Elle ne veut pas que les agriculteurs, qu’ils soient en difficulté ou non, se défendent, parce qu’elle veut que le marché du foncier agricole soit mieux soumis à ses prétentions. En Corse, il n’y a plus aucun syndicat qui bouge ! Regardez sur le continent, les syndicats bougent ! En Corse, non ! Pourquoi ? Parce que la mafia veut la mainmise totale sur le foncier. C’est très grave ce qui se passe, surtout en Plaine orientale ! Les élus parlent à longueur de temps de la défense du foncier, alors que tout le monde sait très bien que le foncier est soumis à la mafia. Sur toutes les meilleures terres de la Marana et de Casinca, qui faisaient la richesse agricole de ses régions, aujourd’hui, il n'y a plus que des immeubles. Il y a la mafia de la viande, la mafia du foncier, la mafia dans les fruits et légumes… tous ces secteurs sont accaparés par la mafia. Nier ce problème mafieux, c’est nier l’évidence ! Il y a une corruption grave en Corse.
 
- Concernant la vente des terres, la SAFER n’est-elle pas censée intervenir ?
- La SAFER n’a aucun moyen ! La mafia a infiltré tous les organismes agricoles ou les a mis sous sa coupe, que ce soit la SAFER, ou même les Offices. Les élus, qui veulent s’y attaquer, n’y arrivent pas ! Ce n’est pas par manque de courage, mais la puissance de l’argent est terrible. Je ne jette pas la pierre aux élus parce que je sais que c’est difficile d’empêcher cette marche en avant de la mafia. Elle se fait sans bruit, de manière silencieuse. C’est très grave ce qui est en train de se passer ! Une main de fer étreint la Corse, notamment la Plaine orientale ! Il faut aussi dénoncer une chose : les banques ne participent pas à l’accompagnement de l’agriculture. Certains agriculteurs en difficulté se tournent vers la mafia en croyant qu’elle va leur prêter de l’argent, qu’ils rendront ensuite, et que tout ira bien. Mais quand ils ont mis la main dans l’engrenage, la mafia leur impose de créer des sociétés où ils sont de plus en plus minoritaires et finalement elle finit par les mettre dehors. C’est comme ça que ça se passe ! C’est révoltant, et je veux le dénoncer ! Ce que j’ai vu aussi, c’est une collusion avec certains Nationalistes qui servent d’hommes de main à la mafia. On ne peut pas laisser des gens réduire la Corse à un simple objet financier !
 
- En Sicile, la mafia achète des terres pour faire de l’agriculture. C’est aussi le cas en Corse ?
- Oui, mais de l’agriculture provisoire ! Son but, ce n’est pas de faire de l’agriculture, c’est de prendre les terres et de blanchir l’argent. Les mafieux achètent les terres agricoles, font croire qu’ils vont les exploiter, mettent des hommes de paille pour les garder sous le coude, ils ont les moyens. Ils achètent surtout les grands domaines de bord de mer. Prenez ce grand domaine à Alistro qui fait plus de 120 hectares, le propriétaire est sous tutelle, on se pose la question de qui le dirige ! La mafia s’immisce aussi dans les affaires de famille, elle est partout. Les grands domaines passent tout doucement sous la coupe de la mafia. Si on n’y met pas un terme, dans quelques temps, l’agriculture n’existera plus en Corse, ou alors elle existera, mais sous la coupe de la mafia et pas avec les mêmes critères.
 
- Dénoncez-vous l’inaction de l’Etat ?
- Non ! On dit que les pouvoirs publics ne font rien, mais je ne pense pas que la volonté de l’État est de laisser faire. Ce n’est pas facile de faire quoi que ce soit contre ces gens-là parce qu’ils ont une telle longueur d’avance, avant que vous vous aperceviez où ils sont, ils sont déjà loin. C’est dur de les combattre ! Ils sont aussi dangereux parce qu’ils sont violents que parce qu’ils sont intelligents et riches. Les mouvements, qui luttent contre la mafia, je leur rends hommage, mais je pense qu’ils ne sont pas assez solides, les gens ne sont pas assez nombreux. Il faut des socles plus solides pour lutter contre la mafia, il faut un sursaut populaire. C’est pour cela que je lance ce cri d’alarme. S’il n’y a pas un sursaut populaire, dans 5 ou 6 ans, ce sera trop tard ! J’espère me tromper ! Mais, si on ne s'y met pas tous ensemble, si on ne fait rien, nos enfants vont être malheureux !
 
Propos recueillis par Nicole MARI.

Jean Cardi, président de la Coordination rurale corse. Photo CNI.
Jean Cardi, président de la Coordination rurale corse. Photo CNI.