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Respect des droits du peuple corse : Corsica Libera appelle à un sursaut collectif


Nicole Mari le Samedi 18 Octobre 2014 à 23:35

Le mouvement indépendantiste, Corsica Libera, a organisé, dimanche après-midi, à Corte, une réunion avec des élus progressistes et des représentants syndicaux et associatifs, pour dénoncer l’attitude de blocage de l’Etat et le non-respect des droits du peuple corse. L’objectif est de fédérer les forces vives au sein d’une coordination la plus large possible et de décider des moyens d’action pour faire pression sur Paris et exiger l'application démocratique des décisions votées à l'Assemblée de Corse (CTC). Explications, pour Corse Net Infos, de Jean-Guy Talamoni, leader de Corsica Libera. Réactions en vidéo des conseillers territoriaux Jean Biancucci (Femu a Corsica), Jean-Charles Orsucci (PS), Jean-Baptiste Luccioni (majorité territoriale), de Pierre Poggioli (Corsica Libera), de Vincent Carlotti (Gauche autonomiste), de Maxime Poli (Ghjuventu Independentista), d’André Pacou (LDH) et de Dumé Gambini (U Levante).



Elus progressistes et représentants du monde syndical et associatif ont débattu avec Corsica Libera à Corte.
Elus progressistes et représentants du monde syndical et associatif ont débattu avec Corsica Libera à Corte.
Le constat est commun et unanime. Les moyens d’actions assez largement acceptés et validés. Seul le tempo diffère ! Dimanche après-midi, à Corte, une cinquantaine de représentants du monde politique, syndical et associatif, ont répondu à l’appel du mouvement indépendantiste Corsica Libera qui prône un sursaut collectif, réfléchi et maîtrisé pour répondre à la « stratégie de blocage et de tensions » instaurée par Paris. L’idée n’était pas de faire masse, mais de reprendre la main, de faire débat et de fédérer le plus largement possible. Aussi, Corsica Libera s’est-il fait discret ! Seuls trois membres de son Exécutif en tribune, Jean-Guy Talamoni, Petr’Anto Tomasi et François Sargentini, et juste une poignée d’autres dans la salle, dont la conseillère territoriale Josepha Giacometti, Pierre Poggioli et Eric Simoni, leader d’Un’Alba nova per Bastia. Fait notable : même les frères sécessionnistes et les cousins vilipendés ont répondu à l’invitation. Comme il l’avait annoncé par communiqué, U Rinnovu naziunale a envoyé une délégation emmenée par Jean-Christophe Benedetti. Les Nationalistes modérés étaient, notamment, représentés par Edmond Simeoni pour A Chjama et le conseiller territorial de Femu a Corsica, Jean Biancucci. Etaient également présents A Manca et I Verdi Corsi avec son président Norbert Laredo.
 
Des habitués et des associatifs
A gauche, des habitués du dialogue avec les Indépendantistes : les conseillers territoriaux, Jean-Charles Orsucci, maire de Bonifacio, et Jean-Baptiste Luccioni, maire de Pietrosella, ainsi que Vincent Carlotti, leader de la gauche autonomiste. Côté syndical, Joseph Colombani, président de la chambre régionale d'agriculture et de la FDSEA, et Jean-Toussaint Poli, membre de l’Exécutif du Sindicatu di i travagliori corsi (STC). Côté étudiants, Maxime Poli et plusieurs membres di À Ghjuventu Indépendentista (GI), ainsi que di A Cunsulta di a ghjuventu corsa (CGC), mais aussi Jean-Baptiste Calendini de l'Université de Corse. Enfin, côté associatif, André Pacou, représentant de la Ligue des droits de l'Homme, Dominique Gambini, représentant d'U Levante, Denis Luciani, représentant de l'Associu di i Parenti Corsi (APC), Sulidarità et des avocates membres du Collectif de défense des prisonniers politiques…
 
Des déstabilisations en série
Tous sont d’accord sur le fond et partagent le constat fait par Jean-Guy Talamoni qui liste, d’emblée la litanie des blocages et des « déstabilisations » exercés par l’Etat à l’encontre de la Corse « par le non-respect des droits du peuple corse » : déstabilisation de la représentation territoriale par le mépris de ses décisions, déstabilisation des barreaux par le non-respect de son droit de grève, déstabilisation de l’université par la non-signature de la convention tripartite, déstabilisation des socio-professionnels, tensions, harcèlement judiciaire… Une situation que tous jugent dans l’impasse, inquiétante, potentiellement dangereuse et porteuse de forts risques de dérapages.
 
Un rapport de forces
Tous sont, également, d’accord sur la nécessité d’agir pour sortir de cette impasse. « Ce déni de démocratie va permettre de réveiller les consciences et de montrer que la vraie démocratie existe », estime Dumè Gambini. Pour certains, le rapport de forces avec Paris est inéluctable. « Si on veut sortir de cette situation de blocage, on ne fera pas l’économie d’une confrontation. La solution est la mobilisation sur le terrain comme nous l’avons déjà fait avec le collectif Simu di stu paesi », enchaine Denis Luciani. Un avis partagé par Edmond Simeoni : « L’Etat a un droit qu’il n’a pas : dire Non sans explications ! C’est le fait du prince, mais ça ne peut pas se passer comme ça. Nous voulons des réponses ! Il faut lancer un appel à la mobilisation du peuple parce que porter tort au travail de la CTC, c’est porter tort à la Corse ! Il faut se préparer sûrement à un rapport de forces avec le gouvernement, mais éviter la violence qui servira Paris ».
 
Un appel au peuple
L’idée, partagée par tous, est de « réveiller la conscience collective », de remettre le peuple au centre du jeu politique pour soutenir l’action des élus et accroître la légitimité des décisions votées à l’unanimité. « Si le gouvernement ne donne pas les réponses que le peuple corse est en droit d’attendre, il faut retourner auprès du peuple pour qu’il reprenne la main », déclare Jean-Baptiste Luccioni. Corsica Libera propose la création d’une plateforme de coordination entre les élus territoriaux et la société civile. « L’objet de cette rencontre est de mettre en place cette coordination au niveau populaire, pour que le peuple s’engage. Les élites ont majoritairement compris que les choses devaient changer », précise François Sargentini. « Il faut partir à la rencontre du peuple corse, de cette grande majorité silencieuse, lui expliquer ce que sera la Corse de demain, lui parler d’économie, de santé publique, de corsisation des emplois… », appuie un étudiant de la GI.
 
Prudence et bémols
Certains élus de la CTC émettent, néanmoins, des bémols. Ceux de gauche emboîtent le pas de Vincent Carlotti qui propose, avant toute chose, de demander une rencontre « au plus haut niveau de l’Etat » avec le président de la République et le 1er ministre, « là où se situe véritablement le blocage ». Une proposition immédiatement actée qui fera l’objet d’une motion commune à la prochaine session de la CTC. « Nous devons faire attention à ne pas gêner la CTC, à ne pas télescoper le processus en cours. Il faut préparer le rapport de forces, mais pas trop accélérer », prône Jean Biancucci. « Nous sommes d’accord pour la création d’un collectif, mais nous devons nous interroger sur son utilité. Si c’est juste pour quémander quelque chose à l’Etat, non ! Si c’est pour mettre en place un véritable rapport de forces, il faut en préciser le contenu », enchaîne Jean-Christophe Benedetti.
 
Des urgences
Une prudence que d’autres jugent inopportune : « Aujourd’hui, on est au milieu du gué, attention de ne pas y rester trop longtemps car on va s’y noyer », prévient Joseph Colombani qui suggère d’associer les socioprofessionnels à la démarche. « L’Etat se ferme de plus en plus et devient de plus en plus répressif. Il essaye de nous pousser à bout ! Il faut une réponse immédiate, forte, unitaire pour démontrer que ce qui se passe est inadmissible ! On n’a pas le temps d’attendre de voir certains d’entre nous aller en prison ! L’Etat n’attend pas ! Pourquoi devons-nous attendre ? Les actions doivent être réfléchies et efficaces car l’attente de la jeunesse est très grande », réplique Maxime Poli. L’Université de Corse a décidé, elle, d’agir sans attendre. « L’histoire de l’université est une histoire de rapport de forces. Rien ne s’établit jamais sans ce rapport de forces », affirme Jean-Baptiste Calendini. Il annonce que l’Université va, dans les jours à-venir, prendre des initiatives fortes à travers la tenue d’un Conseil d’administration, mardi, qui devrait décider de l’organisation, jeudi, d’une Assemblée générale. Dans leur ensemble, les participants à la réunion actent « le principe d’une réaction salutaire à travers une coordination » et d’une prochaine réunion dans 15 jours pour élaborer un texte commun. Affaire à suivre…
 
N.M.

François Sargentini, Jean-Guy Talamoni et Petr'Anto Tomasi, membres de l'Exécutif de Corsica Libera.
François Sargentini, Jean-Guy Talamoni et Petr'Anto Tomasi, membres de l'Exécutif de Corsica Libera.
Jean-Guy Talamoni : « Face à la stratégie de blocage et de tensions imposée par Paris, nous répondons par la concertation et la sérénité ! »
 
- Quel était l’objet de cette réunion ?
- La situation est, aujourd’hui, particulièrement tendue. Malheureusement, l’Etat français y est pour beaucoup. Sur des questions très différentes, son attitude est particulièrement inquiétante. Par exemple, les arrestations, il y a quelques jours à Ajaccio, dans des conditions d’une fragilité extrême, de deux bâtonniers qui ont été relâchés dans les heures qui ont suivies. On peut s’étonner de cette attitude qui consiste à s’attaquer à des représentants du barreau ! Non pas qu’un avocat soit au-dessus des lois, mais, en tant que rouage de la démocratie, il a toujours fait l’objet d’un certain nombre d’égards au même titre qu’un délégué syndical est protégé, sinon il ne pourrait pas accomplir sa mission.
 
- Pourquoi cette attitude, selon vous ?
- On a voulu jeter le discrédit sur le barreau corse, cela a été très mal vécu ! Les prolongements à Bastia ont montré à quel point les magistrats voulaient véritablement soumettre le barreau corse. Ils ont retenu des affaires alors même que la grève avait été décidée par le bâtonnier et son Conseil de l’ordre. C’est une chose inédite et totalement scandaleuse ! Mais, il y a d’autres questions très préoccupantes.
 
- Lesquelles ?
- Notamment celle de l’université de Corse et de la convention tripartite dans laquelle l’Etat exige le retrait de la mention de la coofficialité de la langue corse. Le refus de plusieurs formulations, proposées par la CTC et l’université, montrerait que l’Etat ne veut pas valider la coofficialité. Ce qu’on ne lui demande pas !
 
- Que lui demandez-vous ?
- On lui demande simplement la possibilité pour la CTC et l’université de travailler sur un projet de coofficialité. Ce qui est, d’une part, parfaitement conforme à la loi et à la Constitution. Et, d’autre part, la stricte réalité ! Il y a eu, à la CTC, une délibération solennelle et un vote qui n’ont pas été attaqués devant la juridiction compétente. Aujourd’hui, l’Etat demande, à la CTC et à l’université, une sorte d’abjuration ! En échange de postes, il exige de retirer purement et simplement le travail réalisé sur la notion de coofficialité. C’est un chantage tout à fait inadmissible avec des conséquences très graves sur la situation de l’université qui attend des postes dont elle a besoin pour son développement !
 
- Faites-vous un constat global de fermeture de l’Etat ?
- Oui ! Sur un plan plus global et politique, l’Etat français traite les délibérations de la CTC par un mépris souverain alors que tous les voyants seraient au vert, aujourd’hui, pour trouver une solution politique dans l’apaisement. La décision du FLNC a créé une situation nouvelle, inédite depuis 40 ans, qui permet de nous orienter vers une solution, respectueuse des intérêts des uns et des autres, et de mettre un terme aux conflits en Corse. Face à cela, le gouvernement français a une attitude irresponsable. Non seulement il ignore souverainement les décisions de la CTC, mais fait preuve d’arrogance et de blocage dans de multiples dossiers. Il montre tout le mépris qu’il manifeste envers la société corse.
 
- Ce constat semble unanimement partagé ?
- Oui ! Ce constat a été fait ensemble de manière unanime par des organisations syndicales ou associatives et des courants politiques divers, bien au-delà de la famille nationaliste. Depuis le début de la mandature, des avancées très importantes ont été votées concernant la défense de la langue corse, le foncier, le transfert de la fiscalité du patrimoine, l’aménagement du territoire à travers le PADDUC, la demande de révision constitutionnelle à 46 voix sur 51… Ces votes importants sont ostensiblement ignorés par Paris ! C’est la marque d’un mépris souverain ! Avec des conséquences très graves !
 
- Qu’avez-vous décidé ?
- Nous avons décidé du principe de la création d’une coordination pour rechercher une voie politique au problème corse. Nous allons, dans les jours à-venir, nous réunir pour élaborer un texte et élargir cette coordination qui comporte, déjà, un grand nombre d’organisation.
 
- Face à cette impasse politique, lancez-vous un appel au peuple ?
- Oui ! Tout à fait ! La coordination n’a pas à se substituer aux élus, à la CTC et au Conseil exécutif. Il faut organiser une complémentarité entre les élus et la société civile. Ce sera le rôle de cette coordination qui devra soutenir les efforts qui sont faits, aujourd’hui, par les élus de la Corse pour trouver de façon massivement majoritaire les voies d’un changement et d’une réforme. Elle va lancer un appel à la société civile pour que celle-ci exige, aux côtés de ses élus, qu’une suite soit donnée à nos revendications légitimes. Cette coordination est le premier pas vers une mobilisation très large.
 
- Comment se traduira cette mobilisation ?
- Elle pourra se traduire par diverses formes d’intervention, par une manifestation, un meeting… Aujourd’hui, il y avait les représentants de nombreuses organisations qui représentent un grand nombre d’adhérents. Peut-être faudra-t-il, demain, discuter aussi avec les adhérents ! Il faut mettre en place tous les moyens d’une mobilisation qui jouera dans le rapport de forces contre Paris.
 
- Certains élus craignent que cette mobilisation perturbe le processus en cours à la CTC et les discussions avec Paris. Que leur répondez-vous ?
- Nous les rassurons à cet égard. L’objectif est rigoureusement inverse. Il s’agit, au contraire, de consolider ce qui est fait à la CTC. La demande de réforme est quasiment acquise à la CTC à une très large majorité, mais se heurte à un blocage de Paris. L’objet de la mobilisation, à travers la société civile, est de dire au gouvernement français : « Vous ne pouvez pas ignorer la voix de nos élus, démocratiquement désignés par le suffrage universel ». C’est véritablement un soutien que cette coordination doit apporter à la CTC et au Conseil exécutif.
 
- Vincent Carlotti a émis, au cours du débat, la suggestion de rencontrer le président de la République. Qu’en pensez-vous ?
- Nous avons retenu cette suggestion qui va donner lieu à une motion, déposée à la CTC de manière commune par Jean-Charles Orsucci, Jean-Baptiste Luccioni et Corsica Libera. Cette motion va demander à l’Exécutif de prendre rendez-vous avec le sommet de l’Etat français pour discuter directement de la nécessité de faire droit aux demandes de la CTC, à tout le moins d’engager des discussions.
 
- Est-ce vraiment à ce niveau-là, au sommet de l’Etat, que le bât blesse ?
- C’est là que semble, effectivement, se situer le blocage. Il faut, donc, qu’au plus haut niveau en Corse, c’est-à-dire à la CTC et à son Exécutif, et au plus haut niveau à Paris, c’est-à-dire au président et au chef du gouvernement, mais aussi au niveau des présidents des groupes parlementaires, soit engagé un débat. Et, pas seulement un bavardage comme c’est le cas, aujourd’hui, lors des visites ministérielles ! Nous n’avançons pas ! C’est un dialogue de sourds ! L’Etat français fait semblant de dialoguer avec la Corse, mais il ne dialogue pas vraiment ! Nous demandons que les personnes qui viennent discuter avec la CTC soient dûment mandatées pour faire avancer les choses ! Ce n’est pas le cas, aujourd’hui.
 
- Nombre de participants à cette réunion ont exprimé leurs inquiétudes sur les effets de ce blocage. Qu’en dites-vous ?
- Cette situation de blocage ne peut entrainer que des tensions. On en vient à se demander si ces tensions ne sont pas voulues par certains responsables à Paris auxquels ne conviendrait pas la situation nouvellement créée par la décision du FLNC ! On voit bien qu’il y a des pêcheurs en eau trouble. Sans voir le gouvernement français comme un bloc monolithique, il y a certainement à Paris, au sein des responsables, un certain nombre de personnes qui souhaiteraient revenir à la situation antérieure à la décision du FLNC. Peut-être cette situation ne leur convient-elle pas ! Elle ne semble pas convenir, non plus, à certains juges antiterroristes qui font tout pour que les tensions s’exacerbent en Corse. C’est un jeu très dangereux. Pour notre part, nous avons réagi de manière sereine avec l’organisation de cette réunion pour rechercher une voie politique et organiser une coordination. Face à la stratégie de blocage et de tensions imposée par Paris, nous répondons par la concertation et la sérénité !
 
Propos recueillis par Nicole MARI
 

Réactions en vidéo, pour Corse Net Infos, du conseiller territorial Jean Biancucci (Femu a Corsica), de Pierre Poggioli (Corsica Libera), de Maxime Poli (Ghjuventu Independentista), et de Dumé Gambini (U Levante).


Suite des réactions en vidéo, pour Corse Net Infos, de Vincent Carlotti (Gauche autonomiste), des conseillers territoriaux Jean-Charles Orsucci (PS) et Jean-Baptiste Luccioni (majorité territoriale), et d’André Pacou (Ligue des droits de l’Homme).