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Résistance : Et si nous parlions d'elles ?


Anne Albertini le Mercredi 4 Septembre 2013 à 21:25

Le temps des résistances, le temps des souvenirs. La résistance c’était aussi la volonté d’un changement profond de la société. C’est ce que traduisit le Conseil National de la résistance réuni le 27 mai 1943 sous la présidence de Jean Moulin. Et si nous parlions d'elles ? De ces femmes qui ont mis au monde, élevés, éduqués, les hommes qui ont permis au Général de Gaulle, de dire le 8 Octobre 1943 à Ajaccio : « La Corse a la fortune et l’honneur d’être le premier morceau libéré de la France. Chaque fois que la France entame une période nouvelle de sa vie et de sa grandeur, il faut que les Corses en soient les artisans et les témoins ».
En septembre 2013, pour le compte de CNI, Anna Albertini avait tenu à rendre hommage à toutes ces femmes de Corse qui s'étaient battues pour la liberté de leur pays.



Résistance : Et si nous parlions d'elles ?

Chaque fois qu’un homme prend des risques, une femme est derrière lui ou à ses côtés . Une femme, c’est un être plus, c’est un être qui peut fabriquer des êtres entiers à partir de quelques grammes de plaisir d’un homme. Elle fait tout, toute seule, pendant neuf mois. C’est magique. Elle donne la vie et la force. L’avenir est avec elle.

Les femmes ont joué  un grand rôle dans la résistance en Corse. La majorité a compris que c’était indispensable. Elles ont supporté l’insupportable : la prison, les tortures, la faim. On les a jetées aux chiens qui les ont déchirées, aux chiens du fascisme qui grondent encore et montrent les dents. Prenez garde aux chiens, ils risquent de mordre même ceux qui les caressent.

25 juin 1940 : cessez le feu sur tous les fronts. La population corse est attérée et inquiète. Les revendications italiennes sur leur île ne présagent rien de bon. On leur assure que les troupes italiennes n’occuperont pas la Corse, mais l’influence allemande augmente à Rome.
Hitler a promis la Corse à Mussolini le 4 Octobre 1940 au cours d’une entrevue au Brenner. Pour le moment, il a besoin de Mussolini et lui jette la Corse comme on jette un os à un chien. L’attitude des occupants, de plus en plus nombreux, est celle des vainqueurs. Ils achètent les meilleurs produits locaux vendus à un bon prix évidemment. Plus rien pour la population. Bientôt plus de pain. Les Corses ont faim.
Le ventre vide, les chaussures usées, les hommes s’organisent. Pendant longtemps ils n’auront comme arme que leur fusil de chasse. Dans cette grave pénurie, qui doit nourrir la famille, les enfants ? Les femmes. Elles s’organisent aussi. Se libérer de l’occupant, ne pas devenir esclaves, retrouver la liberté, c’est l’évidence.
Beaucoup d’entre elles entrent en résistance. En accord avec le mari, le père ou les frères. Le contraire eut été difficile pour une femme de cette époque. Discrètes, elles vont assurer les liaisons, vont marcher longtemps, dormir peu. Elles portent les messages, le ravitaillement aux maquisards, font des miracles pour remplir le panier. Elles vont parcourir des chemins difficiles à dos d’âne par tous les temps. Parlant peu, agissant beaucoup, elles transportent les journaux, les tracts. Vieilles, jeunes, l’âge ne compte pas pour servir la liberté.
Elles avaient peur ? Certainement. L’OVRA (Organisation de Vigilance et de Répression de l’Anti-fascisme) fait peser sur tous, une terrible surveillance qui deviendra de plus en plus dure . Pour lui faire face, le Front National , créé et soutenu par le Parti Communiste. C’est ce parti qui intègre le plus de femmes inactives (65% de résistantes), mouvement qui a conduit à l’insurrection de 1943. Les résistantes risquent la prison, la déportation, la mort.
La peur devient la compagne de tous les instants. On regarde à deux fois avant de s’engager sur une route, on tend l’oreille, à l’affût dans la nuit, au cours des réunions secrètes, le cœur s’arrête au moindre bruit, le résistant dénoncé qu’il faut cacher, où , jusque à quand ? Elles ont fait tout ça, les femmes, en même temps que la soupe, torcher les plus petits, sourire aux plus grands, les rassurer. Elles ont secouru, caché des Juifs, enfants et adultes, l’ignominie de la dénonciation a été évité en Corse. 
- Nous étions pétrifiés. « Qu’est-il arrivé à la femme, à l’enfants ? »
- Quelle femme ? Quel enfant ? Il n’y a plus personne ».
Plus personne ! Mais comment ont-ils tué, comment ont-ils gazé tant de gens à la fois ?
Mais ils avaient leur méthode… » Témoignage d’Abraham Bomba survivant de Treblinka, cité dans Shoha de Claude Lanzmann
Quelques femmes, quelques enfants, sauvés, parce qu’en Corse, dans un temps noir d’espoir, rouge de sang, l’humain avait encore toute sa place.


Donnez-moi des noms

Résistance : Et si nous parlions d'elles ?
Maria De Peretti della Rocca, née à Conca (Corse-du-Sud) le 30 Décembre 1902 – Décédée le 15 Mars 1945 à Ravensbrück
Etudes secondaires à Ajaccio, puis études de médecine à Paris. Elle exerce son métier comme un sacerdoce pour les plus démunis qui n’ont pas les moyens de se faire soigner. Maria De Peretti entre en résistance aussitôt la France occupée. Elle est recrutée par le réseau Marco Polo qui a été créé sous les ordres de Londres (BCRA = service secret de la France Libre) Victime d’une dénonciation elle est arrêtée , interrogée par la Milice et la Gestapo. Elle ne parle pas. Relachée faute de preuves Elle reprend du service pour la résistance. Arrêtée à nouveau elle subit la tortute, mais jamais elle ne parle. Elle fait partie d’un convoi parti de la gare de Pantin le 15 Août 1944. Malgré les souffrances qu’elle endure elle tente de soulager ses compagnes. Mais la mort rôde. Le 15 mars 1945 Marie De Peretti est conduite à la chambre à gaz.  Le 24 mai 1945 le général De Gaulle citera Maria à l’ordre du corps d’armée …Courage, dévouement à toute épreuve, mépris total du danger, a réussi lors de son arrestation à donner le signal d’alarme pour éviter les dangers à ses compagnons, n’a jamais donné aucune indication malgré les sévices qu’elle a subis de la part de la Gestapo. Cette citation comporte l’attribution de la croix de guerre avec étoile vermeil. (Source ANACR 2A)

Résistance : Et si nous parlions d'elles ?
Danielle Casanova-Perini , née à Ajaccio (Corse-du-Sud) le 9 Janvier 1909. Décédée le 9 Mai 1943 à Auschwitz-Birkenau.
Ses parents instituteurs ont eu cinq enfants. Après son bac, Danielle continue ses études au Lycée Longchamp à Marseille. Après trois semaine d’hypokhâgne, elle quitte Marseille et part à Paris chez son frère journaliste pour faire dentaire. En novembre 1927 elle adhère à l’Union Fédérale des Etudiants. Elle a 18 ans. C’est pendant ses classes militantes qu’elle rencontre Laurent Casanova avec lequel elle se marie le 12 décembre 1933. En 1928 elle a adhéré au Mouvement de la Jeunesse Communiste. A partir de février 1934 elle participe activement au journal «  Jeunes filles de France » En juillet 39, ce sont les dernières vacances dans la maison familiale à Piana.
Pendant la guerre, elle passe dans la clandestinité avec quelques fidèles du mouvement. Elle s’occupe de l’édition clandestine de l’Avant-Garde  et d’autres publications, assure la liaison entre la direction illégale du P.C. et les intellectuels influents. Dès l’arrivée des Allemands à Paris, Danielle quitte la capitale avec Georgette Cadras-Laffitte, sauve les archives du parti et revient à Paris en Juillet. En octobre 41 avec l’aide de Josette Cothias elle édite une « Humanité des femmes » Danielle a énormément d’activités journalistiques. Elle est arrêtée au lendemain de sa rencontre avec Josette Cothias, près du Pont Mirabeau le 15 février 1942. Au Dépôt de la Préfecture elle retrouve Maï Politzer, M.C. Vaillant-Couturier. Le 23 Mars elles quittent le Dépôt pour la prison de la Santé. Le 9 juin 1942, elles sont emmenées rue des Saussaies pour interrogatoire par la Gestapo. Incarcérée à Romainville Danielle Casanova devient la rédactrice en chef du « Patriote de Romainville » rédigé par des patriotes de toutes opinions, écrit et recopié à la main. Le 21 janvier 1943 elle est déportée à Auschwitz-Birkenau. Convoi de 230 femmes, convoi des otages, des veuves, des femmes de la résistance. Elles ont entre 17 et 69 ans. A l’arrivée au camp, le jour se lève à peine. Sous l’œil médusé des SS les femmes passent la porte du camp en chantant à tue-tête. Danielle remplace la dentiste en fonction, morte du typhus. Pour ses camarades elle vole nourriture, lainages, médicaments. Grâce à la complicité d’une interprète slovaque , Malhova et à la communiste Gerda Schneider elle trouve la filière internationale de la résistance. Début mai 1943 des tracts dénoncent l’horreur d’Auschwitz et circulent en France. Danielle se glisse le soir dans le block 26, console, encourage ses camarades qui meurent les unes après les autres vaincues par le typhus. Le Ier mai 43 elle est prise d’une violente fièvre et mourra le 9 mai en combattant jusqu’au bout de toutes les façons possibles et sans avoir cessé de croire à une vie nouvelle. (Source ANACR 2A)

Résistance : Et si nous parlions d'elles ?
Madeleine Ettori est née à Sainte-Marie Sicché, dans une famille de huit enfants. Son père Innocent Ettori est originaire d’Argiusta-Moriccio, sa mère, Thérèse Aprili , de Sainte-Marie-Sicché. En 1936 elle quitte la maison paternelle pour aller travailler à Paris dans la société du parfumeur Coty. Madeleine aime chanter. Elle présente plusieurs concours de chant et entame très vite une carrière prometteuse sous le nom de Lena Ettori. C’est sur une scène parisienne qu’elle fait la connaissance d’André Giusti, alors connu sous le nom d’André Dorci. Leur fille naît à Paris le 7 décembre 1938.
Le 22 juin 1940 le gouvernement français reconnaît que ses troupes ont été battues par l’armée allemande et que toute lutte est devenue impossible.Madeleine Ettori et André Giusti n’acceptent pas la défaite. Très vite, ils sont au premier rang des réfractaires engagés dans la lutte contre le régime de Vichy et l’occupant nazi qui a envahi Paris le 14 juin. A la fin de cette même année, André Giusti doit prendre la fuite. Pourchassé par les Allemands après un attentat manqué contre Laval, André Giusti et sa famille se réfugient en Corse. Ils rejoignent l’île grâce à la prise en charge de la Résistance à partir de Lyon. André Giusti rejoint la direction départementale du Front National où il sera en charge du service de renseignements. Madeleine étroitement associée à l’activité de son compagnon participe à des missions souvent dangereuses. André Giusti et Jules Mondoloni sont tués le 17 juin 1943 lors de la fusillade de la « Brasserie nouvelle » 50 cours Napoléon,par des agents de l’OVRA et des carabiniers Italiens. André Giusti tire le premier. Après la fusillade, Ajaccio est en état de siège pendant huit jours. Madeleine perd son compagnon et reste seule avec sa fille . Fidèle à son engagement,elle poursuit sa lutte contre l’ennemi. Arrêtée par la police fasciste en juillet, elle sera internée à Ajaccio et libérée grâce à l’insurrection du 9 septembre . Elle sera décorée de la Croix de Guerre à la libération. Elle meurt à l’âge de soixante-quinze ans le 21 aout 1988 et repose auprès d’André Giusti au cimetière de Sainte-Marie Sicché. (Source ANACR 2A)

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Madeleine Pinelli dit Cendrille. Née Tavera à Tavera le 26 Aout 1910 dans une famille de condition modeste, elle décède le 18 décembre 2005 à Ajaccio. Elle fait ses études dans cette ville et devient institutrice.
>A Pietroso, le village où elle exerce depuis deux ans, elle accompli son premier acte de résistance publique contre le gouvernement de Vichy. La jeune institutrice refuse d’appendre à ses élève le chant à la gloire de Pétain «  Maréchal nous voilà »elle refuse également de se rendre à la levée des couleurs sur la place du village, malgré la réprobation de la population et les intimidations du maire et des anciens combattants. En 1942 ele est mutée à Vizzavona plus proche de son village, Tavera où elle peut se rendre plus facilement par le train.> Ce train et les cheminots dont elle appréciera le dévouement et l’efficacité à la cause de la Résistance quand elle deviendra une une active militante de PCF et du Front national de la Résistance. C’est son frère Jacques qui lui fait découvrir toute cette activité clandestine. Avec lui et la complicité de quelques habitants de Tavera, en dépit de la présence de l’occupant ( 7000 soldats Allemands en 1943) ils impriment tracts et journaux dans la cave de Toussaint Mancini, puis les acheminent par le train à leurs destinataires. Les Tavera, aidés par la famille Olivieri hébergent chez eux des résistants évadés de la prison d’Ajaccio et sont également agents de liaisons. Madeleine et son frère réceptionnent à Ajaccio le radio de Pearl Harbour, Toussaint Griffi et le mène chez François Mariani à Tavaco, via la famille Conter de Pietralba ( a Ajaccio à l’époque) Après la libération de l’île, Madeleine Pinelli est chargée, début 1944 par le préfet de Corse de se rendre à Alger en qualité de représentante des «  Comités populaires des femmes corses. La guerre terminée elle reprendra son métier d’enseignante. En date du 24 Mars 1944 le Général de division Mollard, lui adresse un officiel  Témoignage de satisfaction à l’ordre des patriotes corses : Femme patriote dressée contre l’envahisseur, a soutenu l’action des Francs-tireurs en assurant leurs liaisons au prix de difficultés sans nombre et parfois d’un réel danger. A été un précieux auxiliaire de ceux qui préparèrent et menèrent à bonne fin la libération de la Corse.
Décorée au titre de la résistance Madeleine Pinelli reçoit la Croix de guerre avec étoile de bronze et la citation
suivante : Patriote ardente qui s’est consacrée à la cause de la Résistance. Par son activité importante, multiple et continue a rendu services exceptionnels aux chefs clandestins, a préparé et distribué des tracts, effectué des missions de renseignements et de liaison, aidé des patriotes évadés de prison, participé à des transports d’armes dangereux.  Signé Général Dejussieu-Poncarral. Elle sera plus tard décorée de l’Ordre national du Mérite.  

Résistance : Et si nous parlions d'elles ?
Noëlle Vincensini, du village de Piétroso est née en 1927 au couvent de Piedicroce en Haute-corse. D’une fratrie de 9 enfants, elle est la quatrième. En 1940 c’est la capitulation. Elle lit les journaux et la montée du nazisme l’affecte et la révolte. En 1941 elle quitte l’île pour aller étudier dans un lycée  de Montpellier où vit une tante.
Là, elle découvre le militantisme résistant au sein des Forces Unies de la jeunesse patriotique (FUJOP) Elle distribue et colle des tracts, parle aux lycéens, leur montre la voie. Noëlle rejoint le mouvement des Francs-tireurs et partisans (FTP) proche du parti communiste. Elle transporte des valises contenant argent, armes, munitions, tracts. Elle est dénoncée et arrêtée par la Gestapo en avril 1944 avec trois autres lycéennes.
>Les interrogatoires sont très durs et on peut parler de tortures. Elle est envoyée à Romainville, près de Paris, puis déportée à Ravensbrück. «  J’ai découvert l’univers concentrationnaire avec ces gens aux yeux fous qui grattaient la terre pour la manger «  dit-elle. » Elle raconte l’enfer, les appels de l’aube, dans le froid, qui duraient des heures, la robe qui ne séchait jamais, les cris des femmes la nuit, car la dénutrition provoquaient des crampes et des douleurs intenses, les gardiennes, pires que les hommes. Elle a été libérée fin avril 1945. Obligée d’abandonner ses études avec regrets car sa santé est fragile. Elle se marie, met au monde quatre enfants, divorce et revient en Corse en 1970. Elle crée radio Balbuzard, une station pirate qui lui vaudra d’être traduite en justice. Elle a été récompensée pour les trois films documentaires qu’elle a réalisés sur la Corse et a enfin reçu la Légion d’Honneur en 2008.
En 1986 elle crée un comité anti-raciste «  Ava basta » ( ça suffit) qui deviendra une association de solidarité et d’accueil pour les étrangers.
Noëlle Vincensini s’inquiète de cette  nouvelle chasse à l’homme grandissante.

Tiré de La Dépèche du 3 juin 2009
"Quand des femmes arrivent à Belzec on les fait avancer à coups de fouet ou de baïonnette " (L’impossible oubli d’Anne Grynberg)
Le nazisme a tiré sa force de la moralisation de la mort.
Anna ALBERTINI