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Rentrée littéraire : «Une histoire du cyclisme en corse, 1890-1960».


Philippe Jammes le Dimanche 30 Août 2020 à 20:25

C’est un ouvrage fabuleux que viennent de publier Francis Beretti, Ange-Laurent Bindi et Didier Rey aux éditions Piazzola. Un livre, presqu’une encyclopédie, sur le cyclisme insulaire de 1890 à 1960.



Cet ouvrage collectif est le fruit de plus de 5 ans de travail des trois auteurs qui se sont appuyés sur le dépouillement d'archives et sur les témoignages de nombreux pratiquants, professionnels du cyclisme, pour reconstituer leur parcours : Francis Beretti,  agrégé d’anglais,  professeur émérite de l’université de Corse,  Didier Rey, professeur des universités à l’université de Corse et Ange-Laurent Bindi, avocat honoraire,  auteur de plusieurs ouvrages. Ils ont été assistés dans la rédaction de Marie Paule Durand.

L’ouvrage de 384 pages, richement illustré,  comprend trois parties distinctes : «Naissance et développement du cyclisme en Corse de1890 à 1945 ». On y découvre  les origines du cyclisme en Corse de 1890 à 1920, la période de l’entre-deux guerres  1895/1932, la popularisation du cyclisme en Corse, l’extension du cyclisme insulaire, 1931/1939 et les années du chaos entre 1940 et 1945. La deuxième partie s’intitule «L’âge d’or du cyclisme insulaire : 1946/1960 ». De nombreux témoignages roulent au fil des pages. On y parle du cyclisme bastiais, du cyclisme ajaccien, des clubs très actifs comme à Porto Vecchio ou Corte. Des articles de presse retrouvés relatent les différentes courses sur l’île. Enfin la troisième partie, «d’hier à demain,  point de vue et perspectives» est une part de réflexion sur le cyclisme insulaire avec anciens et nouveaux amoureux de la petite reine.  
Sympathique, à la fin du livre, une liste alphabétique, non exhaustive des coureurs qui ont fait l’histoire du cyclisme corse.

CNI a rencontré l’un des auteurs, Ange-Laurent Bindi qui nous explique comment l’idée de cet ouvrage s’est imposée lors du départ du centième tour de France à Porto-Vecchio à la fin du mois de juin 2013.
"J’avais écrit de nombreux articles pour L’Informateur Corse. L’intention initiale était de couvrir la période 1945/1960 mais la somme de documents recueillis nous a amené à élargir notre propos jusqu’aux origines du cyclisme en Corse en1890, et à poser, au-delà de 1960, une problématique d’ensemble et envisager le cyclisme dans ses dimensions variés, non seulement sportives mais aussi techniques,  sociologiques et culturelles. Dès lors la contribution de deux universitaires s’imposait pour nous aider et conseiller dans cette entreprise. Ce livre en est l’aboutissement avec l’espoir de préserver cette partie du patrimoine insulaire liée   au cyclisme mais aussi de redonner à ses acteurs une parole oubliée. Attention, ce livre n’est pas L’histoire du cyclisme corse mais Une histoire du cyclisme corse. Il est possible de faire une suite, autre chose car il y a la matière pour parcourir la période 1965 2000 par exemple, mais ce n’est pas de mon ressort. Nous, en arrivant à 1960 avec plus de 300 pages et 300 photos, il nous a fallu nous arrêter."

Un sacré travail de recherches dans les archives …

"Nous avons effectué pendant plus de cinq ans un long travail de recherche : archives de presse, collecte de documents,  de photographies,  rencontres avec des personnalités du monde du cyclisme, anciens coureur ou dirigeants.  Et pour retracer cette épopée il convenait de se plonger dans des archives jamais visitées de manière systématique et ordonnée.  Cela nous a révélé que le cyclisme, davantage sans doute que les autres sports, a été un moteur pour la modernité.  Depuis les origines dans les années 1890, jusqu’aux années 60,  nous avons découvert un cyclisme sportif ou touristique, profondément ancré dans l’histoire d’une société qu’il accompagne dans son évolution en permettant aux nôtres, à travers des rencontres et des échanges,  de s’exprimer très positivement d’ailleurs. On a couvert toute la période de la photo en noir et blanc. A partir de 1965, la photo couleur a pris le dessus. Le cyclisme a changé totalement. Le cyclisme d’antan était terminé."

Un cyclisme précurseur dans le domaine de la compétition ?
"Les coureurs insulaires se sont pratiquement tout de suite, à partir de 1920, confrontés à des adversaires venus de l’extérieur. Et on peut d’ailleurs s’apercevoir à la lecture des articles de presse de l’époque que dans certaines conditions les corses pouvaient rivaliser avec leurs adversaires venant d’ailleurs. En tout cas cela les faisait progresser. Ce qui n’était pas encore le cas pour les autres sports et notamment le football dont les équipes se rencontraient uniquement entre-elles. J’ai même retrouvé une interview d’un footballeur, ancien cycliste,  qui disait vouloir partir de Corse pour se mesurer à autre chose. Il a fallu attendre les années 50/55 et le CFA pour voir les clubs corses se mesurer aux équipes continentales. On peut vraiment dire que le cyclisme est à la jonction d’autres sports et a participé à leur essor. Le football bien sûr, mais aussi la boxe, l’athlétisme ou l’hippisme. C’est là sa richesse comme sa spécificité, inégalables. L’inverse ne s’est pas vu. Mieux il est possible d’affirmer que le cyclisme s’ouvre, comme nul autre, à d’autres pratiques sportives."

L’importance de la communauté italienne dans le cyclisme corse…
"Alors que son implantation était toute récente, elle a donné au cyclisme insulaire nombre de ses meilleurs éléments et que son intégration, si elle n’a pas toujours été facile, a cependant, et en très peu de temps, parfaitement réussi, en partie grâce au sport et au cyclisme en particulier.

Une période importante, celui de la 2ème guerre mondiale …
"Au début de l’année 1940, comme partout ailleurs, il y a peu ou plus d’activités sportives en Corse. Les préoccupations sont tout autres. Dans les années 1940 il n’y a plus rien. Pourtant, à la fin de cette année là,  Victor Lorenzi, dans un article paru le 4 octobre dans Le Petit Bastiais, en appelle à la manifestation de tous les sports pour l’organisation  de matchs de football et autres activités sportives. Il est entendu et le début de l’année 1941 voit la reprise des activités cyclistes. Victor Lorenzi aura d’ailleurs beaucoup fait pour le sport en Corse, aussi bien pour le cyclisme que pour le football. En 1941, certains résistants corses poussent eux aussi à la pratique du sport pour extraire les jeunes du pétainisme, des allemands et des italiens voire les orienter vers la résistance."

L’urgence qu’il y avait à écrire ce livre
"Les témoins, les acteurs de cette période disparaissent peu à peu. Ils ont tous au minimum 85 ans. Leur mémoire s’efface peu à peu, ils oublient… Il y avait donc urgence en effet à recueillir les récits de ces anciens et les sortir de l'oubli, pour qu'ils nous communiquent toutes ces traces de l'histoire du cyclisme, dont ils ont été les acteurs et les pionniers. Les souvenirs sont souvent flous,  les repères confus et les anecdotes souvent approximatives ou fausses parfois d’où la nécessité de mener un scrupuleux travail de vérification, de contrôle, de mise en ordre."