Corse Net Infos - Pure player corse

Réforme du baccalauréat : La langue corse en danger !


Nicole Mari le Mardi 5 Février 2019 à 20:12

Le cri d’alarme avait été lancé, à plusieurs reprises et jusqu’en décembre dernier sur nos colonnes par Saveriu Luciani, conseiller exécutif en charge de la langue corse. Les craintes sont désormais avérées : la réforme du baccalauréat, concoctée par le gouvernement, plombe l’avenir de l’enseignement de la langue corse dans les établissements du secondaire. Malgré quelques avancées arrachées, la défense de la langue reste plus que jamais un vif point de friction et de crispation entre l’île et Paris et un bras de fer permanent. La conseillère exécutive en charge de l’enseignement secondaire, Josepha Giacometti, s’est jointe à Saveriu Luciani, pour exprimer à double voix, à Corse Net Infos, les inquiétudes et dévoiler sept propositions.



La conseillère exécutive en charge de l’enseignement secondaire, Josepha Giacometti, et le conseiller exécutif en charge de la langue corse, Saveriu Luciani.
La conseillère exécutive en charge de l’enseignement secondaire, Josepha Giacometti, et le conseiller exécutif en charge de la langue corse, Saveriu Luciani.
- En décembre, vous redoutiez clairement les effets de la réforme du bac que vous qualifiez de « mortelle pour notre langue ! ». Une crainte justifiée ?
- Oui ! Nous n’acceptons pas une réforme qui présente un habillage intéressant mais cache, sur le fond, un recul historique d’enseignement de la langue au lycée. Nous nous devions d’intervenir pour dénoncer le danger qui pèse sur le devenir de l’enseignement de la langue au sein des établissements secondaires. Malgré diverses réunions et discussions avec le Rectorat et l’Etat, notamment lors du premier Conseil académique territorial qui s’est tenu le 22 janvier dernier, force est de constater une régression. La réforme va à rebours des avancées et des objectifs stipulés dans la Convention Langue Corse 2016-2021 signée entre l’Etat, le Rectorat et la Collectivité de Corse (CdC), et tous les dispositifs du Contrat de Plan mis en place. Paris n’en tient nullement compte, pas plus que de l'objectif fixé dans l’article 7 de parvenir à 50% des élèves inscrits en LCC en 2020 ! Si la preuve était encore à faire que la Corse doit disposer d’une marge conséquente d’autonomie politique et administrative, ce genre de contradiction en fournit la démonstration imparable.
 
- Le nouveau bac met-il vraiment en danger l’enseignement du corse ?
- Oui ! Il met en danger l’enseignement du corse et des langues dites régionales en général. La baisse d’attractivité des épreuves en constitue la preuve flagrante et le risque majeur. Le corse, au même titre que les langues régionales et les enseignements quantitativement mineurs en termes de démographie lycéenne, devient la victime collatérale des économies d'échelle voulues par le gouvernement. Avec le risque possible de la suppression d’un nombre important de postes de professeurs et ses conséquences politiques, sociales et humaines. Nous avons arraché en 2016 le plan de formation du primaire, l’agrégation de corse qui est aujourd’hui en panne, et l’expérimentation des classes immersives en maternelle. Tout ce dispositif bilingue est mis à mal par l’effet domino de la réforme du baccalauréat. C’est l’effondrement de toute notre politique de développement de la langue dans l’enseignement public depuis des décennies ! Sans compter les effets négatifs que produira la loi dite de confiance dans l’école qui ne propose aucune avancée pour notre langue.
 
- Le Rectorat renvoie le choix dans les mains des familles. Avec raison ?
- Non ! Nous n’entrerons pas dans le piège politique de laisser croire que la disparition de la langue tient, avant tout, au seul choix des familles. Au regard des nouveaux contenus du bac, les premiers constats sont sans appel. Le nombre des opportunités est réduit pour les futurs candidats : suppression de la LV2 approfondie, de la LV3 de spécialité, de la possibilité de choisir une deuxième option facultative. L’option facultative est complètement démonétisée, elle intervient dans l’ordre de 1% de la note finale ! Il n’y a plus d’option facultative bonifiante pour les LR alors qu’elle est maintenue pour les langues anciennes avec un coefficient très attractif de 3. Il n’y a plus de parcours d’excellence - LV2 approfondie pour atteindre le niveau B2. Il n’est plus possible de se présenter en candidat libre, ce qui exclut tous les candidats potentiels issus des lycées dans lesquels il n’y a pas d’enseignement de langue régionale.
 
- Quel est le risque exact pour les professeurs ?
- Ailleurs, les professeurs de langues dites régionales ont une équivalence, ils sont, par exemple, professeurs de breton et de maths… Ce qui n’est pas le cas pour les professeurs de corse qui ont un capes monovalent. La tentation reste grande pour les proviseurs de ne pas intégrer la langue régionale dans les emplois du temps. L’enseignement du corse dans les lycées marseillais en a déjà pâti directement ! Si la réforme avait été adoptée en l’état, c’est-à-dire avec les langues régionales exclues des domaines de spécialité, l’effet de blast aurait été terrible par ses conséquences sociales et politiques. Le ministère aurait mis le rectorat dans une position intenable vis-à-vis de la CDC et dénoncé, de facto, les engagements de la Convention 2016-2021.
 
- C’est le résultat de votre action auprès de la Rectrice. Elle a, donc, porté ses fruits ?
- Pas suffisamment ! La première mouture de la réforme était très dangereuse, nous avons obtenu quelques modifications à la marge, trop minimes. La Rectrice a évoqué la possibilité d’aligner l’option langue régionale sur le standard des langues anciennes puisque, désormais, l’élève ne pourra plus passer qu’une seule option, sauf en ce qui concerne les langues anciennes. De plus, l’option langue ancienne permet la multiplication par trois des points au-dessus de la moyenne. Ce qui leur donne un double avantage et… une double peine pour le corse et les langues régionales. La Rectrice a obtenu l’accès aux domaines de spécialité pour le corse et les langues dites régionales. Pour autant, malgré cette avancée, la situation reste alarmante, le temps presse et le calendrier se resserre. Les trois spécialités doivent être choisies par les élèves au 30 juin, seules deux seront conservées en terminale. Des sondages effectués par anticipation auprès des lycéens n’augurent rien de bon, sachant que l’ouverture d’un domaine de spécialité s’effectue selon les normes ministérielles si l’on atteint le seuil de 24 élèves…
 
- Vous formulez des demandes. Quelles sont-elles ?
-  Après des échanges avec nos interlocuteurs basques, occitans, bretons et alsaciens, nous avons formulé sept demandes indispensables pour remettre la langue corse au cœur du dispositif. D’abord, la création d’une spécialité « langue régionale » spécifique, autonome avec la dénomination « langues, littératures et cultures régionales ». Une offre de langue régionale en spécialité, le cumul de l’enseignement optionnel de langue régionale et l’alignement de son coefficient et des modalités de sa notation sur le dispositif mis en place pour les langues et cultures de l’Antiquité. Egalement, la création d’une indication « discipline non linguistique ayant fait l’objet d’un enseignement en langue vivante, étrangère ou régionale », ou bien d’une indication « option bilingue langue régionale ». La reconnaissance de l'enseignement bilingue au lycée n'existe pas : les lycéens bretons et basques, qui ont passé l'épreuve de mathématiques en breton et en basque en juillet dernier, ont été sanctionnés sans scrupule. Nous réclamons, aussi, la réouverture de l’option facultative en séries technologiques - seulement maintenue dans la série STHR -, l’accession du corse aux enseignements communs dans l’enseignement technologique et le rétablissement de l’accès à l’ensemble des possibilités de choix pour les candidats libres.
 
- Vous aviez sollicité une entrevue avec le ministre Blanquer. L’avez-vous obtenue ?
- Pas encore. Le président Simeoni l’a demandée par lettre pour aborder la question générale de l’enseignement du Corse, la nécessité d’un cadre normatif dérogatoire, du rétablissement du concours de l’agrégation, d’un plan de formation en LCC pour les professeurs de DNL (Discipline non linguistique : sciences, SVT, maths…) dans le secondaire et du développement de l’immersion dans les écoles maternelles. En attendant, nous avons décidé d’alerter nos députés pour qu’ils interviennent rapidement. Le Conseil Exécutif a, aussi, sollicité l’ARF (Association des régions de France) pour poser la question du devenir de toutes les langues dites régionales et avoir une position commune, y compris au niveau européen. Dans l’île, nous rencontrons, samedi, les étudiants et nous solliciterons les élus de l’Assemblée, les syndicats enseignants et les associations opérant dans les domaines linguistique et culturel, pour faire un front commun et poser la question au niveau qui s’avère le plus pertinent, celui de toute une société qui aspire à l’avènement du bi-plurilinguisme. Il faut que Paris comprenne que notre revendication historique de coofficialité situe l’enjeu au niveau politique. C’est à ce prix-là que le Corse redeviendra la langue de notre société.  
 
Propos recueillis par Nicole MARI.


Réforme du baccalauréat : La langue corse en danger !