
Michel Stefani, secrétaire régional du Parti Communiste en Corse et à Christophe Bertin, secrétaire général de l’Union Départementale FO de Haute-Corse
- Michel Stefani, la présentation du projet gouvernemental a été retardé. Une première victoire ?
- C’est le refus majoritaire de nos concitoyens du report de l’âge de la retraite à 65 ans, l’unité syndicale contre ce néfaste projet qui ont conduit le président de la République à en retarder la présentation au 10 janvier 2023. Ce signe de faiblesse n’empêche pas Emmanuel Macron de vouloir porter son mauvais coup avec l’examen du budget rectificatif de la loi de finance de la Sécurité sociale début février. Ainsi le gouvernement et le MEDEF ont voulu prendre plus de temps pour convaincre un à un les députés de droite de voter ce texte puisque cette même droite, majoritaire au Sénat, a déjà voté cette contre-réforme. L’extrême droite attend en embuscade. L’urgence est donc de développer un mouvement social, populaire, large et unitaire contre la « régression macron » qu’il s’agisse du recul de l’âge de départ en retraite ou l’augmentation de la durée des cotisations.
- Votre Président, Fabien Roussel a fait certaines propositions …
- Effectivement. Il a relancé l’idée d’une consultation du peuple par référendum et une pétition est mise à la disposition des citoyens pour qu’ils puissent le réclamer. Partout où nous le pouvons, il est indispensable de faire grandir cette mobilisation pour gagner, c’est-à-dire mettre d’abord en échec le projet du pouvoir et des milieux d’affaires.
- Pour vous, le recul de l’âge de la retraite est aberrant ?
- On ne peut accepter d’allonger encore la durée du temps de travail des plus âgés dont les corps sont usés, alors qu’à leurs côtés, six millions de personnes sont privées d’emplois et d’autres n’ont qu’un emploi précaire. Une telle contre-réforme accentuerait encore les inégalités de classe. Déjà l’espérance de vie des 5% plus pauvres est inférieure de 13 années comparées à celle des 5% des plus aisées. Avec ce report de l’âge de la retraite, une partie des plus modestes en serait totalement privé. En effet, à l’âge de 65 ans, 23% des personnes les plus pauvres sont déjà décédés. L’aggravation des inégalités de revenus entre les femmes et les hommes en retraite viendrait s’y ajouter.
- Pour défendre son projet, le gouvernement souligne une plus grande longévité …
- Il est faux d’affirmer que l’on vit désormais plus longtemps en retraite. Ce temps de vie avait déjà diminué d’un an entre les générations des années 1950 et 1953 et continue aujourd’hui de diminuer d’une demi-année par décennie. En vérité, l’inhumanité capitaliste refuse de consacrer aux retraités une part plus importante des richesses qu’ils ont contribué à produire. Comme le réclament les milieux d’affaires, le pouvoir prépare l’appauvrissement généralisé des retraités tandis qu’il continue de comprimer les salaires. Et, l’actuelle illusion des « primes » en tout genre revient à rogner la protection sociale et les retraites faute de cotisations.
- Justement, retraite et protection sociale sont-elles liées ?
- L’amélioration des retraites et de la protection sociale est liée à la promotion de l’emploi stable et correctement rémunéré, à l’amélioration des salaires et à l’égalité salariale entre les femmes et les hommes. Ceci doit s’avancer, en reconnaissant l’utilité sociale et la qualification de chaque travailleur par la mise en place d’une sécurité d’emploi et de formation ouvrant à des évolutions de carrières et aux besoins des transitions environnementales ou numériques. Consacrer aux salaires et à la protection sociale, la même part de richesses crées par le travail qu’en 1993, supprimer les exonérations sociales et fiscales octroyées au fil du temps, augmenter les rémunérations du travail et éradiquer totalement le chômage et la précarité des jeunes au travail, obtenir l’égalité salariale femmes/hommes permettrait d’augmenter de 260 milliards d’euros les ressources disponibles pour le financement de la Sécurité sociale et donc des retraites.
- Une sécurité sociale que vous dites au service des riches ?
- Déléguer la gestion de la Sécurité sociale aux gouvernements au service des puissances d’argent c’est se condamner à la poursuite des régressions sociales, à l’affaiblissement de l’hôpital public, à la réduction des remboursements des soins et médicaments, et au recul de l’âge de départ en retraite. Voilà pourquoi, les assurés sociaux et les salariés doivent devenir maîtres de bout en bout de la gestion des caisses de sécurité sociale. Offrir une perspective mobilisatrice implique de porter le débat et le combat à ce niveau au moment où le gouvernement Macron Borne veut imposer un recul de civilisation avec le report de l’âge de départ en retraite à 65 ans.
- Vent debout comme jamais contre le capitalisme ?
- Le problème aujourd’hui est bien la gestion capitaliste qui consacre plus d’argent à la rémunération du capital qu’à celle du travail alors que les multiples crises poussent à ce que les travailleurs obtiennent plus de maîtrise sur le travail, son utilité, son sens, son efficacité économique, sociale et écologique. Sans attendre, ils peuvent s’attaquer aux énormes gâchis d’argent qui ne servent qu’au monde de la finance. Les prestations retraite sont de l’ordre de 340 milliards d’euros. Mais les revenus financiers des entreprises atteignent 385 milliards, sur lesquels sont ponctionnés 231 milliards de dividendes et 98 milliards d’intérêts…
- D’où l’idée d’une imposition ?
- Une imposition sur ces sommes contribuerait à dissuader les placements en titres financiers et permettrait d’investir dans une réindustrialisation conforme aux exigences environnementales et au déploiement de l’agroécologie. Assujettir ces revenus parasitaires, au même taux que les cotisations vieillesse sur les salaires, rapporterait 40 milliards d’euros pour les retraites. De même, il conviendrait de récupérer d’autres ressources notamment par la fin des exonérations de cotisations employeur. Par contre, on peut imaginer une modulation des cotisations favorable aux petites entreprises et à celles qui créent de l’emploi stable correctement rémunéré.
- D’où aussi l’idée d’une maitrise de production par les travailleurs ..
- Que les travailleurs puissent maîtriser la production pour faire valoir les enjeux environnementaux et sanitaires, le bienêtre de toutes et de tous, pousserait à une nouvelle cohérence progressiste au service du bien commun. Ceci constituerait un bon en avant de la citoyenneté et de la démocratie. Une telle perspective implique des pouvoirs réels des salariés dans les entreprises sur l’utilisation de l’argent, le crédit et la création monétaire, dans le cadre de nouveaux secteurs publics élargis et démocratisés.
- Ce combat contre la réforme doit-il passer par une mobilisation à tous les étages ?
- Le combat engagé, dans l’unité syndicale et celle des forces de gauche, contre le recul de l’âge de départ en retraite, pour une retraite à 60 ans pour toutes et tous avec 75% du dernier salaire après 40 années de cotisations incluant les études et les périodes de formation, c’est le chemin progressiste que les communistes proposent de défricher. Aussi faut-il organiser partout et sans attendre le grand débat populaire nécessaire.
Pour le syndicat FO, pas question que le gouvernement recule l’âge de la retraite.
- La position de FO sur cette réforme qui arrive à grand pas ?
- Notre syndicat affiche sa détermination à combattre cette réforme et on se fera l’écho sur le terrain de s’opposer fermement s’il y a recul de l’âge de départ à la retraite ou allongement de durée des cotisations. Ces échos se traduiront par des manifestations et des grèves.
- Cette réforme vous semble injuste ?
- Bien sûr ! Elle est aussi injuste qu’inutile. Pourquoi s’acharner à vouloir faire travailler les gens jusqu’à 65 ans, alors qu’à 60 ans, bon nombre de séniors ne sont plus employés mais au chômage, et parfois depuis plusieurs années, ou en arrêt longue durée ou maladie ? Le taux d’emploi chez les plus de 60 ans est en France de 35.5%. Les séniors seront indemnisés par Pôle Emploi au lieu de toucher leur pension retraite. Où est la logique économique ? Pourquoi travailler jusqu’à 65 ans alors que l’espérance de vie en bonne santé recule ? L’espérance de vie en bonne santé, sans incapacité, à 65 ans s’établit en 2020 à 12.1 ans pour les femmes et 10.6 ans pour les hommes. Pourquoi garder les séniors plus longtemps au travail alors qu’il y a 7.4 millions de chômeurs en France et surtout tant de jeunes qui cherchent un emploi ?
- Le gouvernement parle d’un déficit de 12 milliards ...
- Il nous demande en effet de travailler plus pour combler un hypothétique déficit de 12 milliards, soit à peine 0.04% de déficit, alors que, dans le même temps, les exonérations de cotisations aux entreprises, sans aucune contrepartie, s’élèvent à plus de 150 milliards d’euros.
- FO met aussi en avant des inégalités…
- Les inégalités explosent dans notre pays et il faut que ça change ! Des solutions de financement alternatives de nos retraites existent mais encore faut-il chercher du bon côté. Et finalement c’est toujours aux mêmes que l’on demande de faire des efforts, et toujours les mêmes que l’on aide ou exonère. Le résultat est que si certains sont de plus en plus riches, d’autres voient l’ensemble de leurs acquis sociaux d’après-guerre remis en cause voire liquidé.
- Finalement, cette réforme, comme FO, beaucoup la rejette ?
- Tous secteurs confondus, public ou privé, la réforme engage l’avenir de chacun. Nous sommes devant un choix de société à trancher, et les Français l’ont déjà fait. Ils veulent, dans leur très grande majorité, plus de 70%, le maintien et l’amélioration de notre système de retraite. Il faut rappeler que ce système est excédentaire aujourd’hui. Une majorité de cadres, dans un sondage récent, souhaitent même un départ en retraite à 60 ans !
- Cela passe par une mobilisation ?
- Tout à fait. Pour que la voix des salariés se fasse entendre, et que leur volonté soit respectée, il va falloir, ensemble, se mobiliser et tout de suite. Car c’est tous ensemble que nous pourrons nous opposer à ce projet de réforme des retraites qui nous impactera tous, et surtout en corse où la précarité est élevée. Cette réforme est pour nous synonyme de régression sociale.