Le silence de l’Assemblée de Corse, ce jeudi, à la lecture de cette lettre, était à la mesure du climat qui pèse sur l’île. Réunie pour une session consacrée aux dérives mafieuses, la journée a été rythmée par plusieurs moments forts : le discours de l’ancien maire de Palerme, Leoluca Orlando, les annonces de Gérald Darmanin…
Mais c’est la lettre de Saveria Giorgi, sœur de Pilou, pompier assassiné le 23 décembre dernier à Ajaccio, qui a figé l’hémicycle, laissant place à un silence lourd de sens.
Un drame qui s’inscrit dans une série de meurtres qui secouent la Corse : trois homicides depuis le début de l’année, dont celui de Chloé, 18 ans, tuée à Ponte-Leccia le 15 février, vraisemblablement ciblée par erreur. Une violence qui s’accélère, qui interroge.
Sur une île où le taux d’homicides est le plus élevé de France, la question n’est plus seulement de savoir comment lutter contre ces crimes, mais comment en sortir.
Une violence omniprésente, mais qui a changé de visage
Dans sa lettre, Saveria Giorgi refuse de parler de "prise de conscience", un mot qui revient après chaque drame, comme un rituel. "Je considère la violence comme une tâche de naissance de notre île. Nous le savons, celle-ci fait partie de notre histoire, il suffit de s’y intéresser." Mais ce qu’elle ne comprend pas, c’est son évolution, son ancrage dans le quotidien : "À quel moment la drogue et les armes se sont-elles littéralement intégrées dans nos mœurs ? Depuis quand notre île est-elle devenue le laboratoire du déclin ? Pire que tout, une terre tenue par la peur."
Elle était là, ce soir du 23 décembre, lorsque son frère a été tué au Lamparo. Elle décrit l’horreur de cette scène, et derrière elle, l’image d’une société qui vacille : "Des coups de feu. Une vague d’agitation. La panique. La peur. Un sentiment général de déjà-vu. Des jeunes gens armés affichant leurs armes, alors que la foule se précipite vers les sorties. Un assassin qui quitte les lieux tranquillement." décrit Saveria. Un tireur qui s’éloigne sans se cacher, sans courir. Parce que personne ne le retient, parce que la peur paralyse. Parce que la violence s’est imposée comme une fatalité.
Une contradiction glaçante
Mais au-delà de la peur, c’est une contradiction profonde qu’elle met en lumière Saveria Giorgi dans sa lettre. La Corse est à la fois une terre sûre et un territoire où l’on peut mourir pour un regard. "Paradoxalement, votre fille peut rentrer seule d’une soirée, sans craindre d’être agressée dans une sombre ruelle, mais votre fils peut mourir derrière un bar, ne serait-ce que pour un simple regard." affirme-t-elle sans détour. Un contraste qui dit tout. D’un côté, une île où l’insécurité du quotidien semble bien moins marquée qu’ailleurs en France. De l’autre, une société où la violence se manifeste dans des lieux inattendus, brutale, aveugle, sans explication.
Ce jeudi, dans l’hémicycle, les élus ont voté un rapport et écouté les annonces du ministre de la Justice Gérald Darmanin. Des décisions affichées comme une offensive contre la mafia, mais qui peinent pourtant à dissiper un sentiment d’impuissance qui gagne une partie des Corses. Que valent ces annonces face à une île où la violence s’impose jusque dans les habitudes ? Où l’on meurt pour un regard, mais où une partie de la société préfère détourner les yeux ?
C’est cette réalité que Saveria Giorgi met en lumière. Au-delà des décisions et des annonces, elle pose une question essentielle : peut-on encore envisager un avenir ici ? "Que faut-il faire ? Est-il encore raisonnable de vouloir fonder une famille ici et prospérer dans des affaires si notre environnement est aussi pourri ? Dois-je penser à un avenir meilleur ici ou ailleurs ?" La Corse est-elle encore un endroit où l’on peut vivre sans crainte ?
Sa conclusion est sans appel : « Que la mort de mon frère ne soit pas vaine. » Il appartient désormais aux Corses d’en décider.