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Procès du Chinois : 6 ans de prison ferme requis contre l’ex-capitaine de gendarmerie


Nicole Mari le Mercredi 5 Février 2014 à 19:04

Exercice difficile pour François Levan au 2ème jour de son procès. L’ex-capitaine de gendarmerie, en poste en Corse de 2002 à 2007 où il a, notamment, dirigé l'antenne bastiaise de la section de recherches, s'est malaisément expliqué sur les méthodes illégales qu'il a utilisées dans l'exercice de ses fonctions. Le procureur a requis, contre lui, une peine lourde de 6 ans de prison ferme avec mandat de dépôt, une interdiction d’exercer un métier militaire ou de police pendant 5 ans, également une interdiction de porter une arme et de séjourner en Corse pendant 5 ans. Il a requis des peines allant de 6 mois de prison avec sursis à 4 ans de prison ferme pour 5 co-inculpés.



Procès du Chinois : 6 ans de prison ferme requis contre l’ex-capitaine de gendarmerie
L'ex-capitaine de gendarmerie a-t-il détourné, à des fins d'enrichissement personnel, des saisies de cannabis ? Les a-t-il utilisées pour rémunérer des indics ? Ces questions, qui étaient au cœur de cette 2ème journée d'audience, n'ont pas vraiment été tranchées. Les explications de François Levan, qui nie l’illégalité de ses actes, n'ont pas convaincu. Et, ce ne sont pas les incidents de séance, qui se sont multipliés entre ses deux avocats et le président Patrick Sendral, qui ont permis d’éclaircir le débat. Le ton dérape facilement. Les réponses fusent du tac au tac. Le président Sendral, qui tente de résister aux rudes attaques des deux ténors des barreaux de Paris et de Marseille, Me Olivier Morice et Me Christian Scolari, finit même, excédé, par suspendre l’audience pendant quelques minutes, histoire de calmer les esprits. La défense bastiaise des six co-prévenus assiste, placide et muette, aux joutes de ses confrères.
 
Une limite franchie
L’audition attendue du colonel Yannick Herry, le supérieur hiérarchique du capitaine Levan, s’avère à double tranchant. « Excellent élément, brillant, officier remarquable, sortant du lot, meneur d’hommes jouissant d’une certaine aura auprès de ses personnels… ». Si le Colonel ne tarit pas d’éloges sur son ex-subordonné qu’il a, lui-même, promu, à qui il accordait toute sa confiance et envers qui, il n’a jamais eu le moindre doute, il ne couvre, pour autant, pas tous ses agissements hors normes. « La fin ne justifie pas toujours les moyens. On n’est pas obligé d’employer des méthodes illégales. Il faut toujours travailler dans le droit. De toute façon, un jour ou l’autre, on attrape les voyous », commente-t-il. Il explique que le ministère de l’Intérieur mettait la pression pour obtenir des résultats rapides sur les dossiers sensibles, que François Levan « sortait des affaires » et qu’il n’y avait, alors, aucun moyen légal de rétribuer les indics. Pour lui, l’ex-gendarme a franchi les limites autorisées. A l’extérieur, pendant les suspensions d’audience, les deux ex-collègues discutent, ensemble, cordialement.
 
Le non-respect des règles
S’il reconnaît avoir commis « de graves erreurs », l’ex-capitaine campe sur sa ligne de défense. Il continue de nier une partie des faits qui lui sont reprochés, notamment des détournements de saisies de drogue avec fausse écriture, trafic d’influence, corruption, arrestation, enlèvement et séquestration, écoutes téléphoniques illégales… Il affirme n’avoir rien fait d’illégal, mais a juste appliqué les méthodes en vigueur dans les services judiciaires corses. Sommé de s’expliquer sur les détournements de scellés de 188 kilos de résine de cannabis qu’on lui impute et qu’il prétend avoir détruits et sur les faux procès-verbaux afférents, François Levan hésite, s’énerve, a du mal à se justifier et ne convainc pas. Le procureur adjoint, Jean-Luc Lennon, très offensif, le tanne, le tacle, traque les incohérences et les invraisemblances, s’étonne de la désinvolture du prévenu concernant des actes sensibles, des PV mal rédigés, non conformes, du non-respect des règles et du manque de rigueur qui jettent le doute sur la réalité des procédures.
 
Pas de preuves
La défense tente de minimiser l'impact de cet interrogatoire et de démonter les points litigieux. Elle joue sur l’absence manifeste de preuves. Rien ne certifie la destruction des scellés de drogue, ni leur détournement à des fins personnelles ou professionnelles. Elle argumente qu’aucun magistrat instructeur n’a reproché, au prévenu, son mode opératoire et qu’aucun enrichissement personnel ne vient étayer la thèse d’un quelconque comportement ripou. Aucune irrégularité n’a été relevée dans le patrimoine de François Levan, malgré son train de vie trop fastueux pour un simple gendarme.
Sa femme viendra à la barre plaider l’intégrité de son mari. Elle évoque une jalousie à relents racistes de la part de ses collègues et revient sur l’idée d’un complot pour faire tomber un capitaine trop brillant.
 
Des questions en suspens
La défense surfe sur cette image de bouc-émissaire d’un système policier et judiciaire corrompu, opérant aux marges de la légalité dans une obsession du résultat. Au-delà des postures attendues de cette ligne de défense, une poignée d’années à peine après l’affaire Bonnet et l’incendie des paillotes, le spectre latent des dérives antérieures plane sur le procès. Difficile de ne pas se demander, dans un contexte de pressions politiques avérées et dans les zones d’ombre de la spécificité insulaire, où se situe la frontière entre la rigueur écrite de la règle et les libertés tolérées sur le terrain, où s’arrêtent les pratiques courantes et où commence le dérapage d’un officier exemplaire ? Cette affaire n’est-elle qu’une banale affaire de gendarme ripou ou est-ce l’arbre qui cache la forêt ? Il est peu probable que le procès en cours lève les doutes raisonnables sur le sujet.
 
Une défense injurieuse
Un complot, un mal généralisé… le procureur adjoint, Jean-Luc Lennon, n’y croit pas une seconde. Dans un réquisitoire long, clair, précis, détaillé et pointilleux, il replace les faits dans « un contexte singulier » et s’inscrit en faux contre le procès fait « contre la gendarmerie nationale ». Pour lui, ce procès est celui des méthodes d’un officier livré à lui-même qui, après sa promotion, se retrouve quasiment seul à animer un groupe de recherche, sans tutelle hiérarchique. « C’est là que le bât blesse ! Le problème avec Levan, c’est que, dès l’instant où il met les pieds à Borgo, il s’éloigne de sa hiérarchie et du code de procédure pénale. Il bafoue les règles ». Le procureur fustige une ligne de défense pétrie de « contradictions majeures » et « injurieuse pour son équipe, pour la gendarmerie nationale et pour l’institution judiciaire qui est mise en cause dans son fonctionnement ». Il accuse François Levan de « tout salir sur son passage » pour se dédouaner. « Il ne s’agit pas d’enfoncer le soldat Levan ou de le sauver, mais de comprendre les raisons qui l’ont poussé à agir ainsi ».
 
Des relations douteuses
Brossant le portrait d’un « solitaire, un chasseur » aux fréquentations douteuses, il s’interroge sur la relation ambiguë « qui a débordé », liant le gendarme à Claude Valery, co-inculpé pour « altération frauduleuse de la vérité, détention et transport de stupéfiants ». Une relation de dépendance, sous fond de dette financière et d’un emprunt de 20000 € qu’avait contracté François Levan auprès de cet ancien gérant de sociétés, inculpé pour escroqueries. Et trouve tout aussi « étrange », pour un officier de police judiciaire, son amitié avec Sébastien Suzzoni et Olivier Meschini, également co-inculpés, et déjà condamnés dans l’affaire Benvenuti, une tentative de racket sur un restaurateur de Saint-Florent. L’ex-capitaine leur aurait fourni des informations sur l’enquête en cours.
 
Des explications surréalistes
Jean-Luc Lennon qualifie, ensuite, de « terrible à entendre » la version « fantaisiste » du prévenu sur la destruction des scellés de cannabis et les PV mal rédigés, qu’il apparente à un abus de confiance envers le magistrat instructeur. Il récuse l’excuse de négligence ou d’erreur en « se basant sur une règle de bon sens, car la rigueur de la procédure est la vertu première dans la formation d’un enquêteur ». Il tacle « l’absurdité, l’invraisemblance des explications » de François Levan et ne croit pas à des destructions faites sans témoin. « Ce n’est pas du rang d’un officier que d’aller faire de basses besognes ! C’est aberrant ! C’est surréaliste ! Le manque de rigueur procédurale lui sert à cacher ses turpitudes ». Il laisse entendre que l’ex-gendarme a utilisé la drogue pour payer Claude Valery et pour en tirer un profit financier. De la même manière, il s’attache à démontrer le trafic d’influence et la façon dont François Levan fait payer les menus services qu’il rend en « manipulant » ses collègues et les juges d’instruction. 
 
Des peines lourdes
Estimant « caractérisées et graves » toutes les infractions reprochées « d’autant qu’elles sont commises par un officier de police judiciaire », il requiert à l’encontre de l’ex-capitaine « des peines lourdes » : 6 ans de prison avec délivrance de mandat de dépôt et l’interdiction pendant 5 ans d’exercer une fonction publique à l’occasion ou dans laquelle ont été commises les infractions, de porter une arme et de séjourner en Corse.
Pour Claude Valéry, le seul à être incarcéré, il requiert 4 ans de prison ferme avec délivrance de mandat de dépôt et une interdiction de séjour en Corse pendant 3 ans.
A l’encontre d’Olivier Meschini et Sébastien Suzzoni, il demande un an de prison ferme, assorti, pour le second, d’une interdiction de séjour en Corse pendant 3 ans.
Pour Eric Ventura et Luc Desangles, co-inculpés pour trafic d’influence, il requiert 6 mois de prison, fermes pour le 1er et assortis d’un sursis pour le second. Ainsi que la relaxe pour Louis Antonini. Enfin, à l’encontre d’un témoin qui ne s’est pas présenté à l’audience, il demande une amende civile de 1000 €.
 
Le procès continue jeudi avec les plaidoiries de la défense. Le verdict sera mis en délibéré.
 
N.M.
 
 

Me Olivier Morice, un des avocats de François Levan, réagit à l'annonce du réquisitoire du procureur adjoint.