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Procès des incidents de Sisco : Une peine de 2 ans de prison ferme et quatre peines de 6 à 12 mois avec sursis


Nicole Mari le Jeudi 15 Septembre 2016 à 23:48

Haute tension médiatique, jeudi après-midi, pour le procès en comparution immédiate des violents incidents qui ont opposé, le 13 août, sur la plage de Sisco, des habitants à une famille d’origine maghrébine. La demande de dépaysement ayant été rejetée par le Parquet général de Bastia, les avocats de la famille marocaine ont mis nommément en cause des élus corses. Deux des trois frères Benhaddou étaient absents à l'audience. Le procureur a requis 2 ans de prison ferme pour le principal accusé Musatpha Benhaddou et son maintien en détention et de 8 à 12 mois de prison avec sursis pour ses frères et les deux prévenus Siscais. La défense des Benhaddou plaide l'ostracisation, celle des Siscais demande de faire la part des choses entre agresseurs et agressés qui sur-réagissent. La Cour a suivi les réquisitions du procureur.



C'est dans un climat tendu, sous haute pression médiatique et politique, que débute avec 30 minutes de retard et un changement de salle pour cause d'affluence, le procès en comparution immédiate des cinq prévenus impliqués dans la rixe de Sisco. D’un côté, trois frères de nationalité marocaine, Jamal, Abdelillah et Mustapha Benhaddou, à l’origine de la rixe et poursuivis, notamment, pour violences en réunion avec armes sur personnes identifiées ou non-identifiées. Ils sont accusés d’avoir fait usage d’armes blanches, en l’occurrence un couteau, un fusil-harpon et une batte de base-ball, contre des habitants de Sisco et blessé grièvement un père et son fils, Jiri et Jerry Newman, qui se sont constitués parties civiles. Un quatrième frère est en fuite. L'enquête établit que la famille Benhaddou avait privatisé la plage de Sisco et en avait chassé les occupants à force d'intimidation, d'abord des touristes alsaciens et belges, puis des gamins en canoë, ensuite Jiri Newman qui prenait des photos, avant de s'en prendre au père de ce dernier. Les villageois prévenus descendent sur la plage et la rixe dégénère. Deux Siscais, Pierre Baldi et Lucien Straboni, sont également poursuivis pour violences en réunion pour avoir donné un coup de poing et un coup de pied à l’encontre d’un frère Benhaddou, quand il était à terre ou sur un brancard, alors même que les gendarmes, arrivés sur les lieux, s’efforçaient de calmer le jeu.
 
Une requête rejetée
Seuls trois des cinq protagonistes sont présents à l'audience. La requête en dépaysement, déposée par les avocats de la famille marocaine, ayant été rejetée le matin même, les deux frères Benhaddou restés libres, Jamal et Abdelillah, sont absents. Leur défense argue la peur d'affronter la foule et justifie leur requête en mettant en cause l'intervention des élus corses : « Vous n'êtes pas sans ignorer le caractère invraisemblable qu'a pris ce dossier. Il ne s'agissait pas d'une défiance à l'égard de la Corse ou de ce tribunal. La justice est indépendante. Mais un pouvoir politique élu en Corse a tenté de faire pression », avance Me Philippe Ohayon, l'un des deux avocats de Jamal. Son confrère Me Ouadi El'Hamamoudi tente d'exploiter à fond ce contexte politique et accuse nommément Gilles Simeoni et Jean Guy Talamoni d'avoir interféré auprès de la justice pour faire libérer les Siscais, puis pourfend les propos tenus par Ange-Pierre Vivoni, le maire de Sisco, et même la décision du Tribunal administratif de valider l'arrêté anti-burkini. La défense, qui admet l'inutilité de poursuivre son recours face à une enquête qui charge ses clients, tente d'allumer des contrefeux artificiels. Les élus nationalistes, qui ont appelé au calme, avaient décider de rester à l'extérieur avec la population de Sisco. Ange-Pierre Vivoni et le député-maire de Biguglia, Sauveur Gandolfi-Scheit suivant les débats à l'intérieur.
 

Les avocats de Bobigny.
Les avocats de Bobigny.
Plus Corse que lui !
La présidente du tribunal, Anne David, s'attache, d'abord, à méticuleusement retracer le contexte et la chronologie des faits en confrontant les deux versions opposées de Mustapha et de Jerry. Mustapha, qui affiche un casier judiciaire chargé, nie tous les faits qui lui sont reprochés, se posant en victime de propos racistes, propos que d'autres membres de sa famille n'ont pas entendus. Il récuse tous les témoignages, même ceux des touristes et des gendarmes, mais finit sous la pression du tribunal par reconnaître avoir secoué et giflé Jerry. Le procureur Nicolas Bessone l'interroge : « Vous êtes quatre adultes et menacez un jeune qui pèse 50 kg. Pourquoi lui avoir donné une gifle ? ». Réponse de Mustapha : « Je n'ai pas supporté ses propos racistes. Je me sens plus Corse que lui, j'étais en Corse quand il n'était pas né ! ». Rires abasourdis de la salle. A la demande d'un de ses avocats, il exprime une litanie de regrets : «Je regrette d'avoir été à la plage ce jour-là. Je reconnais mes torts », et affirme qu'il a tout fait pour calmer la situation : « Je connais la Corse, je savais comment ça allait dégénérer, qu'ils allaient tous rappliquer, j'ai dis à ma famille qu'il fallait partir ».
 
Une colère collective
La présidente David interroge, ensuite, Jiri Newman blessé dans la rixe avec un fusil harpon. Mustapha nie, d'abord, posséder un fusil harpon, avant de reconnaître qu’il en avait un en main. Le tir de harpon donne lieu à une violente prise de bec entre la défense de la famille marocaine, qui tente de démontrer qu'il n'y a pas eu de tir, et la partie civile. Le visionnage d'une vidéo confirme que Mustapha tient des propos racistes envers Jiri Newman : « Sale Portugais ! Je sais où tu habites ! Je vais te crever ! ». Pour l'anecdote, Jiri, ancien légionnaire, d'origine tchèque, vit en Corse depuis 16 ans. La présidente lit, ensuite, le rapport détaillé des gendarmes, qui décrit l'escalade de la violence avec l'arrivée progressive d’une centaine de villageois. Une scène de plus en plus tendue avec des invectives, des insultes, des jets de pierre, des menaces de mort de part et d'autre, des voitures incendiées, et, selon le mot de la présidente, "un mouvement de foule qui gonfle avec des moments extrêmes, de la colère collective qui monte, monte..."  où seule l'interposition des forces de l’ordre permet d'éviter le pire. Anne David interroge les deux Siscais incriminés par les gendarmes, Pierre Baldi et Lucien Straboni, qui affirment avoir réagi à des insultes et avoir frappé involontairement. La défense de la famille marocaine se livre, alors, à un stupéfiant exercice en voulant obliger les deux Siscais à « reconnaître leur culpabilité pour l'honneur », provoquant des murmures choqués du public.
 

Le procureur Nicolas Bessone.
Le procureur Nicolas Bessone.
Les racistes de la République
L'avocat de la partie civile, Me Gilles Antormarchi, ouvre les plaidoiries en clamant sa colère sur la façon "honteuse" dont les avocats parisiens se sont emparés de cette affaire et ont cloué la Corse au pilori. « Quand on ne sait plus quoi faire dans un dossier, quand on ne trouve pas la porte de sortie parce qu'il n'y en a pas, on tente par tous les moyens de se dérober à la justice, on a des comportements inacceptables. Sur l'opprobre jeté sur la Corse, on s'avachit. Pendant un mois, on a nous a traité de tout. Il y a quelques années, les Corses étaient les fainéants de la République, puis ils sont devenus les violents de la République, ils sont maintenant les racistes de la République ! ». Il dénonce la teneur de la requête en dépaysement qui accable la Corse et la justice, et l’absence de deux prévenus qui ont « considéré qu'il fallait mieux parler à la presse qu'au tribunal ». Il rappelle que les Newman, « un enfant violenté, un père agressé, harponné violemment », sont « les seuls victimes de cette procédure qui démontre, établit et ne permet aucun doute sur des culpabilités... Quand on met le feu aux poudres, on va ensuite s'étonner qu'une population d’un petit village se serre les coudes ? ». Listant les « mensonges éhontés », il ironise sur les frères marocains « qui de toute façon n'ont rien fait » face à « ces méchants Corses racistes qui ont choisi de les prendre en photo et de les insulter ». Et assène : « Le respect, c'est comme la tolérance, ça se partage, ce n'est pas seulement dans un sens ! ». Il demande que la Cour entre en voie de condamnation « par esprit de justice ».
 
La réalité du dossier
Une plaidoirie à charge reprise en partie par le procureur Nicolas Bessone qui revient sur la requête en dépaysement : « Si on avait fait droit à cette demande, à St Brieuc, on ne pourrait plus juger un pêcheur breton ! ». Puis s'attarde sur le contexte : « Je suis toujours fasciné par l'emballement médiatique qui a fait que Sisco s'est retrouvé à la une de CNN, On a frôlé la catastrophe, mais il faut revenir à la réalité du dossier : une rixe sévère, des individus qui se tiennent très mal et une réaction disproportionnée. La population de Sisco veut retrouver le calme et la famille Benhaddou ne veut pas porter sur ses épaules quelque chose qui la dépasse «. Pour lui, Mustapha, qui a été « un délinquant caractériel »avec « un fond de violence », est le moteur de l'affaire par sa logique de privatisation de la plage, et l’auteur d’actes graves, de violences morales et physiques. « De quel droit, Mustapha a voulu faire la circulation sur la route de Sisco et décider de se rendre maître de la plage ? Sa faute majeure est de s'en prendre à Jerry qui a subi un traumatisme… Le caïd qui privatise la plage, c'est inadmissible et on le poursuit, mais faire justice soi-même, c'est tout aussi inadmissible ! ». Il déplore « une foule stupide et des mouvements irrationnels. On était dans une crise paroxystique où tous les bas instincts humains ressortent. On a été à la limite du lynchage ». Il ne croit pas à la version des Siscais. Pointant les éléments à charge contre les cinq prévenus, il demande à la Cour d'entrer en condamnation sur tous les faits qui leur sont reprochés. Il requiert 30 mois de prison dont 6 avec sursis contre Mustapha, son maintien en détention avec mise à l'épreuve durant deux ans, l'obligation de travailler et d'indemniser les victimes. 10 et 8 mois de prison avec sursis intégral pour respectivement Abdelilah et Jamal. 12 et 8 mois avec sursis pour respectivement Lucien Straboni et Pierre Baldi.

La défense des Siscais.
La défense des Siscais.
Une famille ostracisée
Des réquisitions jugées sévères par le peloton de 7 avocats qui s'attellent à la défense des frères Benhaddou. « Mr le procureur, vous accordez un penalty extrêmement généreux à la défense des villageois corses en attribuant la privatisation de la plage à mes clients, ce qui n'est pas une infraction pénale. Vous avez presque volé le match ! », lance Me El Hamamouchi. Il tente laborieusement de dévier le tir et de reporter la responsabilité de la rixe sur « la conduite violente des jeunes Siscais » et la prise de photos qui provoque dans la famille marocaine « un sentiment de persécution ». L'avocat de Bobigny pose celle-ci en victime et plaide en partie civile en demandant des dommages et intérêts pour Jamal. L'exercice est tout aussi ardu pour son confrère Me Ohayon qui essaye, à son tour, d'évacuer la causalité des faits pour ne retenir que l'épisode final, la culpabilité des Siscais et « l'ostracisation » de la famille Benhaddou. Estimant qu'il n'y a peu d'élément tangibles et trop de zones d’ombre, l'avocat d'Abdelilah demande la relaxe.
 
La part des choses
Des arguments que la défense des deux Siscais se charge de démonter. Regrettant  qu'on « jette en pâture tout le monde dans le même sac », Me Marc-Antoine Luca demande à la Cour « de faire la part des choses entre les présents et les absents, ceux qui ont décliné leur identité et ceux qui ne la donnent pas, ceux qui sont dans l'action et ceux qui sont dans la réaction ». S'appuyant sur « des faits incontestables » des photos et des vidéos, il s'applique à confondre « les menteurs boiteux » et n'accepte pas que ses clients soient traités de lâches : « Ils n'ont pas eu le courage d'agresser des jeunes enfants sur la plage, de vouloir en découdre, armé d'un harpon et d'un pied de parasol... Ils ont eu le courage de réagir même si la réaction est disproportionnée ». Il récuse l'équilibre des peines : « On ne peut pas sanctionner de la même manière l'action violente des frères Benhaddou et la réaction de la communauté de Sisco qui a été agressée ». Il dévoile que les deux Siscais ont bénéficié d'un énorme élan de solidarité, même financier, et qu'ils vont créer une association. A sa suite, Me Rosa Prosperi montre du doigt le « déferlement médiatique » et « l'instrumentalisation des débordements », le procès de la Corse, de ses élus et de ses coutumes. « Comment les Corses peuvent-ils ne pas se sentir agressés après être traités comme des sauvages et des racistes ! J'ai du mal à entendre qu'on s'exprime dans les médias pour raconter tous les mensonges possibles et qu'on ne vienne pas à l'audience parce qu'on a peur. Si on a peur, on ne dit rien, on ne met pas le feu ! ». A cette débauche médiatique de la famille Benhaddou, elle oppose le silence des deux Siscais « qui n'ont, malgré les pressions, pas ouvert la bouche depuis un mois ».
 

Les avocats de la défense de la famille Benhaddou.
Les avocats de la défense de la famille Benhaddou.
Un mauvais signal
Parmi les quatre avocats de la défense de Mustapha, la présence des deux bâtonniers corses se veut avant tout symbolique. « Cette affaire a suscité une émotion considérable. Il était important pour nous d’être là car nous avions certaines craintes. Nous ne voulions pas assister à une défense communautaire : d'un côté, les Corses défendus par des avocats insulaires et de l'autre, une famille maghrébine défendus par des avocats extérieurs. Il était important de proposer une défense telle qu'elle est constituée aujourd'hui pour envoyer des signaux ici et ailleurs », explique Me Jean François Casalta, bâtonnier d’Ajaccio. Dans ces conditions, poursuit-il « le dépaysement aurait été un mauvais signal. La suspicion de la requête sur la justice corse était insupportable ! J'ai une totale confiance en cette juridiction, c'est pour cela que nous voulions que cette affaire soit jugée ici ». Son confrère de Bastia, Me Jean-Sébastien de Casalta donne d’emblée la couleur : « Cette affaire est particulièrement désagréable. Je ne l’aime pas ! C’est une grimace détestable faite à la Corse ! La torpeur estivale a été balayée par un vent nauséeux et délétère. Une simple empoignade est devenue une bagarre, une expédition punitive, dans un contexte de surexcitation, de violence compulsive, voire de lynchage ». S’il considère comme acquis que Mustafa est l'agresseur et les Siscais, les agressés, il qualifie l’affaire de « confuse » et « d’ambivalente » et propose de la replacer dans un contexte où « l’on peut l’interpréter comme une stigmatisation ». S’efforçant de mettre en doute le scénario de l’enquête et d’en esquisser un autre pour diminuer la responsabilité pénale de Mustapha et diminuer sa peine, il demande à la Cour « de requalifier à minima et de ne retenir que des violences sans circonstances aggravantes au bénéfice ».
  
Les plaidoiries s’achèvent à 3 heures du matin. Après une heure de délibéré, la Cour suit les réquisitions du procureur et condamne Mustapha Benhaddou à 2 ans de prison avec maintien en détention, ses deux frères à six mois de prison avec sursis, Lucien Straboni et Pierre Baldi, à respectivement 12 et 8 mois de prison avec sursis. Dès l’énoncé du verdict, la défense de Mustapha Benhaddou a déclaré qu’elle ferait appel.
 
N.M.