Une dizaine d’attentats contre des résidences secondaires en 2022, assistons-nous à un retour de la violence en Corse ?
Non, la violence était sous-jacente depuis des années. Déjà en 2014, lorsque le FLNC a annoncé l’arrêt de la lutte, j’avais dit que le problème posé par la violence politique n’était pas réglé parce que la société corse n’évoluait pas favorablement, parce qu’il n’y avait pas de réponses à un certain nombre de questions qui avaient porté le mouvement nationaliste pendant des années. La victoire électorale a mis un instant tout cela sous le boisseau, mais au fil du temps, nous nous sommes aperçus que même en gagnant les élections, les nationalistes ne trouvaient pas de solutions à tous ces problèmes, parce qu’en face il y avait un État qui les ignorait et les méprisait. Même si la pandémie avait mis un coup d’arrêt aux mobilisations, celles-ci devaient ressortir, et c’est ce qu’il s’est passé, malheureusement, avec l’assassinat d’Yvan Colonna, qui a été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase.
Peut-on penser que ces attentats sont liés et qu'ils émanent d'un groupe ?
Je n’en sais rien, mais actuellement je ne pense pas qu’il y ait l’amorce d’un mouvement structuré. Seulement, il y a des gens qui individuellement, quelque part, montrent qu’ils sont mécontents et le font savoir, à travers cet épouvantail que constituent les constructions immobilières, qui poussent partout, qui dénaturent tout. Et ce, alors que ces logements ne sont pas réservés aux locaux, loin de là, mais à des locations, sous-locations estivales, quand les Corses, eux, ont de plus en plus de difficultés à se loger et, plus encore, à acheter.
Faut-il craindre une aggravation de la situation ?
J’ai vu que le BTP se plaignait, que le tourisme repartait de plus belle comme si rien ne s’était passé, alors il est évident que si on n’apporte pas de solutions, cela ne pourra que durer. Les gens en ont marre, vraiment. Après, bien entendu, cela prend différentes formes. Ce genre d’actions est le fait de personnes individuelles mais nul ne peut dire ce qui peut arriver demain.
Comment sortir de l’ornière ?
Le problème, c’est le contexte électoral. Cela aurait été mieux si Darmanin était venu un mois après les dernières élections territoriales. Il aurait amorcé les discussions et peut être que cela aurait pu apporter un bien. Malheureusement, cela ne s’est pas produit. Et ce n’est arrivé que parce qu’il y a eu l’assassinat d’Yvan Colonna qui a suscité une vague de colère et d’émotion dans l’île, et même une révolte des jeunes au travers des manifestations.
Le résultat des élections peut-il influer sur la suite des évènements ?
Entre la peste et le choléra, moi je prône l’abstention. Autant, au premier tour, chacun est libre, autant, pour ce deuxième tour, je fais une campagne active pour l’abstention. Je pense que ni l’un, ni l’autre, ne marque une volonté de prendre en compte le problème politique corse qui est posé depuis des années. Si certains pensent que nous allons vers des discussions avec le gouvernement, la meilleure façon de renforcer ces discussions, si un jour elles ont lieu, c’est de montrer que les Corses sont à part. Et la meilleure façon de montrer qu’ils sont à part, c’est de donner un pourcentage d’abstentionnistes plus fort qu’ailleurs. Si on arrive à 51% d’abstention, on montrera que la réalité du vote nationaliste, c’est 51%.
Tous les dirigeants nationalistes ne vous rejoignent pas dans cet appel. Qu'en pensez-vous ?
C’est une erreur politique, une preuve de faiblesse. La stratégie de Ponce Pilate, ce n’est pas bon. Maintenant, c’est leur choix. Moi je ne fais pas partie d’un mouvement quelconque, j’ai une prise de position personnelle qui rejoint celle d’autres mouvements qui déjà au premier tour avaient appelé à l’abstention.
Au premier tour, c’est Marine Le Pen qui est arrivée en tête sur l'île. Votre analyse ?
Quoi que les nationalistes fassent, ils seront catalogués d’extrême droite. La notion de peuple corse, nous l’avons toujours dit, c’est quelle que soit la couleur, la religion, l’origine. Malgré cela, les gens ne nous croient pas. Après, il y a aussi une analyse sociologique à faire en Corse : déjà en 1984, le Front National faisait 13%, et à l’époque, il n’y avait pas les 2 000 arrivées tous les ans. Donc, à l’époque, c’était un corps électoral majoritairement corse. Depuis, combien sont arrivés ? Si on analyse les communes autour de la base de Solenzara, dans les zones des gendarmeries, il y a un pourcentage extraordinaire en faveur de l’extrême droite. Les gens qui ont surtout voté Le Pen sont majoritairement dans les zones péri-urbaines et urbaines, où les Corses sont minoritaires. Ceci dit, comme je l'indiquais, cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas de Corses qui votent Le Pen. Le ferment essentiel de ce vote, même s’ils n’ont pas le courage politique de l’affirmer, c’est le racisme anti-arabe. Et cela, on ne le traite pas. Les nationalistes ont beau avoir une vision ouverte du peuple corse, les gens n’y croient pas.
Votre sentiment pour la suite des évènements ?
Pour la première fois, je ne fais aucun pronostic pour le second tour, il y a tellement d’inconnues qui entrent en jeu. Mais quoi qu’il en soit, le mouvement nationaliste devra continuer à se mobiliser et à revendiquer une solution politique. Au-delà des contacts, il faut de véritables négociations pour un processus politique pour régler globalement la question corse.