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" Pour lutter contre la pérennisation d'une mafia, la Corse a besoin de tous" - Les réactions après la manifestation à Ajaccio


La rédaction le Samedi 15 Novembre 2025 à 19:34

Ce samedi après-midi, à l'appel de la coordination anti-mafia, deux manifestations étaient organisées à Ajaccio et Bastia.
Dans la cité impériale, partis politiques, associations et manifestants ont répondu à l'appel. Ils étaient près de 700 au départ. Réactions.



Jean-Toussaint Plasenzotti de la coordination anti-mafia s'est dit satifsait de ces manifestations qui ont surpassé les attentes de participation. "Faire trois manifestations anti-mafia en Corse en 2025, c'est assez exceptionnel. On a d'autres rendez-vous. La manifestation est l'une des étapes de notre lutte", s'est-il réjouit.  "Il y a une partie de la population corse maintenant qui est consciente du danger. Pas toute, on l'observe, c'est incontestable. Une autre partie est carrément mafieuse. Ça aussi, il faut le reconnaître parce que sinon il n'y aurait pas de mafia (...) On a observé aussi que l'on dérangeait énormément puisque un certain nombre d'affiches ont été arrachées, on a eu des petits soucis de blocage. C'est pour ça que beaucoup de gens sont sensibles aux pressions, à la peur et ce n'est pas habituel en Corse. Culturellement, c'est tout à fait révolutionnaire de lutter contre ce crime organisé qui est issu de nos propres rangs, de nos propres gens. C'est plus facile de s'en prendre à quelqu'un qui n'est pas d'origine corse (...) Par contre, une société de proximité comme la nôtre créé des difficultés lorsque on doit exprimer le refus d'un certain nombre de pratiques, y compris criminelles parce qu'on peut être touché par ricochet ou tout simplement parce qu'on a peur.

"Le travail des collectifs pendant 6 ans a été très dur." Depuis, ils se sont organisés en coordination. Un rapprochement entre les collectifs et les associations nécessaire pour faire face à l'emprise criminelle qui touche tous les secteurs de la société et toutes les générations, insiste la coordination.  Autre point central ? La création d'un délit d'association mafieuse. Lors de la manifestation, la coordination a annoncé la création d'un observatoire statistique citoyen pour quantifier le phénomène et mesurer les réponses apportées par la société et l'État.

Cette 2e manifestation est partie à Ajaccio de la Gare pour rejoindre le Cours Napoléon, la Préfecture et pour se terminer devant la Collectivité de Corse. La jeunesse ouvrait le cortège avec la banderole "Assassini, maffiosi fora ! Le collectif Per a pace portait la 2e banderole "A maffia tomba, u silenziu dino". Le syndicat Via Campagnola portait une banderole en hommage à Pierre Alessandri. "On se devait d'être là. Pierre c'était notre ami, c'était le responsable du syndicat." Dans le cortège également, la tante de Massimu Susini tenant la banderole hommage "A Massimu".

Le président de l'Exécutif, Gilles Simeoni, et la présidente de l'Assemblée de Corse, Marie-Antoinette Maupertuis, l'avaient annoncé hier dans un communiqué. Ils étaient tous deux présents à Ajaccio.
"Notre présence aujourd'hui avec d'autres élus du conseil exécutif et de la majorité territoriale s'inscrit dans la continuité de la délibération qui a été votée à l'Assemblée de Corse en février 2025, une délibération contre les pratiques mafieuses pour une société corse démocratique, libre et apaisée. A partir du moment où il y a un collectif citoyen qui s'est organisé pour dire non aux dérives mafieuses et oui à la vie, il est de notre devoir, de notre responsabilité de répondre favorablement à l'invitation qui nous a été délivrée et d'être aux côtés de ces femmes et de ces hommes qui défilent aujourd'hui pour une société corse de droit et de liberté" , a indiqué Gilles Simeoni. 

De son côté, la présidente de l'Assemblée de Corse, qui avait déjà pris part à la première manifestation organisée en mars dernier a expliqué être présente à plusieurs titres.  "J'y suis en tant que présidente de l'Assemblée de Corse qui a conduit avec le président Simeoni et les collectifs plusieurs réunions au cours des deux dernières années, qui ont débouché d'ailleurs sur 30 propositions concrètes en matière de lutte anti-mafia. Mais je suis aussi là parce que je suis professeur d'Université, je suis en contact avec la jeunesse. Je vois qu'elle est peu nombreuse finalement dans un pays vieillissant, qui aujourd'hui soit se fait tuer soit tue, ce qui relève de situations particulièrement chaotiques et je ne veux pas qu'on en arrive là. En tant que mère de famille, je défile aussi aujourd'hui pour toutes celles qui ont perdu un enfant, qu'il y ait été coupable ou pas et puis pour toutes celles aussi qui s'interrogent sur le devenir des leur. Donc c'était particulièrement important qu'on y soit, parce que je crois que chacun, qu'il soit élu, simple citoyen, chef d'entreprise, syndicaliste doit prendre part à un moment donné à ce processus qui consiste à dire non. Non au chaos, non à la mort et oui à la vie et basta."

Après avoir remonté le cours Napoléon, le cortège a marqué un premier arrêt devant la préfecture où Eric Jalon, le préfet de Corse attendait le cortège devant le Palais Lantivy. La coordination anti-mafia a échangé avec le représentant de l'Etat avant de demander une minute de silence pour les victimes de la mafia. 
Le préfet de Corse a souligné à cette occasion "s'inscrire dans la continuité de l'action conduite par (s)es prédécesseurs" a tenu à être présent pour entendre ce que les manifestants avaient à dire et pour apporter des éléments de réponse. "C'est un combat que nous avons en commun avec tous ceux qui sont là", a-t-il glissé à la coordination antimafia. Par ailleurs, il a détaillé trois initiatives "pour avancer" dans la lutte contre ce fléau, notamment en améliorant la coordination entre les administrations et les autorités judiciaires. Une autre action concernera la formation des fonctionnaires. "C'est une action en direction des agents publics que nous voulons former, sensibiliser à la manière dont ils peuvent déceler la présence de la criminalité organisée et de l'emprise mafieuse, donner l'alerte, remonter l'information pour nous permettre justement de consolider cette information et dès que c'est possible d'en saisir l'autorité judiciaire. Sur le seul périmètre des deux préfectures, des directions régionales et des directions départementales de l'État, c'est déjà un premier périmètre de 1000 agents de l'État qui peuvent être formés. Nous allons commencer dès le début de l'année 2026." Une autre action concernera l'accompagnement des entreprises exposées aux menaces mafieuses, avec un début d'application prévu pour 2026. 

Jean-Dominique Musso, le président du syndicat Via Campagnola, a également pris la parole devant la préfecture pour s'adresser à Eric Jalon. " Il y a 8 mois de cela, nous étions ici pour les mêmes raisons et dans cette foule, il y avait une personne en plus, Pierre Alessandri. Notre secrétaire général, Pierre Alessandri qui a été lâchement assassiné et qu'aujourd'hui nous avons porté ici pour vous rappeler que nous n'acceptons pas la situation dans laquelle nous nous trouvons aujourd'hui. Aucune démocratie ne peut laisser remettre en cause les fondamentaux de cette démocratie et l'action syndicale fait partie des fondamentaux. Nous n'acceptons pas de voir que depuis 8 mois, il n'y a absolument rien qui n'a été fait sur l'assassinat de Pierre Alessandri. Nous réclamons justice pour l'homme, pour l'ami, pour la famille de Pierre Alessandri, et pour notre syndicat. Nous espérons que le 27 mars 2026, date anniversaire de l'assassinat de notre secrétaire générale, nous aurons des réponses parce que nous sommes près à engager des actions syndicales, nous n'abandonnerons pas Pierre Alessandri."  

Romain Colonna président du groupe Fa Populu Inseme à l'Assemblée de Corse et d'autres membres de la majorité territoriale étaient eux aussi présents dans le cortège. "La Corse que nous voulons, que nous défendons d'un point de vue militant, citoyen et à l'Assemblée de Corse, c'est une Corse parfaitement émancipée, libre, démocratique à tous les niveaux", ont-ils expliqué. Et le président du groupe de la majorité d'insister : "En Corse aujourd'hui, ce n'est pas pleinement le cas et les élus que nous sommes a mezzu a nostru populu, au milieu des nôtres, devons conjuguer tous nos efforts qu'ils soient institutionnels ou citoyens. Aujourd'hui être dans la rue, dénoncer, c'est important et que ça se traduise par un effort collectif  que ce soit du côté de l'Etat à travers l'exercice de ses responsabilités régaliennes, que ça soit du coté de la Collectivité où nous avons déjà pris un certain nombre de dispositions ou dans les actes quotidiens. L'idée à retenir, c'est que vraiment, ça doit être un effort collectif et les pouvoirs publics doivent prendre toute leur part dans cette lutte. C'est pour ça qu'il était important que les élus du groupe Fa Populu Inseme (nous sommes nombreux - Danielle Antonini, Muriel Fagni qui rentrait d'un voyage d'étude en Italie en lien avec la lutte antimafia, Don Joseph Luccioni, Nadine Nivaggioni...) soient là à marcher aujourd'hui."

Pour Paul-Félix Benedetti, leader de Core in Fronte cette manifestation  "est un témoignage, un engagement avant tout individuel". "Il y a le représentant d'un parti politique, l'élu, mais je considère que sur un problème sociétal aussi grave, aussi dramatique, il appartient à ce que la société dans toutes ces entités individuelles se mobilise et prenne conscience que la lutte contre un système mafieux n'est pas une lutte physique, c'est une lutte morale. C'est une lutte dans les consciences de chaque personne, de chaque famille, de chaque regroupement de personnes, quel que soit le niveau. Si tout le monde se comporte collectivement avec la même pensée de rejet et de volonté d'une terre corse sans tension, sans rapport de force basé sur le chantage ou la mort, peut-être qu'on peut retrouver un espace équilibré qui nous a quittés maintenant il y a plusieurs décennies." 

Jean-André Miniconi, conseiller municipal d'opposition à Ajaccio, chef d'entreprise et ex-président de la Chmabre de Commerce et d'Industrie a lui aussi tenu à prendre part à la manifestation. "C'est un cri lancé par la population pour que le système maffieux s'arrête en corse. On voit qu'il y a de plus en plus de monde qui peut agir, que les gens sortent dans la rue à Ajaccio et à Bastia. Il y a une population qui prend conscience des choses et j'espère que l'on mettra la pression sur l'État pour qu'il puisse enfin prendre cette lutte anti-mafia en considération et puis et qu'on ait des avancées", explique-t-il. 

Enfin, U Levante a clôturé cette manifestation, s'exprimant au nom de plusieurs associations devant la Collectivité de Corse. "Bien sûr, la lutte anti-mafia concerne la drogue, les marchés publics dévoyés mais elle concerne aussi la spéculation immobilière. Depuis plus de 10 ans, U Levante a tenté d'alerter l'opinion en questionnant "Ne voyez-vous pas le système mafieux qui s'installe ? En effet, les promoteurs influents ne se sont jamais laissés barrer la route des profits. Certains sont à la tête d'organismes officiels ou de quelques bandes qui, aujourd'hui tentent de se partager le territoire à coup d'assassinat. Les constructions sur les rivages constituent des sources de revenus gigantesques. Se placer en travers de leur route, c'est risquer gros. L'île est aujourd'hui au centre d'une guerre pour ses rivages. Une guerre pour les profits qui laisse toute place à une mafia, c'est-à-dire à des organisations criminelles ou non dont les activités illégales reposent sur une stratégie d'infiltration de la société civile et des institutions. Soyez-en convaincu, la gangrène est partout présente malheureusement". Reprenant des citations des deux Préfets précédents qui confirment cette situation alarmante et décrivant comment le crime organisé imprègne la société corse et cherche à imposer ses propres règles."

Pour les membres d'U Levante, "depuis longtemps, une société devient mafieuse si elle accepte que certains citoyens puissent s'enrichir notamment grâce à des complicités d'élus et des services de l'État en violant en toute impunité la loi, en bafouant le principe de l'égalité des Corses devant celle-ci. Aujourd'hui, nul ne peut nier l'existence et l'emprise de système mafieux sur notre île. Ceux de la criminalité organisée comme les pratiques mafieuses de sociétés spéculatrices en matière d'urbanisme avec possible blanchiment d'argent et de spoliation des richesses et des ressources de notre patrimoine naturel. Il est impératif que la légalité soit respectée par tous et que l'État soit garant que la dérive mafieuse ne gagne pas tous les secteurs d'activité. Nous faisons tous partie de l'anti-mafia et agir. Se taire reviendrait à accepter la loi des plus forts et des plus violents pour qu'ils gouvernent la Corse. Pour lutter contre la pérénnisation d'une mafia ici, la Corse a besoin de tous. 
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