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Pour le paléoclimatologue Jean Jouzel : « La Corse est particulièrement vulnérable au réchauffement climatique, il est temps d’agir »


Léana Serve le Vendredi 21 Mars 2025 à 14:49

Paléoclimatologue mondialement reconnu et ancien vice-président du GIEC, Jean Jouzel a partagé son expertise lors de la première édition de Décarbon’Azzione. À l’occasion de cet événement centré sur la décarbonation et l’autonomie énergétique des entreprises, il revient pour Corse Net Infos sur l’impact actuel du réchauffement climatique en France et les actions nécessaires pour limiter son ampleur.



Vous êtes une figure reconnue de la lutte contre le réchauffement climatique. Quel constat dressez-vous aujourd’hui sur la réalité du changement climatique en France ?
Le réchauffement climatique est un phénomène mondial, et la France n’y échappe pas. Si, à l’échelle planétaire, la température moyenne a augmenté de 1,2°C au cours des dix dernières années, en France, cette hausse atteint près de 2°C depuis le début du XXe siècle. Ce phénomène s’est accéléré au cours des cinquante dernières années, avec des événements climatiques extrêmes qui deviennent de plus en plus fréquents. Ces événements incluent des vagues de chaleur à répétition, des sécheresses prolongées et des périodes de précipitations particulièrement intenses. Ce réchauffement est plus important dans les régions continentales que sur les côtes, ce qui est logique, puisque les terres se réchauffent plus que la moyenne mondiale.

Quels impacts du changement climatique peuvent être observés en France et en Corse, et lesquels sont les plus préoccupants ?
Les impacts du réchauffement climatique sont multiples et se manifestent par des vagues de chaleur de plus en plus fréquentes et intenses. Ces vagues de chaleur entraînent des périodes de sécheresse, qui affectent gravement les ressources en eau. Bien que l’hiver dernier ait été épargné par ce phénomène, la tendance des dernières années montre une baisse des précipitations, notamment autour du pourtour méditerranéen. En parallèle, nous observons des événements climatiques plus violents, tels que des précipitations torrentielles, augmentant les risques d’inondations. En Corse, les vagues de chaleur se sont multipliées ces dernières décennies, avec 35 vagues de chaleur répertoriées depuis 50 ans, dont une trentaine depuis les années 2000. Ce phénomène est d’autant plus préoccupant en raison de son impact sur la gestion des feux de forêt. La chaleur, combinée à la sécheresse et au vent, favorise l’extension des incendies, rendant leur maîtrise plus difficile. L’élévation du niveau de la mer, déjà de 20 cm dans certaines régions côtières, est également un enjeu crucial pour les zones basses. De plus, la biodiversité et les écosystèmes, notamment en Corse, sont très vulnérables au réchauffement, avec des effets notables sur la flore et certains insectes.

La Méditerranée se réchauffe 20 % plus vite que la moyenne mondiale. Quelles sont les conséquences directes que l’on observe déjà et celles qui risquent d’arriver dans les années à venir si rien ne change ?
La Méditerranée connaît un réchauffement particulièrement rapide, ce qui entraîne des précipitations intenses comme celles observées près de Valence. Ces phénomènes sont directement liés à l’augmentation de la température de l’eau, qui a atteint près de 30°C l’été dernier. Ce réchauffement affecte non seulement la météo, mais aussi la vie marine. L’acidification de l’océan, causée par l’augmentation du CO2 dans l’atmosphère, modifie les écosystèmes marins. On observe déjà l’apparition d’espèces tropicales dans les eaux méditerranéennes, ce qui modifie les équilibres écologiques et affecte des secteurs comme la pêche. Les récifs coralliens, particulièrement sensibles, souffrent également de ces changements.

Quels secteurs d’activité sont impactés par le réchauffement climatique en Corse, et comment peuvent-ils agir pour le réduire ?
Les secteurs de l’agriculture et de la viticulture, qui sont particulièrement sensibles aux variations climatiques, subissent des conséquences directes du réchauffement, notamment des sécheresses et des vagues de chaleur plus fréquentes. Cependant, d’autres secteurs, comme le bâtiment, peuvent voir dans le réchauffement climatique une opportunité, en développant des solutions adaptées aux nouvelles conditions climatiques. La transition énergétique est essentielle et doit s’opérer à tous les niveaux, notamment en réinventant nos modes de consommation d’énergie et en développant les énergies renouvelables. Il est aussi important de souligner que les populations les plus vulnérables, souvent les plus modestes, sont les moins équipées pour faire face aux conséquences du réchauffement. La transition énergétique doit donc être équitable, avec une attention particulière aux plus fragiles.

Avons-nous encore réellement les moyens d’inverser la tendance climatique actuelle ou devons-nous surtout nous adapter ?
Inverser la tendance sera difficile, car le réchauffement est déjà en marche. L’objectif maintenant est de limiter ce réchauffement à 2°C, ce qui est indispensable pour que les générations futures puissent s’adapter à un climat moins extrême. Toutefois, cela nécessite des actions rapides et décisives, particulièrement en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Le développement des énergies renouvelables, la sobriété et l’efficacité énergétique doivent devenir des priorités dans tous les secteurs. C’est aujourd’hui qu’il faut agir, car tout ce que nous émettrons jusqu’en 2040 affectera le climat au-delà de 2050. Si nous parvenons à limiter le réchauffement à 2°C, il sera encore possible de s’adapter. Au-delà, les impacts seront de plus en plus difficiles à gérer. Il est également essentiel de commencer à adapter nos infrastructures et nos modes de vie au réchauffement climatique déjà en cours.