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Plaine Orientale : Le dragage du Port de Taverna aurait pollué le Grand Herbier de posidonie avec l’aval de l’Etat !


Nicole Mari le Lundi 12 Juin 2017 à 22:21

Le Littoral de la Plaine orientale n’en finit pas de dévoiler ses blessures. Après l’érosion dramatique qui bouleverse inexorablement le trait de côte, le Collectif Action Littoral révèle une affaire de pollution qui touche le Grand herbier de Posidonies, au large du port de Taverna sur la commune de Santa Maria Poghju. Comme tous les ports, Taverna subit un fort ensablement qui limite l’entrée des navires (tirant d’eau inférieur à 2 mètres) et effectue régulièrement des opérations de dragage et de clapage. Une étude révèle que, pendant plus de dix ans, les sédiments et plantes mortes ont été rejetés, en toute illégalité, mais avec l’aval des services de l’Etat, dans la zone Natura 2000 du Grand herbier. Sans que l’on connaisse la nature et le degré de toxicité de ces rejets. Le Collectif a saisi l’Exécutif de la Collectivité territoriale de Corse (CTC) qui s’est retourné vers le Préfet de Haute-Corse, réclame des explications et des analyses d’impact et, si besoin, des réparations du préjudice subi. Explications, pour Corse Net Infos, d’Agnès Simonpietri, conseillère exécutive et présidente de l’Office de l’environnement de Corse (OEC).



Le port de Taverna, commune de Santa Maria Poghju.
Le port de Taverna, commune de Santa Maria Poghju.
- Le Collectif Action Littoral dénonce des problèmes dus au clapage du port de Taverna.
De quoi s’agit-il exactement ?
- Des sédiments s’accumulent dans le chenal du port et empêchent les bateaux de rentrer ou de sortir. L’opération de clapage consiste à prélever ces sédiments et à les jeter plus loin. Or, les sédiments, qui ont été dragués dans le chenal du port de Taverna, ont été longtemps déversés, avec l’accord de l’Etat, sur l’herbier de Posidonies. Ce qui est totalement inadmissible car la posidonie est une espèce protégée !
 
- Quels sont les dégâts sur l’herbier ?
- Le fait de rejeter les sédiments sur l’herbier l’étouffe et risque de le tuer. Surtout qu’on parle de quantités importantes, de l’ordre de 10 000 m3 par an. Cela n’aurait jamais du être permis ! Ce n’est pas acceptable et c’est tout à fait illégal !
 
- La responsabilité de l’Etat est-elle engagée ?
- Oui ! C’est une certitude ! L’Etat reconnaît, lui-même, avoir donné des autorisations pour que ces opérations de dragage soient effectuées. Cette pratique a duré très longtemps, au moins une dizaine d’années. La responsabilité de l’Etat est pleine et entière ! Il n’aurait jamais du laisser faire ! Il aurait du vérifier et exiger que les sédiments soient déversés hors de l’herbier de Posidonies. Or, sachant qu’il y avait un risque, il a couvert ces opérations. De plus, il n’a pas diligenté les analyses nécessaires pour déterminer la nature de ces sédiments de dragage. C’est une faute lourde de l’Etat !
 
- Aucune analyse d’impact sur les fonds marins n’a été faite ?
- Quelques analyses l’ont été succinctement. L’une d’elles, réalisée par un bureau d’études, a fait apparaître la pollution. Elle note, je cite : « les sédiments et les plantes mortes sont rejetés directement sur l’herbier. Outre l’enfouissement ponctuel localisé, un panage turbide a été réalisé, parallèlement à la côte, sur des distances assez importantes de part et d’autre du port ». L’étude a observé ce phénomène à plusieurs milliers de mètres du port. Elle conclut : « Le maintien sur une période importante d’une luminosité réduite est de nature à affecter notablement la vitalité de l’herbier de posidonies, le rendant d’autant plus vulnérable à d’autres perturbations ». Cette étude date de 2011.
 
- Avez-vous déterminé la part de l’herbier ainsi endommagé ?
- Non ! L’herbier occupe 23 000 hectares. La pollution est certainement localisée, mais nous ne savons pas sur quelle surface. Nous demandons des comptes à l’Etat. Nous lui demandons, avant tout, de déterminer le préjudice écologique, d’évaluer les dégâts et de réparer sa faute. Le président de la régie du port, que j’ai contacté, affirme qu’aujourd’hui, les pratiques ont changé et que les sédiments sont repoussés plus loin, au-delà du port, à des profondeurs où il n’y a pas de posidonies. Il faut, bien entendu, le confirmer.
 
- Les repousser plus loin, est-ce la bonne solution ?
- Il faut voir ! Une autre possibilité est de remettre ces sédiments en amont pour réalimenter, engraisser la plage au Nord du port qui est en train de disparaître. Mais, il faut, d’abord, vérifier, ce que contiennent les sédiments, leur teneur en métaux lourds et leur nature. Sont-ils uniquement composés de rejets de posidonies mortes ou de la vase de l’intérieur du port ? Il faut impérativement faire des analyses. Nous avons envoyé un courrier au Préfet pour demander des explications, exiger une étude d’évaluation pour vérifier s’il y a des dégâts, éventuellement demander réparation du préjudice.

- Ne connaît-on pas la nature de ce qui est rejeté en mer depuis plus d’une décennie ?
- Non ! On ne connait pas le degré de nocivité des sédiments rejetés. Mais, quoi qu’il en soit, le rejet sur l’herbier de posidonies n’est pas acceptable ! Il faut rappeler que la posidonie est une espèce protégée, classée dans une zone Natura 2000 qui est un habitat communautaire, reconnu par l’Europe comme d’importance majeure. En plus, l’herbier de posidonies protège contre l’érosion du trait de côte. C’est le paradoxe ! Si on ne protège pas cet herbier, si on l’abîme, nos côtes subiront encore plus d’érosion. Il faut impérativement régler cette question et la régler le plus vite possible.
 
- La plage et l’eau peuvent-elles être polluées ?
- On ne sait pas. On manque d’éléments. Tant qu’on n’a pas les résultats d’une étude objective et indépendante, faite par des scientifiques pour déterminer les dégâts, on ne peut rien dire. La seule étude des sédiments, dont on dispose, est celle de 2011. C’est une étude partielle, limitée à la recherche de pollutions aux métaux lourds et aux hydrocarbures. Les résultats n’étaient, à l’époque, pas bons. Les niveaux de chrome, de cuivre, de nickel et de zinc dépassaient largement le niveau 2 qui est le seuil règlementaire indiqué dans l’arrêté relatif du niveau à prendre en compte lors d’une analyse des rejets des sédiments marins. Le niveau de tribulite (TBT), c’est-à-dire les peintures de bateaux, est plus de deux fois supérieur au niveau 2. Ceci dit, les résultats sont comparables à ceux d’autres ports de Haute-Corse. Néanmoins, ces données ne sont pas suffisantes. Nous avons besoin d’une étude générale pour disposer de résultats précis.
 
- Le classement en zone Natura 2000 n’impose-t-il pas des contraintes strictes ?
- Oui ! Cet herbier est classé comme site européen d’intérêt communautaire depuis 2009. Des documents d’objectifs  (DOCOB) sont validés pour essayer de le préserver. Un diagnostic a été établi, il en a découlé un certain nombre de « fiches actions » validées par un Comité de pilotage dédié, dont deux concernant le port de Taverna. Une fiche préconise la gestion intelligente des rejets de dragage, une autre propose d’équiper le port avec des outils permettant de récupérer des eaux noires, grises… de façon à en faire un vrai port propre.
 
- Qui gère ce site Natura 2000 ?
- Jusqu’à présent, personne ! Il n’y avait pas de gestion sur cette zone. Le DOCOB a été validé en mars dernier, il a fallu, ensuite, choisir un animateur. Etant donné l’importance fondamentale de ce grand herbier de la Plaine orientale dans la lutte contre l’érosion, le réchauffement climatique et le maintien de la biodiversité, l’Office de l’environnement s’est positionné pour agir, comme il le fait désormais sur les sites d’importance territoriale : il en sera, donc, l’animateur. Ce grand herbier est un trésor national ! Il y en a beaucoup en Corse, mais celui-là est majeur.
 
- En quoi l’est-il ?
- Les posidonies piègent le carbone, encore mieux que les forêts : un hectare de posidonies piège jusqu’à 1 200 tonnes de carbone pendant près de 5 000 ans, quand un hectare de forêt n’en piège que 150 à 400 tonnes pour 60 ans... Ces herbiers constituent un atout décisif contre l’accélération des dérèglements climatiques. Cependant, comme l’Office ne dispose pas, pour l’instant, des sommes nécessaires pour mettre en œuvre les fiches actions, il faudra trouver des financements et des cofinancements. Pour aménager le port de Taverna en « port propre », l’Europe offre des possibilités de financements européens comme le FEAMP (Fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche). Nous comptons travailler conjointement avec la régie du port pour régler ce problème définitivement. Le port est, aujourd’hui, un élément économique incontestable pour la région, il faut en tenir compte.

- Le Collectif Action Littoral estime que le port de Taverna est un élément clé de l’érosion du trait de côte en Plaine Orientale. Comment appréhendez-vous cette problématique ?
- Il faut, effectivement, replacer le problème du port de Taverna dans la problématique plus globale de l’érosion du trait de côte qui ne touche pas seulement la Plaine Orientale, mais également le littoral de Porti-Vechju ou de Calvi. Tous les problèmes majeurs d’érosion, auxquels nous sommes confrontés et qui s’accélèrent, ne peuvent être traités partiellement. Quatre cellules hydro-sédimentaires ont été répertoriées le long de la côte. Elles fonctionnent, en quelque sorte, de façon « indépendante », mais notre seule certitude est leur fragilité, comme le montrent les tempêtes ! Dès que l’on touche un endroit, les effets se font sentir à côté ou un peu plus loin. Il faut, donc, reconsidérer tous ces problèmes dans une gestion globale du trait de côte, ce qui a manqué jusqu’à présent. Pour aller vite et bénéficier des financements existants, nous proposons la création d’un groupement d’intérêt public (GIP), comme cela s’est fait pour le littoral en Aquitaine.
 
- N’était-il pas question de créer un syndicat mixte ?
- Oui ! Mais, sa création traine en longueur et rencontre des résistances parce que c’est une structure lourde et compliquée à gérer. Alors que le GIP est plus souple. Il peut être créé par un simple arrêté préfectoral. Ce serait, dans un premier temps, un partenariat entre la CTC -et certains de ses offices et agences : OEC, AUE (Agence d’aménagement durable, de l’urbanisme et de l’énergie), ATC (Agence de tourisme de la Corse) - qui souhaite avoir une vision et des actions globales sur la totalité du littoral corse, et l’Etat pour élaborer et porter, ensemble, un plan de gestion. Y seraient bien sûr associés, dans un Conseil d’orientation élargi, tous ceux qui sont concernés : les intercommunalités, le Conservatoire du Littoral, les professionnels du tourisme, les associations de défense de l’environnement… Ce GIP permettrait de compléter les études scientifiques et, à partir de celles-ci, d’envisager des travaux en conséquence, là où ils s’avèreraient nécessaires.
 
- Si l’Etat accepte, cela pourrait-il aller très vite ?
- Oui ! Des études pourraient être engagées dès la création du GIP. Des fonds sont prévus, à cet effet, dans le cadre du FEDER (Fonds européen de développement économique régional). Il faut agir rapidement parce qu’il y a une vraie détresse sociale des riverains et un risque très important pour notre économie touristique, qu’il faut absolument prendre en compte. L’Office, le BRGM (Bureau de recherche géologique et minière) et les services de l’Etat travaillent depuis plus de 15 ans sur le suivi du trait de côte et disposent d’études d’évolution sur des temps longs. Mais, on ne pourra faire des travaux pour gérer l’érosion, là où il y a besoin, que si on met, d’abord, en place un plan global d’aménagement du trait de côte. C’est une condition de l’utilisation des fonds européens.
 
- Pourquoi ces études sont-elles restées sans effet ? Aucune action n’a été engagée ?
- Non ! Le dossier de l’érosion sur la côte orientale n’a jamais été géré ! Ni par l’Etat, ni par nos prédécesseurs à la CTC. On est resté bloqué à l’étape du constat et d’autorisations au cas par cas pour des travaux d’urgence – je dirai de « bricolage ». On est loin du compte ! Je le répète : il faut une prise en compte globale ! Notre ambition, en tant qu’Exécutif territorial, est de gérer ce dossier et de mettre en œuvre des actions. On ne peut plus se contenter d’agir au coup par coup ! Il faut vraiment avoir une vision globale des choses parce que tout marche ensemble.
 
- Comment expliquez-vous que, dans une île, un tel problème ait été laissé en suspens ?
- Cela fait partie des nombreux dossiers difficiles qui n’ont pas été gérés. On en découvre, encore, tous les jours !
 
Propos recueillis par Nicole MARI.
 

Agnès Simonpietri, conseillère exécutive et présidente de l’Office de l’environnement de Corse (OEC).
Agnès Simonpietri, conseillère exécutive et présidente de l’Office de l’environnement de Corse (OEC).