Corse Net Infos - Pure player corse

Petr’Anto Tomasi : « Le statut d’autonomie est la clé pour répondre aux préoccupations quotidiennes des Corses »


Nicole Mari le Dimanche 18 Février 2018 à 00:01

La toute nouvelle Commission pour l’évolution statutaire de la Corse, créée par délibération le 2 février dernier, s’est réunie, vendredi après-midi, pour discuter du rapport Wanda Mastor. Un entretien de deux heures en visioconférence avec le professeur de droit constitutionnel qui a rédigé à la demande du président de l’Assemblée de Corse, Jean-Guy Talamoni, une argumentation scientifique en faveur d’un nouveau statut constitutionnel pour l’île. Explications, pour Corse Net Infos, de Petr’Anto Tomasi, président du groupe Corsica Libera à l’Assemblée de Corse et de la Commission pour l’évolution statutaire.



Petr’Anto Tomasi, président du groupe Corsica Libera à l’Assemblée de Corse et de la Commission pour l’évolution statutaire.
Petr’Anto Tomasi, président du groupe Corsica Libera à l’Assemblée de Corse et de la Commission pour l’évolution statutaire.
- Quel était l’enjeu de la réunion ?
- D’abord deux éléments de contexte. Dès le début du mois de janvier, alors que nous savions que le gouvernement allait ouvrir des discussions avec la Corse au sujet d’une révision constitutionnelle, le président de l’Assemblée de Corse, Jean-Guy Talamoni, a commandé au professeur Mastor un rapport scientifique visant à éclairer les élus sur les enjeux de la réforme constitutionnelle et à dégager des pistes de réflexion. Ce rapport a été transmis, dès réception, aux élus, mais nous n’avons pas eu l’occasion de le leur présenter. Nous avons, donc, à cet effet, réuni la Commission pour l’évolution statutaire, élargie à d’autres élus, notamment ceux de la Commission des compétences législatives et règlementaires, en présence de Wanda Mastor. Second élément, cette présentation intervient quelques heures à peine après la réunion de Paris avec Mme Gourault, qui, de l’avis général, a été constructive et a permis de dégager des orientations communes à l’ensemble de la classe politique corse. Il était important de prolonger nos réflexions.
 
- Quelles pistes de réflexion se dégagent de ce rapport ?
- Le professeur Mastor a présenté son rapport tout en précisant qu’à ce stade des opérations, il était nécessaire de l’actualiser, notamment au regard de l’actualité politique, de la position d’Emmanuel Macron qui a acté l’inscription de la Corse dans la Constitution, indépendamment du dispositif qui sera ensuite consacré, et de la réunion de mardi où un certain nombre de positions ont été exprimées. Mme Mastor nous confirme deux éléments. Le premier est que le droit à la différenciation, aujourd’hui proposé à l’ensemble des régions de droit commun, ne permet pas de régler un certain nombre de nos demandes. Notamment la fiscalité du patrimoine, les anciens Arrêtés Miot, qui fait l’objet d’une demande unanime des élus de la Corse. Il faut aller vers un dispositif spécifique permettant le transfert de cette compétence et pérenniser un régime qui correspond aux besoins des Corses.
 
- Et le second élément ?
- Le professeur Mastor nous dit, eu égard à l’expérience et à son expertise juridique, que l’idée d’une habilitation au cas par cas pour pouvoir intervenir dans le domaine de la loi, c’est-à-dire pour légiférer, ne fonctionne pas. En cause notamment, les pesanteurs du système bureaucratique, mais également les lenteurs du régime parlementaire. Il faudrait donc une habilitation permanente ou directe, c’est-à-dire lister les matières dans lesquelles l’Assemblée de Corse peut intervenir directement et légiférer. Cet élément, qui a déjà été soulevé par beaucoup lors de la réunion de Paris, nous semble important pour obtenir un statut qualitatif permettant de répondre aux préoccupations concrètes des Corses. Ce qui n’empêche pas que le cadre soit fixé par la Constitution et la loi organique qui vient derrière.
 
- Quel exemple permet d’affirmer que l’article 72 ne fonctionne pas ?
- En Guadeloupe, en Martinique ou en Guyane où ce dispositif existe depuis 15 ans, il y a très peu d’habilitation au cas par cas. Des propositions importantes ont été rejetées par le Parlement qui dispose d’un contrôle d’opportunité de ces mesures. Les élus d’Outre-Mer et les spécialistes de droit constitutionnel expliquent que ce dispositif est tellement complexe qu’il est plus simple, même si ce n’est pas satisfaisant, de demander à un député de déposer un amendement ou une proposition de loi.
 
- N’est-ce pas aussi la conclusion de la réunion de Paris ?
- En clôture de réunion, Mme Gourault a dit avoir entendu notre position sur le fait que l’habilitation n’est pas une bonne solution, qu’elle ne fonctionne pas dans le cadre du statut actuel de la Corse. C’est ce qu’avait relevé en son temps la Commission Chaubon : 40 demandes, 38 non réponses et 2 refus. Nous avions aussi le sentiment qu’elle ne fonctionne pas à l’article 73 pour les départements et régions d’Outre-Mer. Mme Gourault dit entendre notre demande de travailler sur une habilitation générale. Il nous a semblé opportun de croiser cette analyse politique avec une analyse juridique, d’autant que, du côté de l’opposition, un certain nombre de groupes souhaitait savoir si c’était bien le principe de l’habilitation au cas par cas qui ne fonctionnait pas, ou si le précédent statut de la Corse était imparfait. Aujourd’hui, les deux analyses nous amènent à revendiquer une habilitation directe, un pouvoir de légiférer dans le domaine de la loi sans passer par le filtre du Parlement.
 
- Quel article propose le professeur Mastor pour l’inscription de la Corse dans la Constitution ?
- Dans son rapport, elle propose l’article 74-2. Cela rejoint la position de la majorité territoriale parce que c’est un article spécifique. Il s’agit pour nous d’inscrire la Corse dans l’environnement de l’article 74 parce qu’à l’heure où nous parlons, c’est le seul qui permet de reconnaître un vrai statut d’autonomie pour les collectivités, c’est-à-dire la capacité dans une liste de matières déterminées à intervenir dans le domaine de la loi. C’est aussi l’article qui permet de prendre des mesures spécifiques en matière de foncier ou de fiscalité. C’est, donc, en termes de logique constitutionnelle, l’article le plus approprié. En revanche, comme nous l’avons dit à la réunion de Paris, nous voulons privilégier les points d’accord plutôt que les points de blocage, mais sans rien renier à nos demandes. Nous ne sommes pas bloqués sur un article de la Constitution. Nous souhaitons que ce que nous prônons en termes de contenu soit inscrit dans un article spécifique. Pour l’heure, plutôt que de parler d’articles, nous essayons de nous mettre d’accord sur le contenu, c’est-à-dire sur la nature de nos pouvoirs et sur les matières qui pourraient être transférées à l’Assemblée de Corse.
 
- Comment l’opposition, favorable à l’article 72, a-t-elle réagi à l’intervention de Mme Pastor ?
- Les discussions ont été très riches et très constructives. L’avantage de la démonstration de Mme Pastor a été de lever un certain nombre d’incompréhensions, parfois d’approximations. L’article 72 est un article de droit commun, le droit à la différenciation pour toutes les collectivités. En revanche, un article 72-5 ou – 6, ou – 7, serait un article spécifique, comme l’article 74-2. Nous n’avons pas intérêt les uns et les autres à brandir des articles de la Constitution comme des totems ! Mais plutôt à dire comment nous concevons le dispositif constitutionnel et le statut d’autonomie. De ce point de vue-là, nous avons avancé. Il me semble que l’opposition a pris en compte que le système d’habilitation au cas par cas ne fonctionnait pas. De façon unanime, les élus corses ont cherché à écarter des pistes qui seraient inopérantes. Je crois, mais cela demandera à être vérifié, que nous avons, tous, globalement la volonté d’aller vers un dispositif efficace.
 
- Quelle sera la prochaine étape ?
- Ce sera d’identifier de façon plus précise les matières et les champs de compétences dans lesquels nous demandons à voter des lois pour les adapter à la Corse. L’enjeu, au-delà des postures idéologiques, est de dire que, comme nous sommes une île-montagne faiblement peuplée, - ce qui est déjà reconnu par la loi française depuis la loi Montagne -, de nombreuses lois générales dans de nombreux domaines sont inadaptées à la situation de la Corse. Il est, donc, normal dans ces domaines-là de pouvoir fixer directement à l’Assemblée de Corse les règles générales qui s’appliquent dans l’île. Cette vision des choses nous fait dire que le statut d’autonomie que nous demandons est la clé pour répondre aux préoccupations quotidiennes des Corses dans les domaines économique, social et culturel.
 
Propos recueillis par Nicole MARI.