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Parcours de femme : Julie Benetti, rectrice, liberté et émancipation


Florence Vandendriessche le Vendredi 8 Mars 2019 à 09:30

« Il n’y rien de plus difficile que de parler de soi ». Premiers mots de Julie Benetti, rectrice de l'académie de Corse, qui s’est prêtée à ce rendez-vous en tête à tête et s’est exprimée sur son parcours de vie, d’étudiante, sur la notion de liberté, sur l’éducation, la parité des sexes, sur ses fonctions, ainsi qu’en cette journée internationale des droits des femmes, sur la cause féminine, la condition de la femme, des femmes. C’est en toute intimité qu’elle a reçu CNI.



Julie Benetti, Rectrice de l'Académie de Corse. Photo : Michel Luccioni
Julie Benetti, Rectrice de l'Académie de Corse. Photo : Michel Luccioni
- Saviez-vous que lorsque l’on présentait Mme la Rectrice, il s’agissait de la femme de Monsieur le Recteur ? :
- [ rire ] Oui tout à fait ! La féminisation du titre était réservée à l’épouse de celui qui était en titre et en fonction. Et cela a bien changé ! 

- Qu’est-ce que cela représente pour vous d’arriver sur un poste comme celui-ci, en tant que femme ? En tant que personne ?
- En tant que personne oui, mais assez peu en tant que femme finalement. Je dirais surtout en tant que corse. Je suis corse et le fait d’avoir été nommée en Corse, est pour moi le plus important, bien loin devant le fait d’être une femme ayant accès à un poste à responsabilité et d’autorité. C’est ce qui est le plus essentiel. Absolument. Jusqu’à ma nomination, j’avais une relation familiale avec la Corse. Depuis cette première, est venue s’ajouter une relation de nature très différente puisque j’y exerce des fonctions publiques dans l’intérêt de la jeunesse corse. Je suis originaire par mes deux parents de l’Alta Rocca. Je viens en Corse depuis toujours, j’y suis même née. J’ai grandi en région parisienne et je passais toutes mes vacances étant enfant au(x) village(s). La Corse a toujours représenté pour moi la liberté et l’émancipation. Ce qui me semble aussi important, c’est qu’à travers une nomination telle que la mienne, on puisse convaincre les jeunes filles aujourd’hui que le pouvoir n’a pas de sexe et que ces postes - qui autrefois étaient entièrement réservés aux hommes - peuvent tout à fait être exercés par des femmes et qu’elles ne l’exercent pas différemment des hommes. On projette sur les filles certaines représentations dont elles sont ensuite « encombrées » tout au long de leur vie. Ce sont ces représentations-là qu’il faut casser.
 
- La femme en Corse ?
- Je pense que la société corse est une société matriarcale, les femmes ont toujours exercé un pouvoir peut-être souterrain mais bien réel même si essentiellement relié à la sphère domestique, cela étant je crois que les femmes en corse ont toujours été des femmes de pouvoir. »

- Que pensez-vous de l’engagement ? Familial, social, professionnel... ?
-  Une valeur… une vertu même que l’on doit cultiver chez les jeunes.
C’est dépasser à mon sens, le simple point de vue personnel de celui qui s’engage, c’est dépasser ses intérêts personnels et subjectifs, s’engager pour une cause qui nous dépasse et qui n’est donc pas réductible à la défense de ses propres intérêts, c’est le contraire de l’individualisme. 
 
- Qu’est-il fait en matière d’équité fille/garçon à l’école ?
- L’éducation, c’est aussi et peut-être d’abord celle de la citoyenneté. Les enfants dès le plus jeune âge sont sensibilisés par la problématique essentielle de l’égalité des droits entre les filles et les garçons. Les savoirs fondamentaux à l’école sont : lire, écrire, compter, respecter autrui. Et respecter autrui, c’est déjà se respecter soi et c’est aussi respecter l’autre dans sa différence. Nous sommes très attentifs au fait que dès l’enfance, les filles et les garçons sachent qu’ils ont rigoureusement les même droits. Par ailleurs, l’Éducation Nationale et notamment l’Académie de Corse, a noué de nombreux partenariats pour promouvoir cette égalité et pour essayer de déconstruire les représentations, les projections liées aux sexes. Je crois que cette éducation se fait évidemment dans la famille, avant toute chose mais l’école est un relais très puissant. Nous avons participé à une simulation de procès, inspiré de faits réels, de violences exercées sur une femme par son conjoint. Un procès qui a été joué par des élèves de seconde, au Tribunal de Grande Instance d’Ajaccio où chacune et chacun ont joué un rôle. Le but était d’attirer l’attention des élèves sur ce fléau social.
 
- Pensez-vous que les mœurs évoluent ?
- Oui. Évidemment si vous regardez de près, il y a encore des postes à responsabilité à l’université, des présidents, vice présidents, Des postes au CNRS de directeur de recherche. Vous vérifierez qu’il y a encore une surreprésentation très marquée des hommes…. C’est vrai. N’empêche que l’enseignement supérieur qui était une terre d’élection des hommes, en l’espace de vingt ans a vraiment changé à ce niveau. Cela me donne beaucoup d’espoir pour la suite. Par exemple : lorsque j’ai commencé mes études de droits, j’avais simplement un seul professeur qui était femme. Oui. Dans cette même université, où j’ai été plus tard professeure, nous avions en l’espace de vingt ans atteints sinon une vraie parité, en tous les cas, une présence significative de professeures femmes et de surcroît dans le domaine du Droit ! Le mouvement de la libération de la femme est passé par là. Il y a eu des combats très importants, je pense notamment à celui de la contraception en 1967. Le pouvoir économique, il y a une quarantaine d’année, il fallait encore une autorisation pour ouvrir un compte en banque. Il y a des évolutions marquantes par le combat. Je crois que ce dernier doit être conduit avec les hommes, je ne crois pas à un combat contre les hommes. Et il y a beaucoup d’hommes qui se mobilisent pour les femmes. 

 - Quelque chose à dire qui vous tient à cœur ?
-  Dans mon ancienne vie, j’écrivais des livres . Il se trouve que j’ai participé à un ouvrage collectif sur Les grands discours de la culture juridique, dans lequel j’ai commenté le discours de Simone Veil sur l’IVG dont voici un extrait (P.625) :
« Lorsque cet après-midi du mardi 26 novembre 1974, Simone Veil monte à la tribune de l’Assemblée Nationale pour défendre le projet de loi relative à l’interruption volontaire de grossesse, l’hémicycle qui lui fait face, est composé à plus de 98 % d’hommes. Les deux mains posées à plat sur le pupitre, les cheveux relevés en chignon, la voix calme et claire, elle présente aux regards des Élus de la Nation, une féminité élégante sobre dont elle fait d’emblée son atout. C’est comme Ministre de la santé, femme et non parlementaire, qu’elle prend la parole devant cette assemblée […] et lui fait partager, quoi qu’elle s’en excuse, une conviction de femme : aucune femme n’a recours de gaîté de cœur à l’avortement, il suffit d’écouter les femmes. »

- Quels mots vous viennent-ils à l'esprit pour cette journée internationale des droits des femmes ?
Émancipation, solidarité, liberté, pouvoir et responsabilité. 

- Des figures féminines ?
- Jacqueline de Romilly, Simone Veil, et figure plus ancienne : Olympe de Gouge.

- Une citation ?
« On ne naît pas femme, on le devient. » de Simone de Beauvoir.

Photo : Michel Luccioni
Photo : Michel Luccioni
- Que conservez-vous de votre parcours à l’université ?
- L’université m’a structurée. Mon parcours universitaire est un long parcours. J’ai fait de longues études dès 18 ans qui m’ont menée au Doctorat à l’âge de 28 ans. Ensuite, j’ai préparé le concours d’agrégation de Droit Public. Je crois profondément au fait que l’université est l’école de la vérité, il y a une exigence de vérité dans le cadre de toute recherche scientifique. Ensuite c’est aussi une école d’humilité parce que notamment lorsque vous engagez un travail de Doctorat vous êtes face à vous-même. Les seules limites que vous rencontrez, ce sont les vôtres. 

- C'est-à-dire ?
- Lorsque j’ai choisi d’intégrer la faculté de Droit, j’avais très envie d’intégrer l’université, c’était pour moi un espace de liberté. Ce qui s’est vérifié. Au sortir du lycée, j’avais le sentiment que l’université pourrait me l’offrir. Cela s'est vérifié. Plusieurs disciplines m’intéressaient, les Lettres, l’histoire, l’économie, le Droit et je me suis dirigée vers le Droit en me disant que c’était sans doute l’une des disciplines qui me permettait de garder le plus grand nombre de portes ouvertes, puis le Droit m’a passionné. Sans doute aussi parce que j’ai toujours eu un intérêt particulier pour la vie publique depuis l’adolescence et qu’à travers le Droit, j’avais l’impression qu’on me donnait des clefs de compréhension.