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"Omerta" sur Canal+ : "l'histoire de la Brise de mer concerne toute une génération" de Corses


le Samedi 3 Juin 2023 à 15:07

Diffusée depuis mi-mai sur Canal+ et accessible en replay sur MyCanal, Omerta", la série documentaire de quatre épisodes de 52 minutes produite par Patrick Spica productions effectue un retour sur l’épopée du célèbre groupe mafieux qui a longtemps fait parler de lui en Corse. Son réalisateur, Franck Guérin nous en dit plus.



Image : "Omerta, le gang de la Brise de Mer", Patrick Spica Productions
Image : "Omerta, le gang de la Brise de Mer", Patrick Spica Productions
- Comment est né ce projet ?
- Au départ, c’est un projet qui a été initié par Patrick Spica Productions. Cette boîte de production a porté ce projet à la chaîne Canal + et cette dernière a proposé mon nom pour réaliser ce documentaire. Je connaissais un peu la Corse à travers un autre projet que j’avais précédemment fait sur ce qu’a été l’île pendant la 2ndeGuerre mondiale, c’est-à-dire le porte-avions de l’armée américaine pour aller frapper l’Italie, puis organiser le Débarquement de Provence plus tard. J’ai fait un documentaire sur ce sujet à travers les visites des épaves autour de la Corse. 
 
- Est-ce que vous connaissiez l’histoire de la Brise de mer avant de commencer ce travail ?
- Pas beaucoup, mais cela se passe souvent ainsi. La préparation de ce documentaire a duré trois ans. Trois ans c’est long pour faire un documentaire de 4 x 52 minutes. Normalement on prend moins de temps en télé. Mais c’est ce qu’ont permis la chaîne et le producteur, car c’est le temps qu’il fallait passer pour faire une enquête. Il a fallu d’abord que je comprenne beaucoup de choses sur la Corse elle-même, donc j’ai énormément lu, j’ai rencontré beaucoup de monde. Je suis féru d’histoire, donc j’avais déjà suivi ce qui s’était passé en Corse, mais avant de me lancer à corps perdu dans ce projet, j’ai d’abord essayé d’apprendre le maximum de choses. Il m’a fallu avoir un bagage suffisamment important et puis passer du temps avec des amis corses pour qu’ils me racontent comment c’était à la fin des années 1970 ou dans les années 1980 afin d’essayer de comprendre. J’ai essayé d’appréhender tout cela avec beaucoup de modestie et d’humilité avant de véritablement me lancer dans une enquête. 
 
- Qu’est-ce qui vous a séduit dans ce projet ?
- Je pense que de prime abord, on peut considérer que la vie de ceux qu’on appelle les grands voyous a quelque chose d’absolument hors norme. C’est évidemment pour cela qu’on s’intéresse et qu’on adore les films de Scorsese ou de Coppola. Ce sont des vies accélérées à tous les niveaux, des vies violentes, dangereuses, faites d’adrénaline où la trahison se finit souvent très mal. C’est une forme d’effet loupe de nos propres vies.

Image extraite d' "Omerta, le gang de la Brise de Mer", Patrick Spica Productions
Image extraite d' "Omerta, le gang de la Brise de Mer", Patrick Spica Productions
- Ce projet, vous l’avez dit, a mis trois ans pour aboutir. Peut-être aussi le laps de temps qu’il a fallu pour convaincre certains de témoigner dans une île où l’omerta, justement, est toujours présent ?
- Oui, le temps le plus long a été d’essayer de convaincre un peu tout le monde de témoigner : les magistrats, les avocats, les policiers aussi. Pour cela, il a fallu vraiment expliquer quelle était notre démarche, en l’occurrence ne pas rechercher du sensationnel même si le sujet l’est par lui-même-, ne pas rechercher nécessairement du scoop ou des révélations fracassantes, mais chercher à raconter une histoire. Effectivement, c’est ce temps-là qu’il a fallu pour que par capillarité un certain nombre de gens se disent que puisque j’avais parlé à untel, peut-être qu’eux aussi pouvaient s’intéresser à ce projet. En Corse, le bouche-à-oreille fonctionne très bien et donc rapidement l’information a circulé qu’un film se faisait sur la Brise de mer. Après, cela a été compliqué évidemment par rapport aux gens qui ont pu être proches du gang, d’ailleurs dans le documentaire. D’ailleurs la plupart de ceux qui ont accepté de témoigner le font à visage masqué, parfois avec des voix déformées pour être totalement anonymes. Et puis, le plus gros du travail a été souterrain, c’est-à-dire toutes les rencontres que j’ai pu faire et qui n’ont pas abouti à une interview filmée ou enregistrée, mais qui ont donné lieu à de longues conversations, notamment avec un certain nombre de personnes qui ont pu être proches à un moment donné du gang de la Brise de mer et qui m’ont parlé de ce qu’ils avaient vécu. C’est quelque chose d’important pour le documentaire, qui a permis d’aller dans le détail sur certaines affaires.
 
- Pour parler de l’histoire la Brise de mer, vous avez choisi un format à mi-chemin entre le témoignage et la fiction. Un format idéal pour parler de faits encore sensibles ?
- Oui, parce que la difficulté c’est qu’à un moment donné il faut avoir des passages où l’on peut illustrer des choses qui ne sont pas très simples à raconter. Pour transmettre ces informations aux téléspectateurs, mais aussi pour qu’ils aient la sensation qu’on leur raconte une histoire et pas simplement qu’on est dans une somme de faits, nous avons fait ce choix d’évocations fictionnées. Nous avons aussi fait ce choix pour une raison assez simple, c’est qu’il y a très peu d’images de la Brise de mer. Tout ce qui n’existait pas à l’image, nous avons donc essayé de le nourrir avec ces parties de fiction qui ne sont en réalité présentes que pour accompagner le propos qui, lui, vient du réel.

- Depuis la sortie de votre documentaire, on entend beaucoup de téléspectateurs en Corse dire qu’à travers lui ils ont l’impression de revivre cette époque. Au-delà de simplement compter l’histoire de la Brise de mer, votre but était-il aussi quelque part de traduire la réalité historique de la Corse dans ces années ?
- Je suis très heureux de l’accueil en Corse. Cette histoire n’est évidemment pas que du fait divers. Elle traverse l’histoire de l’île et en particulier de la Haute-Corse. C’est une histoire qui concerne toute une génération parce que le gang de la Brise de mer a eu une influence sur le politique, il a accompagné la vie économique de l’île de gré ou de force. J’utilise cette formule, car à un moment dans le documentaire, il est bien raconté par une journaliste corse, Marie-Françoise Stefani, qu’à Bastia au Café Riche, la Brise de mer avait son bureau où elle recevait les doléances de la population, et où certains venaient même emprunter de l’argent. À partir du moment cela existait, il y avait une forme de dépendance à la Brise de mer. Ce qui fait que c’est très compliqué. J’ai rencontré des gens qui m’ont dit que la Brise de mer n’a pas fait que du mal, mais aussi du bien. Cela interpelle et interroge, mais ils racontent que quand les banques ne voulaient pas prêter d’argent, ils allaient voir les gars de la Brise qui eux leur prêtaient, sans que cela donne toujours lieu à une contrepartie. Cette histoire raconte une certaine interpénétration entre l’histoire d’un gang criminel et la société civile corse avec au milieu un État français qui ne fait pas grand-chose, il faut bien le dire. Il s’évertuait sans doute plus à s’occuper des nationalistes corses. 
Image extraite d' "Omerta, le gang de la Brise de Mer", Patrick Spica Productions
Image extraite d' "Omerta, le gang de la Brise de Mer", Patrick Spica Productions