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Nanette Maupertuis : « Aleria, c’est l’histoire de la Corse, de tous les Corses, de quelque bord qu’ils soient »


Nicole Mari le Vendredi 22 Août 2025 à 17:30

Ce 22 août 2015, la Corse commémore le cinquantième anniversaire des Evènements d’Aleria. Dans une tribune adressée à CNI et intitulée « Aleria, 50 ans d’histoire partagée », la présidente de l’Assemblée de Corse, Nanette Maupertuis, livre son sentiment sur cet évènement majeur de l’histoire contemporaine insulaire. Voici l’intégralité de sa tribune.



Nanette Maupertuis, présidente de l'Assemblée de Corse. Photo Paule Santoni.
Nanette Maupertuis, présidente de l'Assemblée de Corse. Photo Paule Santoni.
Aleria, 50 anni fà. Ùn ci pare mancu vera… Un mezu seculu è pare eri !
A Corsica di st’epica ùn c’hè più. Mà simu parechji à sapè ciò che no eramu tandu. Un paese sminticatu, un locu tralasciatu. Un populu nigatu.
È Aleria hà datu un visu è un nome à u nostru malessere.
Aleria n’hè diventata u simbulu. U simbulu di a nostra lotta contru à l’inghjustizia. U simbulu di a nostra voce chì ribomba. U simbulu di u nostru riscattu. Quellu di un populu chì vole esse, chì vole campà.
 
« Quel’ venneri d’aostu si discitò la storia » dice a canzona di Canta u Populu
Corsu… »
Ces paroles contiennent toute l’intensité de ce qui s’est joué ce 22 août à la cave Depeille.
Un sursaut, un réveil, une rupture. Un moment fondateur pour certains. Un révélateur pour d’autres. Mais dans tous les cas, Aleria est, et restera, cet instant où tout a basculé.
Et dire cela, ce n’est en rien nier ce qui a été avant, et ce qui viendra après. C’est redonner une centralité à un moment significatif dans une histoire collective. Un moment fait de drames et d’espoir, un moment presque banal qui devient historique.
 
Alors comment célébrer et honorer cela avec les « bons » mots ?
Parler d’Aleria c’est certes parler du réveil d’un peuple, des prémisses d’une lutte de plusieurs décennies, d’une jeunesse pleine de fougue et d’espoir. Mais c’est aussi parler de la mort qui s’invite pour la première fois dans ce combat contemporain. Alors quand espoir et mort se côtoient, il nous faut – et de ce point de vue, notre histoire aura à bégayer à plusieurs reprises – en parler avec pudeur.
Et à défaut d’avoir les mots justes, surtout pour ceux qui ont vécu dans leur chair Aleria et les événements qui suivront, essayons de poser, en toute humilité, une juste intention : celle de resituer Aleria au bon niveau d’appréciation dans notre histoire et notre mémoire collectives.
Pas celles des nationalistes, pour qui cela ne fait aucun doute, que l’on ait été autonomiste ou indépendantiste, que l’on ait choisi ou non la voie légale, nous, nous savons déjà comment et pourquoi Aleria a irrigué notre chemin. Pas uniquement celles des nationalistes en effet, car il s’agit de l’histoire de la Corse et des Corses.
 
Or, l’histoire procède par bifurcations : elle est faite d’une succession de faits banals de laquelle surgissent des évènements qui concentrent, à eux seuls et à la fois, la singularité de l’action humaine entreprise, la perception que les contemporains en ont et, très vite, le sentiment que « rien ne sera plus comme avant ». Stefan Zweig développe cette idée dans « Les Très Riches Heures de l'humanité », paru pour la première fois en 1927. Il y écrit que ces « événements clés » sont des instants « d'une grande concentration dramatique, porteurs de destin, où une décision capitale se condense en un seul jour, une seule heure et souvent une seule minute ». À l’instar des grandes heures de l’humanité, mais à l’échelle de notre propre destinée, sachons légitimement considérer qu’Aleria fait partie des « heures étoilées » de la Corse.
À la fois pour cette intensité dramatique qui s’est cristallisée quelques jours après le discours puissant d’Edmond Simeoni, à Corti, le 17 août 1975, dans un chapiteau où la voix d’un peuple gronde. À la fois pour la direction prise, celle d’une lutte qui se structure et prend la forme d’une occupation de cave pour y dénoncer les agissements contraires à l’agriculture corse, la dépossession, l’atteinte aux droits les plus élémentaires.
 
Derrière les bombages « Colons fora », un commando fait d’hommes, jeunes et moins jeunes.
Un instant suspendu qui semble d’ailleurs l’espace d’une nuit, avec les premières heures qui passent, ne pas encore révéler toute la charge symbolique dont il est porteur.
Puis, en une heure, une minute, un instant, tout bascule.
Des gardes mobiles, aux hélicoptères, en passant par les évacuations, et les dernières sommations, c’est tout un peuple qui bascule.
Aleria, c’était la Corse, nous y étions tous.
 
Certes, y étaient les hommes du commando, les militants des environs, mais y étaient aussi les Corses derrière leur poste de radio, ceux qui prirent la route, animés par la volonté de rejoindre les rangs, les anciens éclaboussés par la révolte pour un honneur et une dignité, trop longtemps niés. Même sans y être physiquement, les Corses étaient présents en ce moment d’histoire.
 
Aleria, c’est la réponse tragique d’un Etat face à la question politique corse qui entrainera notre île dans une ère nouvelle, mêlant réflexion, engagement, mobilisations.
 
Aleria, à travers l’occupation d’une cave, c’est la traduction concrète de l’occupation du terrain, de la réappropriation de nos lieux, de nos espaces, de notre identité.
 
Aleria, c’est l’entrée de la Corse dans un temps politique nouveau. Le terreau d’un riacquistu de grande ampleur, l’ouverture d’une période difficile mais riche sur les plans social, politique et intellectuel qui ne sera pas la période des seuls nationalistes mais celle d’un nouvel espace public qui aura à répondre aux aspirations du mouvement national.
 
Que font ces hommes en armes et bleus de Chine ? Ils occupent une cave, dénoncent la colonisation, appellent à la défense des intérêts des Corses, ouvrent la voie du combat pour la reconnaissance de nos droits. Cela n’appartient à personne : c’est l’histoire de la Corse, de tous les Corses, de quelque bord qu’ils soient.
 
Allora à quelli chì si sò pisati in Aleria, è à tutte e generazione di militanti chì si sò pisati dopu, perché Aleria fù, và a nostra gratitudine.
À tutti i morti è i feriti di un cunflittu leghjitimu, una pinsata cummossa.
À tutte e zitelle è tutti i zitelli di stu paese, ch’elli sianu cuscenti di sta storia chi senza storia ùn si pò custruì una sucetà appaciata.
In memoria, incù tanta speranza, à elli tutti la Corsica Regina !