Corse Net Infos - Pure player corse

Livres : «Les Insulés. Exilés politiques en Corse », un épisode peu connu de l’histoire de l'île


Philippe Jammes le Dimanche 21 Juin 2020 à 21:31

L’ouvrage* vient tout juste de sortir des Editions Riveneuve et traite d’un sujet peu connu de l’histoire de la Corse. L’auteur, Antoine Hatzenberger, évoque notamment l’exil politique en Corse de Sidi Mohammed Ben Youssef, futur roi du Maroc sous le nom de Mohamed V, par le pouvoir français dans les années 50.




En 1953, Maroc et Tunisie sont sous protectorat français. Il est alors question d’exiler Habib Bourguiba, le "turbulent" président du parti tunisien de la Nouvelle Constitution, sur l’île de Corse. Mais Sidi Mohammed Ben Youssef, futur roi du Maroc, y est déjà ! Comment le sultan alaouite s’est-il retrouvé, pendant quelques mois, sur la côte septentrionale de l’Île de Beauté avant d’être assigné à résidence, de l’autre côté du globe, sur la Grande Île ? Dans quelles conditions vit-il cet exil ? Quelles traces en reste-t-il ?. C’est un des thèmes du livre d’Antoine Hatzenberger, ancien élève de l’ENS de Fontenay-Saint-Cloud, agrégé et docteur en philosophie.
Entre souvenirs de souvenirs et documents d’archives, cette enquête personnelle en Méditerranée sur l’exil politique dans les îles et sur les vies parallèles d’hommes illustres explore les histoires insulaires à partir de clichés inédits de la famille royale marocaine en Corse. Chemin faisant, de Rabat à l’Île-Rousse, et jusqu’à Antsirabé en passant par les îlots déserts de la Tunisie, c’est toute une cartographie de la relegatio in insulam qui se dessine : le récit post-colonial de l’exil dans les îles. L’histoire des insulés. Entrecroisant archives diplomatiques et photos d’un policier alsacien, centré sur l’exil de Mohammed Ben Youssef, ce récit établit des parallèles avec les années de détention de Habib Bourguiba, la peine d’éloignement du philosophe Sénèque et le  règne éphémère du baron de Neuhoff — dans la perspective générale d’une histoire de la  décolonisation au Maghreb et d’une géographie insulaire en Méditerranée…Ce travail a été réalisé grâce au soutien du LabEx COMOD (ANR-11-LABX-0041) de l’Université de Lyon, dans le cadre du programme « Investissements  d’Avenir  »  (ANR-11-IDEX-0007)  géré  par l’Agence Nationale de la Recherche
 
Les Insulés. Exilés politiques en Corse »  Editions Riveneuve - Format : 12,5 x 19 cm - Pagination : 160 pages - 11 photos inédites - Prix : 16 €

Cet exil du futur roi du Maroc avait été aussi évoqué par le journaliste Aimé Pietri dans son livre de souvenirs : "Cinquante ans de journalisme en Corse"
extrait :
«Ce fut à l’aube de la décennie, lorsque la Corse reçut un visiteur inattendu : Mohamed v, roi déposé du Maroc, qui venait là avec ses fils et son harem, contraint à l’exil pour avoir soutenu l’Istiqủal principal mouvement indépendantiste marocain, et s’être opposé à la domination française. C’était le 12 février 1953. Mohamed V avait été reçu par le préfet Marcel Savreux au palais Lantivy siège de la préfecture à Ajaccio où il séjourna plusieurs jours avec sa cour avant d’occuper en totalité l'hôtel Le Mouflon d'Or à Zonza qu’il quitta deux mois plus tard : pour l’Île Rousse et l’hôtel Napoléon Bonaparte où il fut installé dans une série de suites se situant dans l’aile sud de l’établissement. Sous surveillance constante, le roi passait beaucoup de temps isolé dans sa chambre ou dans les salons de l'hôtel. Le prince Moulay Hassan qui allait lui succéder sur le trône du Maroc occupait son temps à jouer au billard. Un jour il me proposa de faire une partie avec lui. Et comme il avait trouvé un adversaire convenable il renouvela la proposition à diverses reprises et alla même jusqu'à me téléphoner à Bastia pour que je vienne faire un billard, au Bonaparte. C’est ainsi que je parvenais à glaner des informations appréciées par l’agence Reuter à laquelle je collaborais depuis peu. Comme quoi le billard peut mener à tout y compris au journalisme. A condition d'entreprendre des parties avec un prince, parties que Moulay Hassan appréciait et il ne se privait pas de le dire. Mohamed V et sa suite quittèrent la Corse dans le plus grand secret. Pour une autre terre d’exil, une île lointaine, Madagascar, où il séjournèrent près de deux ans. Mohamed V retrouva son trône en 1956 avec l’indépendance du Maroc. Le roi reviendra en Corse six ans après l’avoir quittée. Avec un présent de taille en la personne de l’adjudant chef Cacciaguerra libéré contre rançon par les rebelles mauritaniens dont il était l’otage. Le geste du souverain n’était pas ordinaire. Mohamed V voulait de la sorte remercier les Corses de l'accueil qu'ils lui avaient réservé alors qu’il était dans une situation difficile. Le roi était venu avec ses deux fils: Moulay Hassan et Moulay Abdallah. Je n’ai pas voulu aller au devant du prince Hassan, honteux de ne pas avoir répondu à ses lettres amicales et à son invitation de me rendre au palais royal où-m’avait-il écrit–il m’aurait reçu « les bras ouverts » Plus tard je l’ai regretté. Mais à l’époque, jeune journaliste, j’étais uniquement soucieux des dépêches que je pouvais transmettre à l’agence, et grâce à son fils, l’exil du roi m’en avait donné largement l’occasion…. »