La majorité municipale de L’Île-Rousse continue de se fragiliser. Après Pierre-François Bascoul et Stella Acquaviva, retirés de la majorité en octobre 2022, puis la démission en janvier 2025 de Jean-Pierre Santini, Marie-Laure Guidoni, Jean-Stéphane Allegrini Simonetti et Alexandre Assainte, la majorité municipale de L’Île-Rousse enregistre un nouveau départ. Marie-Josèphe Cappinielli, élue au sein de l'équipe du maire Angèle Bastiani, a officialisé sa rupture avec ses colistiers à l’occasion du dernier conseil municipal consacré au vote du budget.
Dans un entretien à CNI, l’élue explique les raisons de sa décision : critiques sur la gestion municipale, contestation du budget 2025, dénonciation des irrégularités pointées par la Chambre régionale des comptes et désaccords sur plusieurs projets structurants.
Le dernier conseil municipal a marqué votre retour après plusieurs mois d'absence. Pourquoi ce retour maintenant ?
Trois raisons expliquent mon retour : le constat d’une gestion désastreuse de la commune établi par la chambre régionale des comptes, l’examen du budget 2025, et certaines délibérations récentes.
Vous semblez avoir une lecture très différente du rapport de la chambre régionale des comptes que celle défendue par le maire. Pourquoi ?
On peut toujours tenter de tordre la vérité, mais malheureusement, les conclusions de la chambre sont sans appel. Cette juridiction a pointé de lourdes carences dans la gestion municipale. Elle écrit notamment que « la comptabilité de la commune présente plusieurs anomalies qui affectent sa fiabilité » et que « les résultats comptables ne sont pas fiables ».
Quel que soit le budget examiné — port, parking, commune ou école —, de nombreuses erreurs sont relevées, ce qui « nuit à la qualité financière » et « témoigne d'un manque de rigueur ». La chambre note aussi que la commune n’a « aucune capacité d’autofinancement ». Pourtant Madame le maire soutenait le contraire. Or, pour financer un projet, une commune doit autofinancer au moins 20 % de son coût. Nous ne sommes qu'à 9 %, ce qui condamne nos projets avant même leur lancement.
Autre point critique : la charge du personnel. Elle absorbe près de 70 % du budget. Ce n’est pas seulement lié aux revalorisations salariales, mais aussi à des embauches nouvelles.
La chambre regrette que 92 % des agents soient de catégorie C. Nous avons besoin de jardiniers et d’agents d’entretien, bien sûr, mais nous manquons cruellement de personnel d’encadrement et de techniciens qualifiés. Résultat : une méconnaissance généralisée du code des transports, du code du travail, du code de l’éducation nationale et même du code de la fonction publique.
La commune a refusé l’aide gratuite d’ingénierie proposée par l’État dans le cadre du programme Petites villes de demain. Conséquence : quasiment aucun marché public n’a été passé, aucun dossier majeur n’a été mené à terme. La quasi-totalité de nos délibérations a porté sur le port ou le parking. Et c’est pire encore sur ces deux budgets : anomalies comptables, absence de transparence, non-respect du principe d’égalité des usagers sur les tarifs, défauts graves de gestion qui, selon la chambre, mettent en doute « la soutenabilité et la faisabilité des projets ».
Face à cela, on continue pourtant d’afficher des sourires de façade. Est-ce du déni, du mensonge ou du mépris ?
Vous évoquez aussi comme motif de votre retour le vote du budget 2025. Quel est votre regard sur ce budget ?
Je ne parle même plus de reproche, mais de constat. Le budget 2025 est d’une vacuité alarmante. À la rubrique « opérations nouvelles », il n'y a rien. Pas même les projets de parking annoncés — ni celui de la plage, ni celui dit Dalmasso. Depuis cinq ans, c’est toujours la même chose : du vent, du vide, des effets d’annonce sans réalisation concrète. Quels sont les vrais projets qui ont amélioré la vie des Lisulani pendant cette mandature ? Quelques trottoirs, souvent devant des commerces amis, des marquages au sol, un enclos devant l’église. Le jardin des Moines a bien été aménagé, mais en oubliant l’accès handicapé, ce qui a coûté 200 000 euros supplémentaires !
Le PLU tant attendu ne verra pas le jour. Plus facile de continuer à délivrer des permis au cas par cas… Sur le logement, rien n’a changé. La délinquance s’est aggravée : trafic de drogue, incendies de voitures, sans réaction notable de la municipalité, malgré la présidence du comité intercommunal contre la délinquance. La chambre régionale des comptes rappelle aussi que notre commune connaît le taux de pauvreté des enfants le plus élevé de Corse. Est-ce une priorité pour Madame le maire ? À l’évidence non.
Quant aux résidences secondaires, leur part est passée à 55 % sous son mandat, malgré ses dénonciations de façade. Et l'augmentation de la taxe sur les résidences secondaires, si elle rapporte de l'argent, ne règle en rien le problème structurel.
Vous parlez également de certaines délibérations récentes qui vous ont alertée. Lesquelles ?
La première concerne l’acquisition du terrain Dalmasso. Depuis le début de la mandature, je plaide pour une expropriation, car ce terrain est inconstructible. Si on avait suivi cette voie, la commune l’aurait déjà acquis pour 40 000 ou 70 000 euros. Au lieu de cela, on s’apprête à l’acheter près d’un million d’euros ! Pour justifier ce prix, un nouveau rapport d’expertise a été commandé, oubliant sciemment le caractère inconstructible du terrain, classé en espace agricole et remarquable dans notre propre PADD. Quant à l'argument tiré d'une ancienne vente de terrain pour la station d'épuration, il n'est pas pertinent : à l'époque (2009), le Padduc n'existait pas et le terrain était constructible.
La seconde délibération porte sur le parking de la plage, projeté sur une zone de submersion marine où tout aménagement est interdit. L’État avait déjà opposé un refus aux propriétaires privés. J’espère qu’il saura garder sa cohérence. La commune a certes besoin de parkings, et c’est pourquoi, en tant que vice-présidente des Mobilités, j’ai mis à disposition le terrain de Fornole.
Vos interventions suscitent souvent des débats animés. Ne craignez-vous pas d’être perçue comme la "mouche du coche" ?
C’est un risque, mais je l’assume pleinement. Ma seule boussole est l’intérêt général. Je ne fais pas de politique pour mes affaires personnelles, ni pour favoriser des amis ou des clients. Je rappelle que je suis la seule élue à détenir une délégation municipale sans percevoir la moindre indemnité. J'ai d'ailleurs demandé à ce qu'elle me soit retirée. Pour moi, la politique n’est pas un moyen de s’enrichir. Quand je siège, je perds de l’argent sur mon activité professionnelle.
Faut-il s’attendre à des conseils municipaux tendus dans les prochains mois ?
J’espère que le débat pourra rester sur le terrain des idées. Mais connaissant Madame Bastiani, avec laquelle j'ai un passif, je reste lucide : elle est peu à l’aise face à la contradiction. Contrairement à d’autres, je ne céderai à aucune pression, y compris par téléphone après les conseils municipaux.
Comment envisagez-vous désormais votre mandat ?
Lorsque j'ai rejoint la liste d’Angèle Bastiani début 2020, il avait été convenu que je n’interviendrais pas dans la gestion de la commune, me consacrant à mon mandat de vice-présidente à la communauté de communes. J’exerce ce mandat avec une grande satisfaction grâce à la confiance de son président Lionel Mortini et au professionnalisme des équipes.
Mais il n’était pas question pour moi de rester silencieuse face aux dérives constatées. Aujourd'hui, Madame Bastiani perd un nouveau membre de sa majorité.