Corse Net Infos - Pure player corse

Les collectifs antimafia saluent la création d’un pôle contre le crime organisé en Corse


Christophe Giudicelli le Vendredi 6 Juin 2025 à 13:12

Annoncée en février devant l’Assemblée de Corse, la création d’un pôle anticriminalité spécifique à l’île a été confirmée ce jeudi 5 juin à Bastia par le ministre de la Justice. Une décision saluée par les deux collectifs engagés contre la mafia, qui y voient une avancée attendue mais conditionnée à des moyens concrets.



Les collectifs antimafia saluent la création d’un pôle contre le crime organisé en Corse

C’est une annonce que les collectifs antimafia attendaient depuis longtemps. Confirmée par le garde des Sceaux lors de sa visite à Bastia, la création d’un pôle judiciaire consacré aux affaires de criminalité organisée en Corse marque, pour l’État, un changement d’échelle. Gérald Darmanin en a souligné la singularité : « C’est un message pour dire que l’État n’a pas peur de juger en Corse. » Un dispositif inédit en France, selon le ministre, censé permettre de mieux traiter localement des dossiers liés aux incendies criminels, aux extorsions ou encore aux trafics de stupéfiants. Les règlements de comptes, eux, continueront de relever de la juridiction interrégionale spécialisée (JIRS) de Marseille.

Pour les deux collectifs  anti mafia, cette annonce constitue une avancée attendue. « C’est quelque chose qui était attendu. On en avait déjà discuté avec les procureurs à Cargèse lors de notre colloque, rappelle Jérôme Mondoloni, porte-parole du collectif Massimu Susini. Cela permettra au parquet de Bastia de traiter directement certaines affaires importantes, sans passer systématiquement par la JIRS. Les magistrats vont pouvoir coller au terrain, c’est très positif, à condition que les moyens suivent. » 

Du côté du collectif A Vita iè a Maffia No, même satisfaction, mais aussi des réserves. Léo Battesti, président du collectif A vita è a Maffia No, évoque lui aussi « une orientation qui va dans le bon sens ». Il note que plusieurs des mesures annoncées correspondent à des revendications portées depuis des années par les associations. « Notamment l’extension de la législation antinarcotrafic aux bandes mafieuses, ou encore le fait de mettre fin à l’exposition des jurés d’assises, qui sont sous pression. » Il observe aussi une évolution dans les moyens promis : « Il semblerait qu’il y ait une volonté, avec le recrutement de nombreux magistrats, d’être plus efficaces. » Et souligne que le dispositif ne doit pas se limiter au champ judiciaire : « Il y a aussi le renforcement des moyens économiques et fonciers. C’est indispensable, quand on voit les mises sous emprise dans certains secteurs. En ce moment, on le voit clairement en Balagne, avec des attentats qui frappent des commerces, des navires… »

Mais au-delà des annonces, c’est l’urgence de la situation qui est martelée par les deux collectifs. Pour Jérôme Mondoloni, « la Corse est saturée d’assassinats, saturée d’incendies criminels. On a déjà sept assassinats liés au crime organisé cette année. L’urgence est urgentissime. »  Même tonalité chez Léo Battesti : « Si ce qui s’est passé en Corse depuis le début de l’année s’était passé à l’échelle de la France, le pays serait en état de siège. C’est incroyable et traumatisant, ce que nous sommes en train de subir. » Il décrit une société corse en perte de confiance : « Les gens n’y croient plus. Ils se disent que leurs enfants vont devoir baisser la tête devant des voyous qui imposent leur loi par la terreur. » Les critiques visent aussi la classe politique insulaire, accusée de fuir ses responsabilités. « La politique de l’autruche, ça suffit », tranche Léo Battesti. « Il faut que les élus sortent de cette pression. Les hommes politiques doivent relever la tête et agir. (...) »


L’annonce a été faite ce jeudi à Bastia
L’annonce a été faite ce jeudi à Bastia

Un espoir sous conditions
La création du pôle anticriminalité n’aura d’impact que si elle s’accompagne d’un engagement concret, préviennent les collectifs. « Si M. Darmanin respecte sa parole et engage effectivement le recrutement du personnel indispensable, alors oui, on aura franchi un pas dans l’histoire criminelle de la Corse », affirme Jérôme Mondoloni. Il évoque une perspective inédite : « Ce pôle va renforcer de manière très importante l’efficacité des enquêtes sur le terrain. Cela peut donner au parquet de Bastia une capacité d’action que la Corse n’a jamais connue. »  Mais les deux représentants des collectifs appellent à ne pas céder à l’illusion de résultats immédiats. « Il faudra deux ou trois ans pour que ce pôle donne la pleine mesure de ses possibilités », avertit Jérôme Mondoloni, Enfin, les deux collectifs réitèrent l’importance d’inclure les crimes de sang dans la politique du repenti, et d’intensifier les saisies patrimoniales. « Il faut s’attaquer au portefeuille des voyous. »

Pour Léo Battesti, les incendies criminels de Calvi témoignent d’un climat de plus en plus inquiétant : « C’est une provocation terrible. On est dans une espèce de Far West. Il n’y a pas de respect de la loi. On ne peut pas fonctionner en société sans le respect du droit. Aujourd’hui, c’est le plus fort, le plus cynique, qui triomphe. » À ses yeux, le défi est immense, et les réactions insuffisantes : « À Calvi, 7 ou 8 bateaux ont brûlé, et ça ne provoque rien. Les gens deviennent fatalistes. Ils ne croient plus aux solutions. »

Pour les collectifs, la création de ce pôle ne suffira pas si elle ne s’accompagne pas d’un changement profond de paradigme. “Il faut s’attaquer au système, pas seulement aux symptômes”, martèle Léo Battesti. Et Jérôme Mondoloni de conclure : “Si les moyens sont au rendez-vous, alors oui, on aura franchi un pas historique. Mais ce pas doit mener quelque part.”