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Le e-commerce a 30 ans : comment la Corse s’est adaptée ?


Christophe Giudicelli le Dimanche 3 Août 2025 à 16:55

Trente ans après la première commande en ligne, le e-commerce s’est imposé dans les habitudes de consommation, y compris en Corse. En 2024, 4,6 millions de colis ont été livrés sur l’île, contre 2,6 millions en 2017, soit une hausse de 77 %. Un bouleversement qui transforme le commerce local : essor des points relais, adaptation logistique, concurrence croissante des plateformes étrangères. Si certains commerçants corses ont su tirer parti de cette évolution, d’autres peinent encore à suivre le rythme d’un marché en constante mutation.



illustration (Image par Tung Lam de Pixabay)
illustration (Image par Tung Lam de Pixabay)
Le 11 août 1994, un habitant de Philadelphie commande en ligne un album du chanteur Sting pour 12,48 dollars et devient le premier client du e-commerce. Trente ans plus tard, les achats par internet se chiffrent en billions de dollars à l’échelle mondiale. En 2024, en France, selon les chiffres de la Fevad (Fédération du e-commerce et de la vente à distance), le commerce en ligne a généré 175 milliards d’euros, avec un panier moyen de 68 euros.

4,6 millions de colis livrés en Corse par La Poste en 2024
Pour se faire une idée de cette révolution commerciale qui a conquis également la Corse, il faut se tourner vers La Poste. L’entreprise traitait 2,6 millions de colis à destination de la Corse en 2017 ; ce nombre est passé à 4,6 millions en 2024. Deux millions de colis supplémentaires en huit ans, soit une augmentation de 77 %.
Pour faire face à cet accroissement, La Poste en Corse explique : « avoir adapté son outil industriel pour améliorer aussi bien la prise en charge de ces flux de colis grandissants que les conditions de travail des postières et des postiers. » Cela implique la mise en place à plus grande échelle de services qui, aujourd’hui, nous semblent normaux : suivi de colis, retours, notifications. Sans oublier la prise en charge des colis expédiés depuis l’île : environ 550 000 en 2024.

Avec le développement du e-commerce est apparu le concept de point relais. Installés dans les bureaux de tabac, stations-service ou encore commerces de proximité, les points relais permettent de récupérer ses commandes.
Selon les annuaires en ligne, on en compterait un peu plus de 400 sur l’ensemble de la Corse. Selon leur taille, les commerçants qui ont décidé d’accueillir ce service peuvent traiter de quelques dizaines à plusieurs centaines de colis par jour, et générer quelques centaines d’euros de chiffre d’affaires supplémentaires chaque mois. Un revenu indissociable d’un aménagement des boutiques pour le stockage des colis, mais aussi en termes de temps de travail, ce qui n’est pas toujours sans contrainte, mais permet d’attirer une clientèle en boutique. (article à lire ici)


E-commerce et commerce de proximité ?
Car justement, le e-commerce, avec ses facilités de paiement en plusieurs fois, ses retours et livraisons simplifiés, mais aussi son large choix, est entré en concurrence frontale avec les boutiques physiques, et particulièrement les commerces de proximité.
En ligne, on peut tout commander : livres, téléphones, meubles, tirages photo, vaisselle, outils, pneus, vêtements, bijoux, fusils de chasse… Pour Daniel Benedittini, président de l’Union des commerçants de Bastia : « cette révolution n’est pas encore arrivée à son apothéose, et c’est un concurrent direct des commerces. C’est un fait. En trois décennies, des mastodontes ont été créés comme Amazon. » Mais ce qui inquiète encore plus le représentant des commerçants bastiais, c’est l’arrivée sur le marché des sites chinois comme Shein ou Temu: « Il y a des prix incompréhensibles pour nous. Il y a un manque de régulation, des normes qui ne sont pas respectées. Nous pouvons même acheter des pelleteuses. »

Un sujet dont s’est emparé, début juillet à l’Assemblée nationale, François-Xavier Ceccoli, député de la seconde circonscription de la Haute-Corse, pour demander des moyens de lutte contre ces pratiques (à lire ici).

Daniel Benedittini évoque aussi le changement d’habitude des consommateurs : « Notre génération avait pour habitude d’aller avec ses parents dans les boutiques en ville. Aujourd’hui, cette habitude s’est perdue. Dès le primaire, les enfants vont déjà sur les réseaux sociaux pour parler d’achats. La nouvelle génération achète en ligne d’abord, avant d’aller en boutique. Cela ne va qu’aller en se renforçant, sauf s’il y a une grosse prise de conscience. »

Cinéma, sushis, pizzerias : ces commerces de proximité qui ont profité du e-commerce
Trente ans après sa création, le e-commerce est ancré dans la société. Pour le président de l’Union des commerçants de Bastia, « il faut regarder quel intérêt peuvent trouver les commerçants bastiais avec le e-commerce » explique Daniel Benedittini. « On retrouve par exemple des épiceries fines de produits corses qui se sont très bien développées avec le e-commerce et qui vendent toute la saison. La possibilité d’acheter ses billets de cinéma en ligne fait également toute la différence pour les clients. On peut aussi commander des sushis, des pizzas, des burgers en ligne et réserver un resto. C’est vraiment un plus pour ce type de commerce. » « La présence sur internet est essentielle et, s’il y a la possibilité d’avoir également une boutique virtuelle, c’est un plus. » précise Daniel Benedittini. Être en ligne : une obligation pour les commerces de proximité, mais avec des investissements importants. « Cela reste compliqué à mettre en place. Nous avions, avec l’association, des projets de plateforme pendant la Covid. Il y avait une envie politique, mais ensuite, il y avait le risque de se retrouver dans une problématique de concurrence déloyale entre plateformes associatives subventionnées et plateformes privées. Et il faut des fonds. »

Les outils à mettre en place sont importants : « caisse connectée pour voir l’état du stock en direct, négociation avec La Poste pour les livraisons et les collectes. Nous étions allés loin dans les démarches et je reste persuadé que si notre plateforme de référencement de tous les produits disponibles à Bastia avait vu le jour, cela aurait également attiré du monde dans les boutiques du centre-ville, car la clientèle se serait déplacée exprès pour le produit. »

Compliqué donc, quand on n’a pas la puissance de frappe d’un géant du web pour mettre en place une boutique en ligne. Pourtant, créer la plus simple des boutiques en ligne sur les réseaux sociaux est gratuit.
C’est la logistique qui est compliquée, explique Daniel Benedittini : « Aujourd’hui, peut-être que l’IA pourra gérer certaines choses, mais la problématique pour les petites structures reste la préparation des colis, l’envoi des colis, prendre en photo les articles, gérer les retours, sachant qu’ils sont souvent gratuits sur internet. Cela a un coût, même si quelques boutiques ont réussi, certaines d’entre elles réalisent jusqu’à 30 % de leur chiffre d’affaires à l’export. » Il poursuit : « Le savoir-faire est indispensable, pour créer de belles publications et pour mettre en avant sa boutique en ligne. »
Le président de l’Union des commerçants de Bastia évoque tout de même que de plus en plus de gérants sont formés à ces outils via les études de commerce.

Le commerce en ligne est désormais une composante de notre société. Né il y a trente ans, il a aujourd’hui dépassé le cap d’une génération et doit être abordé comme un fait et anticiper ses futurs évolutions. Si sur l’île certains acteurs ont su l’apprivoiser et développer leur chiffre d’affaire grâce à lui, le commerce en ligne reste lourd à mettre en place pour les structures plus petites. En 2025, il doit faire face à une pression de plus en plus forte de la Chine. Une situation qui inquiète bien au-delà des commerces des centres villes insulaires. Reste cette fois ci, à prendre rapidement le tournant.