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Langue corse : Paul Giacobbi veut appliquer le statut de coofficialité


Nicole Mari le Jeudi 6 Juin 2013 à 15:13

A l’ouverture de la session de juin de l’Assemblée de Corse (CTC), jeudi matin, Paul Giacobbi a profité d’une question orale sur la langue corse pour afficher une détermination ferme à aller jusqu’au bout de la délibération votée le 17 mai dernier. Revenant sur la visite de Manuel Valls et sur sa fin de non-recevoir, le président de l’Exécutif renvoie le ministre à ses pénates et fustige l’Etat français en le qualifiant « d’Etat pas normal ». Il se dit prêt à saisir les instances internationales pour faire appliquer le statut de coofficialité.



L'Exécutif en session
L'Exécutif en session
L’intervention de Paul Giacobbi a été aussi forte qu’inattendue. Dans un hémicycle à moitié vide, la session de Juin s’est ouverte, comme à l’ordinaire, par les questions orales qui, ce jeudi matin, étaient, par extraordinaire, peu nombreuses, au nombre de quatre seulement. Jean-Guy Talamoni, président du groupe Corsica Libera, pose la 1ère question relative à la non-signature par les Chemins de fer de la Corse (CFC) de la Charte pour la langue corse. A la demande du syndicat STC (Sindicati di i travagliadori corsi), l’élu nationaliste interpelle l’Exécutif afin qu’il agisse sur une structure dépendant directement de l’Office des transports (OTC), donc de la CTC.
 
Des objectifs spécifiques
C’est tout naturellement que la réponse lui est apportée par Pierre Ghionga, conseiller exécutif en charge de la langue corse et rédacteur du statut de coofficialité, qui lui assure, in lingua nustrale, de son intervention rapide sur un sujet qui lui tient à cœur. « Nous ferons tout ce qui est en notre pouvoir pour sauver la langue sans attendre le statut de coofficialité. Nous devons avancer avec détermination pour faire entrer le bilinguisme dans les services publics, comme dans tous les secteurs de la vie économique et sociale. L’OTC travaille à la définition d’objectifs spécifiques. La semaine prochaine, je signerai la Charte avec la présidente de l’Office hydraulique ». Il rappelle que, pendant cette semaine dévolue à la langue corse, plus de 67 manifestations fêtent la langue dans l’île.
 
Un désaccord clair
Puis, fait inhabituel, Paul Giacobbi prend la parole pour revenir sur la visite du ministre de l’Intérieur et dire son sentiment sur la fin de non-recevoir opposée par Manuel Valls au statut de coofficialité. « J’ai indiqué au ministre de l’Intérieur mon désaccord très clair sur son affirmation de principe concernant la langue officielle et notre détermination totale dans ce domaine ». Selon lui, les propos ministériels ont été déformés : « Il a voulu dire, et il l’a mal dit, que la Constitution, telle qu’elle est, s’oppose à la coofficialité et à la reconnaissance officielle de la langue corse. Ce n’est pas contestable ». Il indique que les experts interrogés ont confirmé qu’un article spécifique de la Constitution, dédié à la Corse, ne suffirait pas à lever complètement l’obstacle, il faudrait y joindre un ensemble de dispositions spécifiques, prévues d’ailleurs dans le rapport. Rien de bien nouveau.
 
Une riposte déterminée
Le président de l’Exécutif affiche, ensuite, sa détermination et dévoile sa stratégie pour défendre ledit statut. Là, pour ceux qui en douteraient, il assène, d’un ton ferme, que le rôle de l’Exécutif est de mettre en œuvre les délibérations de l’Assemblée : « Si nous manquions à mettre en œuvre cette délibération-là, au surplus que nous avons proposée, il n’y a plus qu’à s’en aller ! Comme je n’ai pas encore l’intention de le faire, je vais vous dire quelle est notre stratégie pour mettre en œuvre, au mieux et au plus vite, cette délibération unanime de l’Assemblée ». C’est, de manière détournée et sans avoir l’air d’y toucher, une réponse acide à Manuel Valls qui, il y a 48 heures, estimait que la question de l’officialité de la langue n’était pas une compétence territoriale et renvoyait les élus insulaires à des besognes plus prosaïques. Paul Giacobbi rétorque qu’il fait son travail et se prévaut d’autres soutiens. « Plusieurs parlementaires de bords différents et, même parfois, des personnalités plus élevées dans la hiérarchie de la République m’ont félicité pour avoir fait cette délibération et m’ont sincèrement encouragé à poursuivre dans cette voie. C’est toujours un encouragement utile », confie-t-il dans un sourire satisfait.
 
Appliquer la délibération
Ceci dit, après avoir rappelé qu’il y a urgence à agir, il renvoie, à son tour, Manuel Valls dans ses pénates ministérielles et pas au-delà ! « Il faut, impérativement et rapidement, avant l’été, que la Commission Chaubon rédige un texte ou, du moins, des orientations constitutionnelles et fasse des propositions. Il faut arrêter notre position sur les trois fondements où nous avons besoin de l’évolution constitutionnelle : le foncier, la fiscalité, la langue et la culture. Il ne faut pas que des paroles prononcées, qui n’engagent que ceux qui les ont prononcées, nous fassent renoncer. Nous devons appliquer avec détermination l’ensemble de la délibération. Nous ne devons avoir aucun scrupule à l’appliquer. Nous irons jusqu’au bout ! ». Il remarque que la CTC applique déjà la coofficialité, mais qu’il est plus difficile de « l’appliquer aux tiers. C’est là qu’il faut marquer notre détermination ! ».
 
Un pays anormal
L’obstacle anticonstitutionnel ?  « Nous verrons bien ! », réplique-t-il, avant d’avertir : « Nous ne serons pas dans le renoncement. Nous irons devant le Conseil Constitutionnel et nous mettrons en évidence les contradictions. Si la France était un pays normal, cela ne poserait pas de difficultés, elle n’est pas un pays normal, elle est un pays avec une structure étrange, une sorte d’intolérance à la diversité et à l’identité de ses régions ».
Promettant d’être très offensif et méthodique, il explique qu’il faut convaincre sur le plan national. « La ratification de la Charte des langues régionales et minoritaires, qui devra se faire constitutionnellement, est un point de passage obligé pour avancer ».
Il s’irrite, de nouveau, du jacobinisme opposé par ceux qui argumentent qu’on ne peut pas changer la Constitution. « On l’a changé pour tout, y compris pour l’île aux Pingouins. Par conséquent, on devrait bien la changer pour la Corse », répète-t-il inlassablement.
 
Le scandale français
Paul Giacobbi va même plus loin : « La reconnaissance de la langue corse, et d’une langue en général, est, au-delà de la Constitution, un droit naturel des peuples. Par conséquent, nous le contester est, tout à fait, scandaleux ».
Partant de là, il annonce qu’il va agir sur la plan international pour forcer la France dans ses retranchements : « J’examinerai, à fond, tous les recours sur le plan international, y compris la mise en évidence des contradictions de la France qui voudrait imposer, avec arrogance, à d’autres pays de faire vis-à-vis de leurs langues minoritaires ce qu’elle se refuse, elle, à faire pour ses propres langues minoritaires. Le tibétain au Tibet, oui ! Mais le corse en Corse, la France ne peut pas ! Parce qu’elle a des principes ! C’est çà le scandale ! ».
Prévenant que le chemin ne sera pas facile, il conclut en s’engageant devant les élus à appliquer, au plus vite, la délibération. « C’est une question de vie ou de mort, non pas seulement d’une langue, mais de ce que nous sommes. Pour autant que ma fonction ait un sens, si je manquais à ce devoir-là, ma fonction perdrait toute signification ».
Le projet de réforme constitutionnelle devrait être examiné à l’une des deux sessions prévues au mois de juillet.
N.M.