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La reconnaissance de la Palestine par l’Assemblée de Corse suscite la polémique


le Lundi 30 Juin 2025 à 20:18

Les réactions ne cessent de se multiplier aussi bien au niveau local que national, après le vote d'une motion reconnaissant l'existence de l'État de Palestine par l'Assemblée de Corse, vendredi dernier. Face aux nombreuses critiques, ce lundi, la présidente de l'Assemblée de Corse, Marie-Antoinette Maupertuis, et le président de l'Exécutif, Gilles Simeoni, ont à leur tour souhaité réagir et apporter des éclaircissements sur la philosophie du texte.



(Photo : Paule Santoni)
(Photo : Paule Santoni)
« L’Assemblée de Corse reconnaît l'existence de l'État de Palestine, conformément aux dispositions antérieures de l'ONU et affirme la nécessité urgente de la mise en œuvre d'une solution politique fondée sur la coexistence de deux États souverains respectueux des intérêts politiques, collectifs ou confessionnaux d'Israël et de la Palestine ». Vendredi dernier, tard dans la soirée, l’hémicycle se penchait une motion symbolique qui n’en finit pas de faire polémique depuis. Rappelant « le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes » et dénonçant des violations du droit international, ce texte adopté grâce aux voix de Fà Populu Inseme, Core in Fronte, et des non-inscrits Josepha Giacometti-Piredda et Pierre Ghionga n’a en effet pas manqué de faire réagir le groupe de droite. 
 
Dans un communiqué publié au lendemain de la session, Un Soffiu Novu expliquait ainsi ne pas avoir souhaité participer à la séquence des motions du fait de cette initiative portant sur la situation au Proche-Orient. « Nous avons pris le parti depuis longtemps de ne pas participer aux prises de position géopolitiques de la majorité territoriale, désireuse de faire diversion par rapport à l’exercice de ses propres compétences », fustige le groupe. Sans « renier le caractère préoccupant de la situation à Gaza », ses membres expliquent ainsi ne pas pouvoir cautionner « un texte aussi partial, qui ne mentionne pas les massacres du Hamas d’octobre 2023, les otages… ». « Nous regrettons la tendance de la majorité territoriale à rallier les positions islamo-gauchistes de ce qu’on retrouve au niveau national sur les bancs de LFI », ajoutent-ils encore. 
 
Au niveau national, dès samedi matin, l’adoption de la motion avait d’ailleurs été saluée par plusieurs représentants de La France Insoumise à l’instar de Thomas Portes, député de la 3ème circonscription de Seine-Saint-Denis.

« Merci de réaliser ce que Macron est incapable de faire », a pour sa part réagie la députée européenne Manon Aubry. 

 

Mais sur l’île, peu ont apprécié la démarche. Le député de la 2ème circonscription de Haute-Corse, François-Xavier Ceccoli s’est ainsi inquiété d’une prise de position qui ne relève « aucunement des compétences de l’Assemblée de Corse, et d’une « dérive idéologique (qui) ne peut qu’inquiéter, voire indigner nos concitoyens ». 

De son côté, le 1er adjoint au maire d’Ajaccio, Alexandre Farina s’est fendu d’une longue réaction sur les réseaux sociaux dans laquelle il fustige « un vote symbolique et ses nombreux considérants délirants ». « Alors que notre île est en proie à des difficultés immenses – précarité, cherté de la vie, violences, transports, déchets-, que la Collectivité de Corse vient d’être sérieusement épinglée pour sa gestion erratique depuis 2019, la majorité territoriale, avec le sens des priorités qu’on lui connaît, a cru bon de consacrer des heures entières lors de la dernière session de l’Assemblée de Corse à une énième motion symbolique », tance-t-il en sifflant : « Plutôt que de considérer la Corse comme un État souverain, je considère que la majorité territoriale devrait d’abord consacrer son énergie à régler les nombreux problèmes que la Corse rencontre depuis 2015 notamment plutôt que de s’occuper de diplomatie et de la paix dans le monde ». 

Le leader du mouvement identitaire Mossa Palatina, Nicolas Battini, n’a lui aussi pas tardé à commenter le texte en raillant : « Une priorité évidente au vu de l’excellente santé financière de la Collectivité de Corse ». « Le vote de l’Assemblée de Corse apparaît comme un énième acte de soumission et d’adhésion à l’islamo-gauchisme qui sévit en Europe », a-t-il estimé en avançant que « l’emploi du terme « génocidaire » dans la motion est un emprunt volontaire à tout le verbiage des Frères Musulmans et de Rima Hassan ». 

Face à ces nombreuses critiques, qu’elle qualifie d’ « inepties, désinformations et attaques politiciennes », la présidente de l’Assemblée de Corse, Marie-Antoinette Maupertuis, a tenu à son tour à réagir ce lundi après-midi. 
 

« L’adoption de cette motion intervient alors qu’une vague d’indignation traverser l’Europe, la communauté internationale et s’exprime également au sein de l’opinion israélienne et la communauté juive elles-mêmes, profondément préoccupées par la situation dramatique des civils palestiniens », écrit-elle en assurant que « cette motion ne fait à aucun moment abstraction du droit d’Israël à exister dans la paix et la sécurité » et rappelant que « ce droit est explicitement mentionné dans le texte, tout comme deux références aux motions précédemment adoptées par l’Assemblée de Corse le 27 octobre 2023 et le 1er mars 2024, qui condamnaient fermement les massacres du 7 octobre perpétrés par le Hamas et exigeaient la libération des otages ». Dans ce droit fil, elle pointe une motion « fondée sur le droit international en réponse à une urgence humanitaire »qui « repose sur un socle juridique incontestable : les résolutions des Nations Unies, les rapports des agences humanitaires, les conclusions de la Cour pénale internationale et de la Cour internationale de justice ».
 
« Certains, par ignorance ou mauvaise foi, prétendent que ce vote détournerait l’Assemblée de Corse de ses missions. C’est faux et insultant », siffle-t-elle en posant : « S’exprimer sur une crise humanitaire majeure ne nous fait renoncer à rien. Les Corses continueront à être défendus sur tous les sujets qui les concernent directement : logement, santé, pouvoir d’achat, transport, … La solidarité internationale ne s’oppose pas à l’engagement local ». 
 
D’autre part, la présidente de l’Assemblée de Corse s’inquiète d’un climat « inquiétant pour la démocratie » que les « réactions hostiles et violentes observées depuis l’adoption de la motion » laisse entrevoir. « Il devient de plus en plus difficile de débattre d’un sujet international sans faire l’objet d’accusations caricaturales et infondées. Quand une collectivité dénonce des crimes de guerre et demande l’application du droit international, elle n’est ni extrémiste, ni partisane. Elle est responsable », soutient-elle en martelant que face à la situation à Gaza « le silence n’est pas une option et la neutralité n’est pas une posture ». 


Dans la même ligne, le président de l’Exécutif, Gilles Simeoni a également posté une longue réponse aux attaques contre la motion sur ses réseaux sociaux ce lundi après-midi.

« Sur la forme, l’Assemblée de Corse est certes allée au-delà de ses prérogatives formelles actuelles en prenant position sur la situation à Gaza. Mais ce choix est dans la continuité de la conception que nous avons de notre institution, garante des intérêts matériels et moraux du peuple corse, et légitime pour porter sa voix y compris sur la scène européenne et internationale », indique-t-il en insistant : « Ces prises de position ne se font pas au détriment du travail que nous accomplissons au quotidien pour que la Corse et les Corses vivent mieux. Elles viennent au contraire rappeler que notre combat pour la Corse s’inscrit dans une vision d’ensemble du monde dans lequel nous voulons que les générations d’aujourd’hui et de demain puissent vivre ». 
 
Sur le fond, alors que certaines voix ont déploré une motion « calquée sur les positions de « l’islamo-gauchisme », et constitutive d’une forme de complaisance, voire de « trahison » face à la menace que représente l’islamisme radical, partout dans le monde », le président de l’Exécutif rappelle que « la quasi-totalité des points principaux du texte ont déjà donné lieu à des résolutions ou des motions votées par l’Assemblée de Corse » mais ajoute « deux catégories de considérants découlant de ce qui s’est passé ces dernières semaines ». « Les unes pour dénoncer l’aggravation sans précédent de la situation à Gaza ; Les autres pour affirmer la nécessité de reconnaître sans délai l’État de Palestine », précise-t-il.
 
Dans le même temps, il évoque les liens « forts et singuliers » que la Corse a entretenu « depuis des temps immémoriaux » avec le peuple juif. « Cette histoire, dont nous nous revendiquons héritiers et continuateurs, ce lien, que nous souhaitons cultiver, nous autorisent à parler au peuple juif, en amis et en frères. Et à lui demander d’écouter ceux de ses enfants qui, comme Jean Hatzfeld et tant d’autres avec lui, se désespèrent de constater qu’« en détruisant Gaza, Israël détruit le judaïsme » », affirme-t-il en reprenant : « La motion de l’Assemblée de Corse est cohérente avec la solidarité que le peuple corse a su exprimer au peuple juif, aux temps les plus sombres du XXème siècle, et qu’il continuera de lui témoigner face à la recrudescence de l’antisémitisme. Et elle est également conforme à notre attachement au droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, droit fondamental dont le peuple palestinien ne saurait être exclu et dont il est privé depuis des décennies. Ce droit à vocation à être traduit par la constitution d’un État : cette promesse, comme celle de la Paix, était en germes dans les accords d’Oslo, il y a plus de 30 ans ». Et de conclure : « En appelant à la reconnaissance de l’Etat de Palestine, et en soulignant que l’avènement de celui-ci doit s’accompagner d’une paix juste et durable et de la garantie du droit d’Israël à l’existence et à la sécurité, l’Assemblée de Corse s’inscrit dans le sens d’une histoire qui doit enfin commencer à s’écrire. L’avenir, proche et lointain, lui donnera raison ».
 
 

Lundi soir, la section corse de la Ligue des Droits de l’Homme a également apporté son soutien à l’Assemblée de Corse à travers un communiqué dans lequel elle insiste sur le fait que la reconnaissance d’un État palestinien est « la condition essentielle pour qu’Israéliens et Palestiniens puissent vivre côte à côte en construisant une paix juste et durable ». « Comment peut-on se détourner du génocide en cours à Gaza. Comment peut-on se taire. Pire comment peut-on écrire que cette situation ne relève pas des compétences de nos élu-es et donc qu’elle ne concerne pas les Corses. Il est vrai que la compétence en humanisme n’est pas inscrite dans le statut particulier de la Corse. La motion de l’Assemblée de Corse qui résonne au-delà de notre île nous honore. Elle rappelle l’universelle fraternité qui nous lie aux femmes et aux hommes bien au-delà d’un territoire », écrit encore la LDH Corsica.