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L’Assemblée de Corse valide le plan d’urgence contre le COVID19 et craint un cataclysme


Nicole Mari le Vendredi 24 Avril 2020 à 19:18

Session inédite et déconcentrée à l’Assemblée de Corse avec un sujet majeur à l’ordre du jour – le COVID19 – et des débats en visio-conférence avec un nombre limité d’élus par groupe. Au programme donc, la validation du Plan d'urgence et de sauvegarde économique et sociale pour la Corse, élaboré par le Président de l’Exécutif, et, pour des raisons de calendrier, les délégations de service public (DSP) de transport maritime de marchandises et de passagers entre les ports de Portivechju et Pruprià et le port de Marseille du 1er mai au 31 décembre 2020. Des interventions restreintes, des amendements synthétisés et des rapports adoptés rapidement. L’Assemblée a voté à l’unanimité la résolution demandant la libération anticipée des détenus corses.



Hémicycle de l'Assemblée de Corse. Photo Michel Luccioni.
Hémicycle de l'Assemblée de Corse. Photo Michel Luccioni.
« Cette session se déroule dans des circonstances inédites et totalement impensables il y a quelques semaines encore ». Le président du Conseil exécutif, Gilles Simeoni, résume, ainsi, la session de l’Assemblée de Corse qui s’est ouverte, vendredi après-midi, pour une durée comptée de 4 heures. Crise sanitaire oblige, il a fallu s’adapter et c’est chacun seul chez soi, ou dans son bureau ou même sa mairie, que les élus présents sur la toile - le nombre suffisant pour, avec deux procurations chacun, atteindre le quorum - ont débattu rapidement – 5 minutes par groupe – des dossiers de fond à l’ordre du jour. Des dossiers dont l’urgence, sanitaire ou réglementaire, a nécessité la tenue de cette session après une carence forcée de deux mois. La visioconférence – une première pour les services de la Collectivité de la Corse (CDC) - s’est déroulée assez normalement, malgré quelques problèmes de connexion. La session a, donc, débuté, comme à son habitude par une allocution en langue corse du président de l’Assemblée, Jean-Guy Talamoni, qui a demandé une minute de silence pour les victimes du COVID19 et affirmé qu’il n’était pas possible de « prendre le risque d’un déconfinement sans masques pour tous et sans tests » (cf par ailleurs).
 
Une double exigence
L’hommage aux victimes du coronavirus, à « l’héroïsme des soignants » et des agents a été, dans la foulée, également rendu par le président de l’Exécutif dans une brève allocution liminaire : « La lutte contre l’épidémie nous rappelle l’omniprésence de la mort, mais nous encourage surtout à exalter la vie. Dans ce combat difficile, il y a des signes forts d’espoir, des gens qui sont guéris et rentrent dans leur famille ». Pour Gilles Simeoni : « Cette crise souligne une double exigence : d’abord, celle d’une éthique de solidarité jamais prise en défaut. C’est un objectif que nous devons nous assigner. La solidarité interne à la société corse montre que notre peuple, dans les moments les plus difficiles, puise en lui des ressources qui lui permettent de triompher des épreuves. La solidarité aussi avec tous ceux qui souffrent et se battent dans les autres territoires. Deuxième exigence : l’éthique de responsabilité. Cette maladie nous confronte à nos faiblesses, nos incertitudes et à nos devoirs. Nous avons essayé de faire au mieux, il y aura certainement des leçons à tirer. Dans le monde d’après, les Corses auront besoin de dire et de montrer qu’ils sont capables d’assumer leur destin. Je ne doute pas un instant que nous saurons relever ce défi ».

Gilles Simeoni. Photo Michel Luccioni.
Gilles Simeoni. Photo Michel Luccioni.
Une tâche difficile
C’est sans aucun débat que les quatre rapports de pure forme pour la mise en œuvre des procédures spéciales édictées par le plan d’urgence sanitaire national - les discussions ayant eu lieu en amont - ont été validés à l’unanimité. Ceci rapidement évacué, le président de l’Exécutif a commenté son Plan d'urgence et de sauvegarde économique et sociale pour la Corse « Vince contr’à u COVID19 », divulgué il y a quelques semaines. Le rapport synthétise l’action déjà engagée et esquisse celle qui le sera dans le cadre du déconfinement. Tout en saluant la mobilisation de tous, Gilles Simeoni prend soin de poser les difficultés de la tâche et le caractère anxiogène de la situation : « Cette crise nous a placés dans une situation totalement imprévue et imprévisible. Elle a ceci de particulier qu’il faut, pour la première fois, selon le mot du philosophe allemand Jürgen Habermas, assumer d’agir « dans le savoir explicite de notre non-savoir ». Comment faire les meilleurs choix quand beaucoup de données de l’équation restent, au moment des choix, largement inconnues ? Il nous faut y répondre avec nos moyens, c’est ce que la CDC a essayé de faire : comprendre les mécanismes épidémiques, anticiper leurs conséquences dans tous les domaines de notre vie collective et faire les choix les plus conformes à l’intérêt de notre île et de ses habitants ».
 
Une crise anticipée
Gilles Simeoni rappelle que l’Exécutif a « Très tôt, eu la conviction que la crise toucherait durement la Corse et qu’elle aurait des conséquences, par effet domino, très lourdes. Dès la fin du mois de févier, nous nous sommes préparés au tsunami qui arrivait en dressant d’abord l’état des lieux de nos ressources et de nos moyens. Nous avons préparé un plan de continuité de l’activité avant même que le confinement ne soit déclaré, ce qui nous a permis d’adapter et de déployer de manière efficace, dans les heures suivantes, l’action de la CDC ». Et de souligner : « On nous dit souvent ce qui ne va pas, mais on oublie ce qui apparaît acquis, nous avons garanti que la vie continue en situation de crise ». Il évoque l’épineuse adéquation de l'action aux ressources budgétaires limitées : « Tout le monde fait tourner la planche à billets, mais je rappelle que les collectivités territoriales doivent voter leur budget à l’équilibre. Contrairement aux Etats, nous n’avons pas la possibilité de créer des déficits. Nous n’hésitons pas à engager des sommes importantes, y compris sur des domaines qui ne sont pas de notre compétence, mais cela nous oblige à une réflexion stratégique. La CDC est plus exposée, que d’autres, à une diminution de ses recettes du fait de la suspension de l’activité économique. De façon certaine, nous allons perdre plusieurs dizaines de millions d’euros ».
 
Rien n’est gagné !
S’étant mis en ordre de bataille, l’Exécutif estime avoir fait de son mieux pour répondre à l’urgence et préparer l’avenir avec quatre objectifs : le combat pour sauver des vies et protéger la santé publique ; la solidarité pour les plus vulnérables, les territoires, les communes, les associations ; un plan d’urgence économique et sociale de plus de 30 millions € « Il faudra aller plus loin ». Enfin, « le plus complexe, réussir l’allègement progressif du confinement, vaincre l’épidémie et préparer l’avenir, ce qui sera très complexe ». Il révèle avoir reçu la lettre de refus du Premier ministre à la demande corse d’être un territoire pilote en matière de chloroquine. Gilles Simeoni prévient que le combat est loin d’être gagné : « Nous sommes toujours au risque d’un rebond de la pandémie. Ce risque, nous devons l’évaluer, l’anticiper et le gérer. Nous allons relancer l’activité dans tous les secteurs, tous ensemble et en concertation avec tous les acteurs insulaires et l’Etat ». Il salue « le dialogue soutenu et de qualité avec le préfet de Corse et la directrice de l’ARS ». Et réaffirme la ligne directrice : un cadre général européen et français, et un plan régional à co-construire pour coller aux réalités insulaires. « Cela nous permettra de vaincre définitivement au plus vite l’épidémie et de refonder le modèle économique et, c’est ma conviction, un nouveau modèle de société ».

Jean-Martin Mondoloni. Photo Michel Luccioni.
Jean-Martin Mondoloni. Photo Michel Luccioni.
Pas assez de mesures
C’est, également, par un hommage unanime aux victimes, aux soignants et à tous ceux qui sont sur le terrain que chacun des représentants des groupes a, débuté, son intervention, tout en décernant au président de l’Exécutif un satisfecit pour le travail accompli. « Dans cet exercice public de la solidarité, les maires jouent un rôle clef, ils ne comptent, ni leur énergie, ni leurs efforts, ni leur disponibilité », tient à saluer aussi Jean-Martin Mondoloni. Ceci étant, la gestion de la crise est loin d’être parfaite pour le président du groupe Per L’Avvene qui estime que l’urgence désormais est d’éviter « que la crise sanitaire ne se transforme en crise humanitaire en Corse qui est particulièrement pauvre et va subir de plein fouet les effets ravageurs de la situation terrible que nous vivons. Sur cet aspect économique, on est resté sur notre faim face à vos propositions. Nous n’avons pas trouvé dans le rapport de mesures efficientes, l’activité touristique a besoin d’être accompagnée, parce que c’est la force motrice qui va amorcer la reprise ». Il appelle à « un effort de la CDC envers la commande publique. Il y a des choses simples à côté desquelles nous passons. Pourquoi ne produirions-nous pas en Corse nos propres masques ? En Commission des finances, je demanderai qu’on fasse un point budgétaire pour vérifier nos marges de manœuvre financières ». Pour lui, « Le compte n’y étant pas, nous ne participerons pas au vote ».

François Orlandi. Photo Michel Luccioni.
François Orlandi. Photo Michel Luccioni.
Le poids de la solidarité nationale
L’urgence est également économique pour François Orlandi, élu du groupe Andà per Dumane. « Il y aura des pertes importantes pour la CDC notamment en matière d’investissements. Il faudra très certainement faire des choix fondamentaux et être très vigilants en matière de dépenses de fonctionnement, même s’il sera difficile de les circonscrire. Je crains que, parmi les projections envisagées dans ce rapport, les plus pessimistes doivent être retenues », note-t-il. Le maire de Tomino tient, lui aussi, à mentionner « l’omniprésence des élus de proximité sur le terrain. Chacun dans nos communes, nous avons pris, dans la mesure du possible, les mesures nécessaires pour aider la population à traverser cette situation particulière ». Pour lui, le rapport « aurait gagné en objectivité s’il avait évoqué les mesures gouvernementales mises en œuvre et qui ne sont pas neutres pour la Corse. La solidarité nationale s’est exprimée malgré ce que certains peuvent soutenir ». S’il ne récuse pas « une gestion la plus partagée possible entre l’Etat et les acteurs locaux », il prône « un front commun tout à fait indispensable. Un traitement exclusivement régional n’est pas souhaitable. Soyons raisonnables ! ». Comme le rapport ignore cette solidarité nationale, le groupe d’essence macroniste ne prendra pas part aux votes.

Pierre Ghionga. Photo Michel Luccioni.
Pierre Ghionga. Photo Michel Luccioni.
Une usine de masques
Ce n’est pas du tout la position de Pierre Ghionga, élu du groupe « La Corse dans la République », qui annonce d’emblée : « Comment ne pas être d’accord avec ce rapport qui présente la réponse de la CDC à une crise exceptionnelle dans la mobilisation maximale de tous ses moyens ?  J’adhère totalement à ces décisions transpartisanes avec un bémol sur la différence de prime entre les internes et les autres élèves des filières médicales. On donne une prime à la compétence alors qu’il faut donner une prime à l’engagement ». Il propose de « créer une structure à capitaux mixtes publics-privés pour fabriquer des masques, des surblouses, des charlottes. Cela ne demande pas une technologie très importante, et le marché serait assuré puisque tous les EHPAD de Corse sont financés par la CDC… Nous aurions ainsi une réserve stratégique car les épidémies risquent de se reproduire ». Se faisant le porte-parole du monde médical et paramédical, il dit aux Corses : « Vous pouvez compter sur nous. Nous serons là ! Ne vous inquiétez pas ! ».
 
Le risque d’un cataclysme
La réponse du président de l’Exécutif a pris l’allure d’une mise en garde très claire : « Ce plan est une première pierre dans l’édifice que nous bâtirons ensemble. La première phase a été la mobilisation totale pour lutter contre l’épidémie. Aujourd’hui, commence une deuxième manche avec l’urgence économique et sociale. Ce qui va se passer dans les mois à-venir risque d’être cataclysmique pour l’ensemble des Corses. On est face à un défi sans précédent. Il faut construire la stratégie du rebond économique et social en intégrant le risque de rebond de l’épidémie qui viendrait, une fois, encore saturer notre système de santé avec les personnels soignants qui sont déjà en état d’épuisement absolu ». Il énumère deux échéances importantes qui conditionnement le reste : « la perspective de la rentrée scolaire et la perspective de la saison estivale avec l’enjeu touristique. Nous nous sommes mis en mode combat pour résister à l’épidémie, il faudra nous mettre, tous ensemble, en mode combat pour résister au choc économique et social et obtenir des mesures spécifiques pour toutes les entreprises, la montagne, les transports… ». Le rapport a été adopté à l’unanimité des votants : 18 élus de l’opposition, notamment le groupe Per l’Avenne et Andà Per Dumane, n’ont pas participé au vote, 4 élus de « La Corse dans la République » ont voté pour.
 
Du maritime et des prisonniers
Dans la foulée, ont été adoptées les deux Délégations de service public (DSP) de transport maritime de marchandises et de passagers entre les ports de Portivechju et Pruprià et le port de Marseille, qui doivent prendre effet au 1er mai jusqu’au 31 décembre 2020. Les lots, qui ont été plusieurs fois déclarés infructueux, ont été attribués au seul candidat positionné : La Méridionale qui a fait une offre de prix, bien en dessous de ses offres précédentes. Les élus se sont réjouis, en chœur, d’une « solution raisonnable qui garantit le service public maritime, les emplois des marins et un climat social apaisé ».
La résolution générale, élaborée collectivement par tous les présidents, groupes politiques et institutions de la CDC, demandant l'application à l'ensemble des détenus corses des mesures de libération anticipée prévues au niveau national au titre de la crise sanitaire, a été adoptée sans aucune intervention à l’unanimité.
Une nouvelle session est prévue la semaine prochaine pour délibérer notamment sur les déchets.
 
N.M.