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Journées du patrimoine à Aiacciu : La légende napoléonienne, un répertoire musical inédit en Corse


Nicole Mari le Samedi 18 Septembre 2021 à 09:04

Dans le cadre des Journées européennes du patrimoine qui se tiendront le weekend prochain sur le thème « Le patrimoine pour tous », la Collectivité de Corse (CdC) met l’accent dans ses salons d’honneur à Aiacciu sur le bicentenaire de la mort de Napoléon. Deux jours consacrés à la légende de l’Empereur avec notamment un focus sur la musique dans l’Empire et en Corse, de Sainte-Hélène à nos jours, avec des œuvres connues, populaires, comme l’Ajaccienne, et d’autres plus savantes et totalement inédites qui seront interprétées par des musiciens insulaires et invités. Une manifestation exceptionnelle à ne pas manquer, comme l’explique, à Corse Net Infos, son concepteur, Christian Andreani, musicien et chanteur au sein du groupe Caramusa, qui travaille, depuis des décennies, en tant que président du Centru culturale San Martinu Corsica, sur la mémoire sonore des territoires.



L'orchestre d'harmonie Aria dirigé par Pierre Deiana. Photo d'archives ARIA.
L'orchestre d'harmonie Aria dirigé par Pierre Deiana. Photo d'archives ARIA.
- Vous avez conçu la programmation musicale des journées du patrimoine de la CdC sur Napoléon. Qu’est-ce qui vous a donné l’idée d’aborder Napoléon sous cet angle ?
- Depuis des années, avec l’association « E cetera Caramusa », nous faisons un travail de recherche et de collecte des répertoires musicaux touchant la Corse. J’ai fait des découvertes qui m’ont incité à poursuivre ce travail sur des contextes historiques complexes. Je me suis rendu compte qu’il existait notamment un corpus de chants méconnus autour de la figure de Napoléon, du Consulat, des deux Empires jusqu’à nos jours. Comme j’avais récolté une matière conséquente, j’ai proposé au service Patrimoine de la Collectivité de Corse, en cette année du bicentenaire de la mort de Napoléon, de les présenter pendant les Journées du patrimoine. L’idée était de faire connaître ce patrimoine immatériel qui est le nôtre et qui reste largement ignoré, cela s’inscrit parfaitement dans le thème des Journées 2021 qui mettent à l’honneur « Le Patrimoine pour tous ».
 
- Ceci dit, pourquoi Napoléon ? On ne vous attendait pas sur ce personnage-là ?
- Napoléon fait partie intégrante du panthéon historique de la Corse. Sans porter de jugement sur le personnage, est-il besoin de rappeler que c’est un Bonaparte, qu’il a une enfance corse, plus précisément ajaccienne, et qu’il vit la Révolution et son cortège de chants révolutionnaires dont les refrains sont repris par le peuple et parviennent dans l’île ! Il est, dans sa complexité, fondamentalement corse et ajaccien. Dans les années 70, j’ai fait partie avec mon frère de « La Musique municipale d’Ajaccio » qui est une des plus anciennes sociétés musicales françaises, créée en 1869. Nous interprétions les répertoires de musique d’Empire avec la batterie-fanfare et les airs des processions religieuses, qui sont tous toujours bien vivants en Corse. C’est une tradition musicale très particulière parce qu’elle est urbaine et que l’on retrouve, outre à Aiacciu, dans d’autres villes de l’île, comme Corti, Bastia, Bunifaziu, Lisula, San Fiurenzu..., mais aussi d’Italie et d’Espagne. Pendant toute son enfance, Napoléon et sa famille ont baigné dans cet environnement musical de chants profanes et sacrés de la tradition corse. Je pense que cela l’a nourri. La musique a contribué à construire la légende napoléonienne et continue de le faire aussi.

Jérémy Bertini. Photo JB.
Jérémy Bertini. Photo JB.
- En quoi la musique a-t-elle joué un rôle important chez Napoléon ?
- Il aimait profondément la musique. Il a même écrit : « La musique est l’âme de l’amour, la douceur de la vie, la consolation des peines et la compagne de l’innocence ». Il a réformé les institutions musicales de la France et inspiré des grands noms de la musique classique, de Beethoven à Fauré. Il a eu, en plus, l’intuition d’utiliser la musique à des fins militaires principalement sur les champs de bataille. Chaque corps d’armée avait sa musique et ses musiciens. C’est par la musique qu’on identifiait les différents régiments sur les champs de bataille. Il y avait des airs pour l’attaque, la charge, la retraite et les parades. Napoléon a fait composer des airs spécifiques pour célébrer ses victoires et défiler dans les territoires conquis. Il se servait de la musique à des fins de propagande et de glorification. Il avait la haute main sur la création musicale de l’Opéra. Il contrôlait même l’édition musicale et ordonnait : « J’entends qu’aucun opéra ne soit donné sans mon ordre ». Durant ces deux campagnes d’Italie, il fréquente la Scala de Milan. Son compositeur préféré est Giovanni Paisiello, ce qui témoigne de son goût italien pour la musique. Ce Napolitain, qui a composé « le Barbier de Séville » repris par Rossini, devient le grand compositeur de l’Empereur, il n’est pas apprécié par le public parisien. Ce même Giovanni Paisiello crée à Venise en 1797 un opéra intitulé « Le roi Théodore à Venise », en hommage aux monarques déchus. La Corse n’est jamais très loin ! C’est cette complexité qui m’a poussé à poursuivre des recherches qui sont loin d’être terminées.

Matthieu-Joseph Nobili et Olivia Savery Sanciu. Photo JBA.
Matthieu-Joseph Nobili et Olivia Savery Sanciu. Photo JBA.
- Que présentez-vous ce weekend ?
- Ce sont deux journées en miroir avec, à la fois, l’interprétation d’œuvres de la légende napoléonienne dans le cadre de mini-concerts et des points d’histoires animés par l’historien Antoine-Marie Graziani. Nous débutons, samedi matin, dans le patio de la Collectivité de Corse, par interpréter la musique traditionnelle de la Corse agropastorale tout en présentant les instruments de l’époque. En même temps, l’association de reconstitution historique corse de la période napoléonienne, A Carchera, exposera des uniformes des régiments engagés en Corse du Consulat à l’Empire : les tirailleurs corses, qui se battaient du côté de l’Empereur, et le Royal Corsican Rangers, un corps d’anciens Paolistes et d’émigrés politiques qui était du côté des Anglais et combattait l’occupation française dans l’île. Dans l’après-midi, Antoine-Marie Graziani introduit le contexte historique, ses répertoires musicaux et les compositeurs qu’interprètera dans la foulée un jeune ténor insulaire, Matthieu-Joseph Nobili, accompagné au piano par Olivia Savery Sanciu. Ce sera l’occasion de découvrir des œuvres composées en Corse à la gloire de l’Empereur, notamment « l’Ajaccienne » qui date de 1848, et « Le rêve passe » de 1907. Si cantanu sempre ! Après un intermède musical assuré par Caramusa, l’orchestre Aria dirigé par Pierre Deiana, jouera, en tenue d’époque, des marches et musiques de parade de l’Empire, dont « Le chant du départ » qui a remplacé « La Marseillaise » pendant l’Empire.

Sandrine Luigi et sa lyre guitare. Photo Christian Andreani.
Sandrine Luigi et sa lyre guitare. Photo Christian Andreani.
- Quelle sera la programmation de dimanche ?
- Toujours à l’hôtel de la Collectivité, la concertiste corse, Sandrine Luigi, interprétera, dimanche matin, des répertoires savants sur une lyre-guitare datant du Second Empire. L’après-midi, à 14 heures, Antoine-Marie Graziani reviendra sur une période troublée de l’histoire de la Corse : les gouvernements militaires de Miot, Muller, Moran et Berthier avec leurs exactions, notamment dans le Fiumorbu. La conscription obligatoire pour les besoins de la Grande Armée a provoqué des révoltes populaires, des désertions et la flambée du banditisme. On entendra de nouveau un répertoire musical savant avec les compositeurs préférés de Napoléon et des chants de Paisiello, Beethoven, Berlioz, Mozart et même de Béranger, qui a inondé la France de chansons populaires, ou encore d’Hortense de Beauharnais. Ces airs seront interprétés par le soprano corse, Jérémy Bertini, accompagné de Sandrine Luigi à la guitare et de Christophe Tellart à la vielle à roue.

A moresca. Photo d'archives A moresca.
A moresca. Photo d'archives A moresca.
- Et la Corse dans tout cela ?
- Nous ne l’oublions pas ! A 16 heures, nous évoquerons la Moresca. Cette danse corse très ancienne symbolise le combat des Chrétiens contre l’envahisseur barbaresque « I Turchi » qui ont razzié les côtes et les villages de l’île pendant des siècles. « Un si balla mica a moresca, si batte a moresca ». Battre la moresca est devenu en Corse un symbole de résistance contre l’oppresseur. En 1580, elle est considérée comme un délit par les Génois et fait l’objet de procès. En 1823, le bandit Teodoro Poli de Guagnu, qui est à la tête de plusieurs centaines de contumaces, fait battre et danser en son honneur dans la forêt de Gagnu une moresca avec de nombreux figurants à la barbe des autorités militaires françaises qui le recherchent. La moresca était dansée par toutes les communautés villageoises. C’était une sorte de théâtre populaire. Tout un travail de reconstruction de la chorégraphie a été nécessaire, il a été mené par Dominique Torre au sein de l’association A Moresca. Au final, certaines chorégraphies sont originales, d’autres ont été recrées. Les musiques et les chants, interprétés par Caramusa, sont, eux, d’origine. Après la mort de Napoléon, le régime d’exception militaire, qui est toujours appliqué en Corse, met en place le corps des Voltigeurs pour éradiquer le banditisme. Ce nouvel épisode tragique est également à l’origine d’un répertoire que nous évoquerons, notamment des berceuses « E Nanne », qui transmettaient la vendetta aux enfants, et des chansons contre les exactions.
 
- Le répertoire corse a-t-il contribué à construire la légende napoléonienne ?
- Oui ! Et il continue de le faire ! Le plus étonnant est que la légende s’est construite bien après la mort de l’Empereur et la loi d’exil contre les Bonaparte. En Corse, le corpus musical lié à la glorification de Napoléon en langue française s’est surtout développé au cours du 20ème siècle, essentiellement dans les cabarets et par des chanteurs célèbres comme le ténor Gaston Micheletti et Tino Rossi. En langue corse, des poètes comme Maistrale ou encore François Agostini - directeur de l’Opera Comique, puis de l’Opera de Paris - qui compose en 1954 « Napuleone », et sa femme Martha Angelici que nous découvrirons dimanche après-midi. Le 19ème siècle est une période charnière pour l’histoire de la Corse dont il nous reste de nombreuses réminiscences. C’est toute la force du patrimoine immatériel que nous continuons inlassablement d’investiguer.
 
Propos recueillis par Nicole MARI.

Le groupe Caramusa avec Christian Andreani à l'accordéon. Photo Caramusa.
Le groupe Caramusa avec Christian Andreani à l'accordéon. Photo Caramusa.