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Jordan Bardella : "La Corse doit rester pleinement intégrée à la République française"


Michela Vanti le Samedi 31 Mai 2025 à 08:11

Entre selfies, signatures et stratégie, Jordan Bardella était à Ajaccio ce vendredi 30 mai pour promouvoir son livre. Mais dans un contexte de débat institutionnel autour de l’autonomie, le président du RN a surtout cherché à poser ses jalons sur un territoire électoralement favorable, mais politiquement complexe.



Jordan Bardella. Photo Paule Santoni
Jordan Bardella. Photo Paule Santoni
C’était une dédicace très politique. En tournée pour promouvoir Ce que je cherche (Fayard), Jordan Bardella a fait escale à Ajaccio ce vendredi 30 mai. Dans le quartier populaire des Salines, entre 400 et 500 personnes se sont réunies pour rencontrer le président du Rassemblement national (RN), livre en main.​L’occasion pour lui de défendre son engagement pour la Corse, de s’exprimer sur le projet d’autonomie de l’île et de rappeler ses positions sur les grands débats institutionnels à venir.   “Je suis ici pour mon livre, mais aussi pour convaincre”, affirme-t-il d’entrée. Il assume une double logique : communication personnelle et contact électoral. “On est toujours en campagne”, glisse-t-il. Son ouvrage, publié à l’automne 2024, est présenté comme un moyen de “mieux faire connaître” le responsable politique qu’il est devenu et, peut-être, de renforcer une stature présidentielle en misant sur une image plus jeune et plus lisse que celle de Marine Le Pen.

Mais c’est justement cette dernière qui, la veille, à 20 000 km de là en Nouvelle-Calédonie, a ravivé une question sensible : Bardella est-il suffisamment solide sur les dossiers complexes — y compris ceux qui concernent la Corse ? 
“Je ne suis pas sûre que Jordan connaisse très bien les problèmes de la Nouvelle-Calédonie.” Un commentaire en apparence anodin, mais qui sonne comme un rappel hiérarchique : la cheffe de file du RN reste en première ligne sur les sujets sensibles, et son dauphin doit encore convaincre sur ces terrains exigeants. Depuis Ajaccio, Bardella tente de la désamorcer en insistant sur son implication transversale : “Je connais aussi bien les sujets ultramarins que ceux liés à la métropole ou à la Corse. Ce n’est pas une bataille entre Marine Le Pen et moi.” Entre deux signatures, il insiste sur une approche globale mais concrète : “Nous travaillons main dans la main pour apporter des réponses aux Français et répondre concrètement aux attentes de nos compatriotes, qu'il s'agisse du pouvoir d'achat, de la sécurité, de la préservation de notre identité, de nos valeurs, ou encore de la défense des services publics, qui sont mis à mal ici, en Corse.”

Une autonomie sous surveillance
Et justement, la Corse reste aujourd’hui l’un des principaux terrains de débat institutionnel. Alors qu'un projet de loi constitutionnelle pour un statut d'autonomie de l'île  pourrait être présenté au Parlement avant l’été, Jordan Bardella avance avec prudence, mais sans ambiguïté sur le fond  : “Je me méfie des tentations autonomistes. Le projet politique de ceux qui prônent l’autonomie dissimule souvent l’idée de l’indépendance. Je suis attaché à une Corse française, dans la République."
Une ligne ferme, classique dans le discours du RN. Pour autant, le président du parti se garde bien de toute fin de non-recevoir. Il ouvre la porte à des ajustements, à condition qu’ils restent dans un cadre strictement républicain : “Il n’est pas interdit de réfléchir à des améliorations pour tenir compte des spécificités liées à l’insularité. Mais l’État doit rester présent. Il doit assurer ses missions régaliennes. Or, ici, il est de plus en plus absent — sur l’eau, les déchets, la santé, la sécurité. Et cette absence alimente le discours autonomiste, voire indépendantiste.” Le président du RN accepte l’idée d’adaptations administratives tenant compte de l’insularité, mais dans le cadre républicain. "La Corse a ses particularités, mais elles doivent s’inscrire dans le cadre de la République.”  Il recconait qu'il y a une "demande identitaire très forte, notamment chez la jeunesse. Elle est légitime. Ce serait une erreur de faire comme si cette réalité n’existait pas. On peut discuter, améliorer l’enseignement de la langue, valoriser le patrimoine. Mais dans le cadre républicain." Pourtant sur les revendications les plus sensibles, il reste prudent : "Nous ferons connaître nos propositions le moment venu.”


Un parti bien placé mais sans relais
Ce positionnement mesuré s’explique aussi par un constat que Bardella assume : si le RN réalise des scores élevés en Corse lors des scrutins nationaux — comme aux européennes ou aux législatives de 2024 — le parti reste en retrait sur le terrain local. "Il y a une volonté de préserver une identité ici, des valeurs, un cadre de vie, des traditions, qu'elles soient nationales ou régionales. La Corse, c'est la France, et nous avons toujours été attentifs aux inquiétudes de nos compatriotes ici. Les Corses ont de plus en plus de mal à vivre de leur travail, à vivre en sécurité. Notre discours d'amour pour la patrie trouve un écho en Corse." analysé-t-il. Mais cet écho ne se traduit pas, pour l’instant, en relais politiques. Aucun personnalité insulaire de premier plan ne porte encore les couleurs du RN. L’aveu de Bardella est franc : "Pendant longtemps, notre ancrage local était faible, ce qui a freiné nos résultats aux élections locales. Mais nous avons entamé un travail de structuration, notamment autour de François Filoni. Nous voulons faire émerger des candidats locaux, notamment pour les municipales."
Cette faiblesse structurelle explique peut-être la souplesse discursive de Bardella vis-à-vis des électeurs nationalistes. Plutôt que de les contrer frontalement, il cherche à souligner des convergences d’attachement à l’identité. "Beaucoup de nos électeurs votent aussi pour les indépendantistes lors de certaines élections. Il y a un socle commun : défense des traditions, de l'identité, de l'histoire. Nous intégrons pleinement cette dimension dans notre stratégie locale."


Après avoir déroulé sa vision de la Corse dans la République aux journalistes présents, il a été rappelé à sa table. Devant lui, la file s’étirait encore. Il a repris son stylo. Signatures, selfies, poignées de main : retour à l’exercice de la rencontre directe. Comme un rappel que, pour lui, la politique se joue aussi là — au contact, ligne après ligne, dédicace après dédicace.