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Jean-Guy Talamoni : « Loin des décisions unilatérales de Paris, nous faisons le pari de la concertation »


Nicole Mari le Jeudi 5 Novembre 2020 à 14:40

C’est sur la double actualité brûlante du confinement et du terrorisme que le président de l’Assemblée de Corse, Jean-Guy Talamoni, a ouvert, jeudi matin, la session en mode confinée de l’Assemblée. Il a, dans sa traditionnelle allocution, pour une fois en langue française, fustigé la politique du gouvernement, son manque d’anticipation, ses décisions unilatérales sans aucune concertation notamment du couvre-feu et du confinement. Il annonce une minute de silence à midi pour rendre hommage aux victimes du COVID.



Jean-Guy Talamoni, président de l'Assemblée de Corse. Photo Michel Luccioni.
Jean-Guy Talamoni, président de l'Assemblée de Corse. Photo Michel Luccioni.
Voici le texte de son discours :
 
« Nous voici donc à nouveau réunis à distance, preuve que des mois après l’apparition de la Covid, nous restons tous suspendus aux progrès de la science pour nous débarrasser de cette maladie qui touche notre île, met à mal son système de santé fragile, endeuille de nouvelles familles, et n’épargne pas certains agents et élus de cette collectivité ni le monde médical qui a perdu une de ses infirmières très récemment.
 
Nos pensées vont naturellement à ces victimes de l’épidémie et à leurs proches. Je vous propose, en concertation avec le Président du Conseil exécutif, d’observer une minute de silence en leur mémoire, à midi, comme le feront au même moment les professionnels de santé.
 
Ce nouveau confinement, c’est aussi la preuve que le gouvernement français a manqué d’anticipation. Un manque d’anticipation qui peut en vérité se lire depuis des années déjà, lorsque l’accélération de la mondialisation entraînait avec elle un risque accru de pandémies, ce qui n’a malheureusement pas porté les pouvoirs publics successifs à investir dans le secteur sanitaire. Au contraire.
 
Dès le début de la crise et lors du déconfinement, en listant les contraintes de notre territoire mais aussi ses atouts, mobilisables au profit d’une lutte efficace contre le virus, les propositions formulées par notre majorité - et notre Assemblée- pour éviter une situation semblable à celle de mars dernier n’ont pas été entendues. Je le regrette.
Car on ne lutte pas contre un virus sur une île comme on le ferait sur d’autres territoires. Une protection surement plus efficace était possible en régulant les flux de passagers, qu’il s’agisse de supprimer les liaisons avec l’Italie quand ce pays était durement touché, ou de mettre en place un passeport sanitaire à la sortie du confinement. Je rappelle aussi que la demande de création d’un CHU, établissement capable de tirer vers le haut l’ensemble de notre système de soins, n’a reçu pour l’heure aucun retour de la part du gouvernement.
Grâce à l’investissement des personnels de santé, la Corse était parvenue à une situation sous contrôle à l’issue du confinement, situation qui de fait, n’a pu être maintenue.
 
Aujourd’hui, avec cette deuxième vague, de sombres perspectives nous sont présentées par les experts : 140 cas nécessitant une hospitalisation en réanimation dans les jours à venir. Face à ces chiffres, l’hôpital tente de se réorganiser, et l’on risque de ne pas pouvoir compter sur les évacuations sanitaires étant donnée la situation dans laquelle se trouve la quasi-totalité du territoire français.
Devant ce constat, particulièrement grave, la décision radicale qui est prise, celle de reconfiner, porte en elle son lot d’incohérences et d’ajustements incessants, ce qui malheureusement n’est pas propice à provoquer l’adhésion de la population.
Pour exemple, nous avons vu fermer, entre autres, les librairies, curieusement étiquetées « non- essentielles », puis, par souci « d’équité », certains rayons de supermarchés proposant ces mêmes produits ...
 
De nombreux acteurs socio-économiques sont aujourd’hui dans un désarroi toujours plus grand après une période difficile, durant laquelle ils ont pourtant fait les efforts demandés en matière de protocole sanitaire. Cette désorganisation et ces incompréhensions provoquent un mécontentement qui va grandissant et créent une défiance dangereusement défavorable au respect des mesures sanitaires. Celles-ci, ne l’oublions pas, restent primordiales et c’est vers le soutien au système hospitalier que nos forces doivent continuer prioritairement à converger.
 
La période que nous vivons est difficile et anxiogène à plusieurs titres : à la crise sanitaire, économique, sociale, s’ajoute la menace islamiste qui a de nouveau sévi sur le territoire européen et au-delà. D’abord l’assassinat de Samuel Paty, professeur d’Histoire-géographie, puis de nouvelles victimes à Nice au sein même d’une cathédrale, puis les attentats de Vienne, de Kaboul... L’enseignement, la liberté de culte, sont les cibles de dangereux criminels, qui, prétextant défendre une religion, ne sont, ni plus ni moins, que des assassins.
 
La Corse est solidaire des familles meurtries, des communautés religieuses et du monde enseignant, tous touchés par ces actes ignobles.
Nous le répétons, la tolérance n’est pas de mise face à ces fanatiques.
Je sais que cette position est partagée par la communauté musulmane, dont beaucoup de représentants ont pris publiquement et clairement position en ce sens.
Face à la recrudescence de ces drames, face à la crise sanitaire, face à la peur, aux contradictions, règne une certaine confusion, voire une perte de confiance généralisée.
D’aucuns diront que la société est prête à se morceler, à se diviser, ou l’est déjà. Ne leur donnons pas raison.
 
Loin des décisions unilatérales prises par Paris, dont on veut nous faire croire qu’elles sont les bonnes ou les seules possibles, nous faisons un autre pari, celui d’allier la prise de décision rapide à l’intelligence collective et à la concertation. Une concertation qui, in fine pourrait aider chacun d’entre nous à mieux s’adapter à la crise, sur le long terme cette fois.
On nous prédit en effet de devoir « vivre avec le virus » jusqu’à l’été 2021 au mieux. D’ici là, le phénomène d’alternance entre confinement et déconfinement, ce « stop and go », doit pouvoir être évité au profit de nouvelles façons de s’organiser.
Celles-ci se prévoient, se discutent, s’appuient sur des innovations et s’évaluent aussi. C’est pourquoi, il est dans notre intérêt à tous de nous y atteler au plus tôt pour sortir de l’urgence dans laquelle nous avons été pris par deux fois maintenant, et laisser enfin place à une stratégie efficace.
 
L’Assemblée avait préconisé cette méthode en votant pour un comité regroupant élus, professionnels des différents secteurs concernés, et scientifiques. Ce comité avait pour but de proposer des mesures pouvant allier à la fois sécurité sanitaire et maintien de l’activité économique de l’île, même si, on le sait, cet exercice n’est pas aisé.
Ce comité doit pouvoir, aujourd’hui plus que jamais, remplir son rôle et guider les choix dans cette période trouble où les décisions, en l’absence de certitudes, semblent se fonder sur des croyances ou des a priori – qui plus est à géométrie variable - toujours péremptoirement présentées comme des évidences, même lorsqu’elles contredisent la position précédente.
 
Dans ce contexte difficile, l’administration d’Etat a failli. Il nous faut le dire clairement. Après avoir refusé de prendre en compte les positions de l’Assemblée de Corse, comme la sécurisation sanitaire des arrivées dans l’île, elle prétend imposer de façon autoritaire des mesures contestables telles le couvre-feu, ou injustes, comme le nouveau confinement dont les modalités se heurtent logiquement à un défaut total d’acceptabilité sociale.
 
La triste affaire du port de Bunifaziu est malheureusement révélatrice de cette politique de l’Etat, unilatérale et souvent incompréhensible, pour ne pas dire davantage.
Les élus corses, en tant que seules autorités sur l’île à avoir été démocratiquement désignées par leur peuple, doivent se réapproprier les responsabilités qui sont naturellement les leurs.
 
Nous devons pour cela poursuivre notre travail ensemble, mettre en commun nos idées, nos réflexions, puis décider de ce qui sera le mieux pour protéger, à notre niveau, les Corses, et imposer enfin la prise en compte de notre légitimité.
Voilà ce que nous l’on attend de nous, voilà ce que nous devons faire à présent ».